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EAN : 9782905964441
91 pages
Ombres (30/11/-1)
4.25/5   6 notes
Résumé :
Le Rire rouge (Krasnyj Smekh, 1904) est une protestation pacifiste contre les atrocités de la guerre russo-japonaise.
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
"Le rire est le propre de l'Homme"

... disait très justement Rabelais, mais quelle sorte de rire ? Or, l'homme rit de bien des façons différentes.
Il y a le rire franc et le rire jaune. Et aussi le fou rire... à ne pas confondre avec le rire fou. Sans oublier le rire hystérique, cynique, diabolique ou... le rire rouge.
Je dis "diable" et je dis "fou" et je dis "Leonid Andreïev", et je pense toujours la même chose. On pourrait polémiquer sur la question - qui ou quoi est exactement le diable ? - mais si vous me demandez un synonyme après cette lecture, cet homme-là pourrait très bien faire l'affaire.
Un Russe qui a vécu au début du 20ème siècle, alcoolique, fou, écrivain incroyable et expressionniste qui va vous retourner l'estomac ou vous donnera envie de vous prosterner à ses pieds. Ou les deux.

Grand ami de Maxime Gorki (si on oublie quelques épisodes orageux), Andreïev était tout ce qu'il pouvait être. Auteur, peintre, journaliste, grand critique de la société et visionnaire. Et c'est sans doute cette vision sceptique de l'avenir (une sorte de Jules Verne déformé et effrayé par le monde) qui a imprégné son oeuvre par des images de l'indescriptible horreur et de la peur.
Il a traversé comme une comète le ciel littéraire russe, pour tomber presque aussitôt dans l'oubli, aggravé encore par son émigration au Grand Duché de Finlande en 1910. Il n'a été redécouvert qu'avec le début de la perestroïka soviétique dans les années 1980.

Vous connaissez peut-être son histoire "Les Sept Pendus". Je venais d'être légèrement déstabilisée par "Le Gouffre", avant de tomber dans le même recueil sur ceci : une nouvelle de 50 pages intitulée "Le Rire rouge"...
Il s'agit d'un cauchemar concentré de la guerre, et d'un encore plus cauchemardesque retour à la maison. La terreur pure qui se matérialise en images et en mirages dans le journal d'un jeune soldat qui a survécu. Mais il n'a pas pu échapper à ses démons, et le lecteur s'enfoncera lentement avec lui dans l'abyme de la folie, de plus en plus grande.
Les fragments disparates de ses notes, pas toujours logiquement ordonnées, intensifient encore le sentiment d'anxiété et de panique croissante, et la façon avec laquelle Andreïev décrit le glissement progressif et irréversible d'un esprit autrefois sain dans le chaos, c'est quelque chose qu'on pourrait comparer à une monstrueuse raffinerie bruyante qui ne s'arrête jamais de tourner.
On entre dedans en individu sain et heureux, et on en ressort avec le cerveau en mélasse.

Peut-être que je glorifie inutilement Andreïev, peut-être devrais-je prendre du recul et regarder son oeuvre avec plus d'objectivité, mais Andreïev n'est pas Hugo, ni Verne, ni Gorki. Andreïev, en tant que personne qui a lutté toute sa vie avec ses troubles mentaux (et qui est vraiment devenu temporairement fou, après avoir terminé "Le Rire rouge"), n'est pas de ceux qui pourraient résister à la tentation de débiter l'esprit humain en copeaux, les disperser autour de le chambre et y mettre le feu.
Si vous trouvez le courage de finir "Le Rire rouge", vous aurez une déplaisante impression qu'il y a quelqu'un d'autre avec vous, dans la pièce vide.
Le rouge - le rouge du sang, du ciel et du rire - vous rentre sous la peau et vous vous retrouvez désemparé face à la démence cosmique, parmi les centaines et les milliers de morts dans les plaines russes... cinquième verste, sixième verste... jusqu'à l'horizon écarlate qui vous nargue par son rictus effronté.

