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sur 518 notes
Bienvenu à Barbès, Paris 18ème. A deux pas du Sacré-Coeur.
Ah là, on n'est pas dans le Paris chic des Champs Élysées et des boutiques de luxe.
Ici, le luxe c'est Tatiland comme on l'appelle, c'est quand même autre chose...
C'est là qu'Abad, un jeune Libanais de 13 ans a atterri avec sa famille.
Abad, il va vous faire visiter son quartier, sa rue Léon.
Il va vous présenter sa famille, ses voisins, ses putes, ses fantasmes (avec sa bande de potes puceaux), il va vous faire rencontrer Gervaise, Odette, Batman ou encore la dame pour ouvrir dedans (c'est lui qui l'a baptisé comme ça, mais je vous laisse deviner qui elle est, d'ailleurs).
À Barbès vous allez croiser toutes les communautés, toutes les religions, tous les excès. Vous allez fréquenter les bistrots, les mosquées ou les hôtels de passe. Vous allez observer depuis votre fenêtre, votre balcon (plus sûrement votre fauteuil), la vie des autres, de ces gens-là qu'il est plus facile de montrer du doigt que d'essayer de comprendre.
Que savons-nous du déracinement ?
Que connaissons-nous des causes qui ont amené là, tant de nationalités, de religions et de cultures différentes, obligées de cohabiter ?
Ici on vend de tout, tissus, fruits et légumes, alcool, drogue, on vend son corps, on vend du rêve et de l'espoir, à chacun son Dieu,  même si celui des barbus est omniprésent, à chacun ses croyances, ici, souvent, on baisse la tête. Ici des femmes qui se cachent sous le niqab croisent des femmes qui, elles, dévoilent leurs charmes.
Abad, avec son regard d'ado, ne dément pas. Il ne vous décrit pas le paradis sur terre.
Sous la plume caustique de Sofia Aouine, vous allez vivre le quotidien d'un gosse de Barbès.
Oh, vous n'allez certainement pas l'envier, ni ceux qu'il croise d'ailleurs, mais vous allez vivre au plus près d'un monde que nous autres nantis on se plaît à deviner plus qu'à fréquenter.
À Barbès, des hommes battent femmes ou enfants parce que l'alcoolisme ou le chômage.
À Barbès des femmes subissent et élèvent leurs enfants en silence.
À Barbès des enfants font des conneries alors on sévit. 
À Barbès on rit, on chante, on pleure, comme partout, y a juste les langues qui diffèrent.
Sofia Aouine réussit un coup de maître avec ce premier roman. Elle ne cherche pas l'empathie. Elle n'accuse pas. Elle ne culpabilise pas.
Dans son livre, elle ouvre la fenêtre d'Abad et lui dit doucement à l'oreille :
- Regarde petit, respire, écoute, voici ton monde, il n'est ni beau ni laid, il est le monde...
Abad c'est les habitants de Barbès, c'est elle, c'est nous...

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Abad, le poulbot de la Goutte-d'Or

Sofia Aouine fait des débuts fracassants avec sa Rhapsodie des oubliés. Elle met en scène Abad, un adolescent plein de gouaille et de rêves, qui entend sortir du destin misérable qui lui est promis.

«Ma rue raconte l'histoire du monde avec une odeur de poubelles. Elle s'appelle rue Léon, un nom de bon Français avec que des métèques et des visages bruns dedans.» Dès l'incipit, le ton est donné, le style est là, quelque part entre un naturalisme baroque et un air de rap, entre Zazie dans le métro et La vie devant soi. C'est du reste sous l'exergue de Romain Gary / Émile Ajar que ce premier roman – logiquement sélectionné pour le Prix du style 2019 – s'inscrit. Cette gouaille, ce sens aigu de l'observation est celui d'Abad, 13 ans, qui va nous faire découvrir sa rue, ce quartier du Nord-Ouest de Paris qui est aussi présent dans Après la fête de Lola Nicolle. Outre les descriptions des faits – et surtout des méfaits – qui font le quotidien de ce microcosme cosmopolite, nous aurons aussi droit à des portraits croqués avec la même force d'évocation, la même fausse naïveté du regard de l'enfant qui perd son innocence face à la dureté du monde qu'il côtoie jour après jour. Il y a d'abord ses parents, qui ont surtout appris à se taire pour se fondre dans la masse, à jamais orphelin de ce Liban qu'ils ont dû fuir. Puis viennent une jeune fille aperçue derrière la fenêtre d'une tour voisine et qui est retenue par son salafiste de père, Ethel Futterman la psy chez qui on l'envoie pour tenter de la remettre dans ce droit chemin dont chacun a pourtant bien compris qu'il n'existe qu'en rêve et qui est une rescapée des rafles de juifs durant l'Occupation ou encore Gervaise, la pute qui espère pouvoir revoir sa fille restée au Cameroun selon le schéma détaillée par Karine Miermont dans Grace l'intrépide, sans oublier Odette, sa voisine, qui va finir en EPHAD, rongée par la maladie d'Alzheimer.
Oscillant entre comédie loufoque comme le camp d'entrainement des Femen qu'il découvre de sa fenêtre et qui va donner lieu à une belle empoignade entre féministes, intégristes – les barbapapas – et forces de l'ordre ou encore ce trafic mis en place avec un camarade de jeu dans le vestiaire et qui permettait de reluquer les filles tout en se masturbant. Une activité beaucoup pratiquée tout au long du roman et que l'on pourra interpréter comme une preuve de vitalité soit comme qui va mal finir, comme à peu près toutes les initiatives prises par Abad et qui vont finir par le séparer de sa famille pour se retrouver au milieu d'autres «cassos» dans une famille d'accueil en baie de Somme.
Mais avant cela, il aura beaucoup appris et beaucoup mûri. Compris comment on tenait les prostituées, comment on parvenait à radicaliser les musulmans, comment on éloignait tous les gêneurs qui entendaient ne pas se soumettre aux règles des intégristes. Et décidé de résister, de ne pas se laisser avoir à son tour et continuer à faire les 400 coups.
Avec les livres et avec les mots. Avec Marguerite Duras et avec le petit carnet noir que lui a donné sa psy. C'est ainsi que Sofia Aouine est devenue grande et qu'elle réussit à nous enchanter. À suivre de près !


