Les médias sont friands d'erreurs judiciaires, pour deux raisons : d'une part cela fait vendre, d'autre part cela permet aux journalistes de se prendre pour Robin des bois, le défenseur des opprimés ou mieux pour Zorro, le vengeur masqué.
Ces dernières décennies ont été marquées par plusieurs affaires de ce genre : Seznec, Boulin, Raddad… le problème est que, en dépit de tous les efforts des chroniqueurs, commentateurs et pseudo-investigateurs, l'erreur judiciaire n'a jamais été démontrée dans ces affaires. Ce n'est pas grave : l'important est d'emporter la faveur du public et de gagner devant le tribunal médiatique. Quitte à alimenter le complotisme que les mêmes journalistes dénoncent par ailleurs.
L'affaire « Raymond Mis et Gabriel Thiennot » fait partie de ces dossiers manipulés. Les deux hommes ont été condamnés pour le meurtre d'un garde-chasse par trois cours d'assises différentes en 1947, 1948 et 1950 – après deux cassations pour vice de forme. le troisième verdict les a condamnés à dix et quinze ans de réclusion criminelle. Ils ont été graciés par le président Coty en 1954. Leurs complices ont été condamnés en 1947 à des peines de 18 et 24 mois de prison par le tribunal correctionnel, peines confirmées en appel.
En 1980, un militant communiste nommé Léandre Loizeau relance l'affaire en publiant un ouvrage éloquemment intitulé Ils sont innocents ! Nourri d'approximations, de rumeurs, de calomnies et de mensonges, le livre donne naissance à une abondante littérature en faveur de la réhabilitation des deux condamnés – parmi les auteurs figurent
Gilbert Collard et
Henri Troyat. Émissions de radio, de télévision et documentaires se multiplient sur le sujet. Leurs producteurs fondent leur certitude de l'innocence des de Mis et Thiennot sur une ignorance absolue du dossier… Six requêtes en révision sont déposées entre 1980 et 2015 et rejetées par la commission de révision des condamnations pénales. Une septième vient d'être déposée.
Gilles Antonowicz et
Isabelle Marin retracent l'affaire avec rigueur. Ils ont épluché les dossiers d'assises, les enquêtes, les témoignages, les reconstitutions. L'ouvrage démonte le mécanisme par lequel, en cinq décennies, une décision de justice s'est transformée, pour une opinion publique instrumentalisée par des médias dévoyés, en erreur judiciaire. Comment Mis, fils d'immigré polonais, et Thiennot, pseudo-résistant communiste, sont officiellement devenus « les victimes d'une machination orchestrée par le grand capital et d'anciens collabos ». À lire pour prendre conscience des moeurs journalistiques et du panurgisme médiatique.