Cette nouvelle sur la folie - toutes formes de folie - est un plaidoyer contre la guerre, et l'auteur a choisi la persuasion par la terreur ; un procédé aussi efficace que la contemplation du "Cri" de Munch : le même horizon rouge-sang, la même angoisse. On peut imaginer la guerre grâce aux films, aux reportages, aux livres, mais on n'a toujours pas la moindre idée ce qu'est vraiment la guerre. Tant mieux ; je ne fais pas semblant de comprendre, car je ne le veux même pas. Mais après avoir lu "Le Rire rouge", je garde sur le palais un drôle d'arrière-goût qui a du mal à disparaître... et c'est tout le grand art d'Andreïev. 5/5

"... se penchant vers moi, il murmura à travers ses dents jaunes, enfumées :
- Il viendra bientôt un moment où personne ne sortira d'ici. Oui. Ni moi, ni personne.
Et je vis dans ses yeux proches ce quelque chose d'inerte, d'ahuri. Et quelque chose de terrible, d'insoutenable, pareil à l'écroulement de milliers de maisons me traversa le cerveau et, glacé de terreur, je balbutiai :
- le rire rouge.
Et il fut le premier à me comprendre."
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Ce récit fut édité en 1904 il est constitué de dix-neuf fragments tirés d'un manuscrit trouvé.
Andréïev a une jeunesse difficile, il perd son père et sa famille rencontre alors des difficultés financières, il va beaucoup en souffrir. Ses écrits sont le reflet d'une sensibilité exacerbée et d'une personnalité angoissée avec un gout prononcé pour le morbide. Il faut lire « le mur » et « les sept pendus ». Jeune, il fit deux tentatives de suicide et toute sa vie il sera guidé par une soif de l'absolu et cherchera un sens à la vie.

Dans le rire rouge il s'interroge sur la cruauté et l'absurdité de la guerre, ici il s'agit de la guerre de Mandchourie mais son récit de « l'horreur et de l'effroi » est terriblement universel. le rire rouge est d'une écriture hyperréaliste et d'une force inouïe, Andreïev n'écrit-il pas lui-même : « je voudrais que l'homme pâlisse de terreur en lisant mon livre, que celui-ci soit pour lui comme une drogue, comme un cauchemar, terrifiant, qu'il perde la raison, qu'il me maudisse … »
A la sortie de cette lecture il m'est difficile d'écrire des mots qui ne soient pas fades et inutiles, tant l'écriture d'Andreïev touche au sublime. Il décrit cette mécanique de guerre où tuer sans état d'âme mène à la folie : « C'est le rire rouge. Quand la terre devient folle, elle se met à rire de cette façon. Tu le sais bien que la terre est devenue folie. Elle n'a plus de fleurs ni de chansons. Elle est devenue ronde, lisse et rouge, comme un tête que l'on a dépecée. »

Je vous engage vivement à découvrir cet écrivain il est assurément parmi les grands et Sophie Benech en est l'excellente traductrice.
Belle découverte !

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La littérature de guerre a donné lieu à de nombreux ouvrages marquants, mais quand la folie meurtrière rencontre un écrivain dont la sensibilité morbide confine à la névrose, le résultat va au-delà de tout ce que j'ai lu jusque-là. Leonid Andreiev ne nous plonge pas dans un récit réaliste et cruel à la Barbusse, non plus dans une vision philosophique de la civilisation à la Duhamel, encore moins dans un pamphlet anti militariste critiquant la règle du respect du grade et dénonçant la raison d'état à la Zweig (Arnold). On est ici en pleine folie - le terme est répété à de nombreuses reprises comme un mantra – et le but d'Andreiev de créer l'effroi chez son lecteur passe essentiellement par ce sentiment de plus en plus oppressant qu'on n'échappera pas à une véritable explosion de la raison.
Le final, un dernier fragment hallucinant où le Horla rencontre George Romero, nous laisse tétanisé sur une scène très ciné génique de morts vivants à glacer le sang.
Leonid Andreiev est un auteur à l'écriture et au style extraordinaire, c'est un de mes auteurs russes préférés et ce livre en est un représentant essentiel.
A lire absolument avec le Gouverneur et Les sept pendus (entre autres).
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La guerre décrite comme une cruauté et inutilité. Beau récit malheuresement trop court.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Quand nous les ramassâmes, le docteur, tout tremblant de colère, dit :
- Eh bien ?
Et il se détourna. Quelques pas plus loin nous rencontrâmes un homme légèrement blessé qui marchait, le bras atteint appuyé sur l’autre. Il venait, la tête renversée, à notre rencontre et sembla ne pas nous voir quand nous nous écartâmes pour lui livrer passage. Il s’arrêta un moment devant la locomotive, la contourna et alla le long des wagons.
- Tu feras bien de monter, lui cria le docteur, mais il ne répondit rien.
Tels furent les premiers qui nous épouvantèrent. Et puis on en voyait de plus en plus sur le remblai, à côté, et tout le champ baigné du reflet immobile des incendies grouillait comme s’il eût été vivant, se remplissait de cris terribles, de clameurs, de gémissements, de blasphèmes. Ces excroissances noires pullulaient et se traînaient, telles des écrevisses endormies sorties d’une corbeille, disloquées, étranges, à peine semblables à des hommes dans leurs mouvements indécis, fracturés, et dans leur immobilité lourde. Les uns étaient muets et dociles, d’autres gémissaient, hurlaient et nous haïssaient, nous qui les sauvions avec tant d’ardeur, comme si nous eussions créé cette nuit sanglante et impassible et leur isolement au milieu de cette nuit, et ces cadavres, et ces blessures terribles. La place manquait déjà dans les wagons et nos vêtements étaient trempés de sang comme si nous fussions restés longtemps sous une pluie de sang, et l’on ne cessait d’apporter des blessés, et le champ ranimé ne cessait de grouiller sinistrement.
Les uns approchaient en se traînant, d’autres chancelaient et tombaient. Un soldat vint presque jusqu’à nous. Il avait le visage fracassé, il n’en restait qu’un œil qui brillait d’un éclat sauvage et terrible ; il était presque nu, comme s’il sortait d’un bain. M’ayant repoussé, il chercha de son œil le docteur, le saisit par la poitrine.
- Je te casserai la gueule ! cria t-il en secouant le docteur ; il ajouta un juron blessant et cynique.
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... ce fut inhumain, ce fut illégal. La Croix rouge est respectée de tous, comme une chose sacrée, et ils voyaient que ce n’était pas un train de soldats qui avançait, mais un train de blessés, et ils devaient prévenir de la mine posée. Hommes malheureux, ils rêvaient déjà de leurs foyers.
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Il y a eu un grand éclat de rire général, puis un cri affreux et, de nouveau, tous se sont tus, cédant devant l’incompréhensible. Et là, je n’ai pas été le seul, tous autant que nous étions, nous avons senti cela. Cela montait vers nous de cette plaine sombre, mystérieuse et étrangère ; cela se levait du fond des crevasses noires et profondes où se mouraient peut-être encore des hommes oubliés et perdus parmi les pierres, cela se déversait de ce ciel étranger et hallucinant. Silencieux, fous de terreur, nous étions là, debout autour du samovar éteint, et du haut du ciel nous fixait une ombre gigantesque et informe qui se levait sur le monde.
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Mais, malgré tout, on était mieux comme ça, et longtemps, quelques heures peut-être, je marchai les yeux fermés, en entendant la foule remuer, en entendant le piétinement des pieds d’hommes et de chevaux, le grincement des roues de fer broyant les petites pierres, l’haleine oppressée et haletante et le bruit des lèvres sèches. Mais je n’entendais pas de paroles. Tous gardaient le silence, comme si c’eût été une armée de muets qui avançait, et quand quelqu’un tombait, il tombait en silence, les autres se heurtaient contre son corps, se relevaient en silence et, sans se retourner, avançaient, comme si tous ces hommes muets eussent été en même temps sourds et aveugles ; je bronchais aussi et je tombais, et alors j’ouvrais les yeux involontairement, et ce que je voyais me semblait une fiction sauvage, délire pénible de la terre en démence.
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C'est ridicule de dire que les hommes sont nombreux, et qu'il y a toutes sortes d'esprits ; l'humanité n'a qu'une seule raison, et cette raison commence à basculer.
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Vidéo de Leonid Andreïev
Le Mur, fable symbolique, fait frissonner : un mur inébranlable se dresse avec cruauté devant des lépreux et des affamés se pressant à ses pieds et leur interdit l’accès à une vie heureuse. Ils représentent l’humanité dans sa lutte pour le bonheur et la liberté. Lecture de Judith Beuret.
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