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J'ai tout d'abord été séduite par le titre "Rhapsody des oubliés" mais ce titre poétique contraste avec la plume de Sofia Aouine car s'il y a quelques réflexions poétiques, la plupart du temps l'écriture est crue.
Mon plaisir de lecture a été inégal et je crois que la plume y est pour beaucoup.
J'ai été touchée par certains passages mais d'autres m'ont presque ennuyée. Abad, petit bonhomme de 13 ans vivant dans le 18e à Paris, quartier populaire de la Goutte-d'or, raconte ce qu'il voit, ce qu'il vit et nous fait rencontrer des personnages qui nous touchent plus ou moins. Odette fait partie de mes coups de coeur.
Le sexe est beaucoup trop présent, je ne suis pas convaincue qu'il faille en parler autant et surtout de cette façon.

Les références à Zola, Romain Gary, Truffaut n'ont pas suffi à me convaincre totalement et je dois même dire que par moment j'ai été agacée par les clichés.
Je reste donc mitigée sur ce roman.
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Avant de recevoir ce roman, je l'avais vu passé dans les sorties annoncées. Il faut bien l'avouer, d'un premier coup d'oeil, ce roman ne m'avait pas parlé. Tout d'abord, à cause de sa couverture (le marketing a malgré tout une place importante dans la vente de romans, il ne faut pas se leurrer) très sommaire et peu attirante. Et ensuite, le résumé : bien qu'il ne soit pas inintéressant, ce n'est pas le type de résumé qui m'appelle à la lecture. Trop basique, trop banal presque … rien qu'avec ce résumé j'ai eu l'impression que tout cela allait manquer de dynamisme et de consistance. Mais comme le dit le proverbe : l'habit ne fait pas le moine. C'est donc avec curiosité et entrain que je l'ai commencé. Malheureusement, mon entrain s'est vite mué en désespoir.
Il faut reconnaître que le postulat de base n'était pas fait pour me convaincre : utiliser une langue si familière à la limite du grossier, très peu pour moi. J'aime lire pour la beauté des textes et la poésie de la langue française. J'estime que c'est une langue si expressive qu'elle nous permet de tout écrire et de faire passer un grand nombre de sentiments. Malheureusement, ici, je n'ai pas été sensible à cette familiarité donnée à cette langue. Et au-delà de ça, elle a créée une sorte de barrière entre le texte et moi.
Une barrière si grande que j'ai vite abandonné cette lecture. Pendant plusieurs jours, j'ai été incapable de dépasser la page 90. J'ai dû me forcer à le reprendre tellement ce début de roman m'avait ennuyé. Et lorsque je l'ai enfin recommencé, j'avais finalement complètement oublié ce que j'avais lu auparavant … Comme si, à l'image d'Odette, j'étais atteinte d'Alzheimer. La raison première à cette perte de mémoire ? Je dirais que ça manque indéniablement de « sentiments ». Je n'ai rien ressenti lors de cette lecture. Ni colère, ni peine, ni frustration, ni compassion… Juste de l'indifférence. J'ai manqué de vrais rebondissements, de vrais enjeux. C'était, à mes yeux, très plat. Mais, il faut bien reconnaitre qu'il y a une réussite : tout tourne autour de l'oubli … Autant pour l'auteure que pour le lecteur. L'auteure parle des oubliés et le lecteur les oublie. le titre est donc particulièrement bien choisi.
Autre fait qui m'a lourdement dérangé : l'obsession d'Abad pour la « baguette ». Pourquoi ? Lorsque le résumé disait : « le coeur plein de ronces, l'amour et le sexe », je ne m'attendais pas à ça. On peut être curieux lorsqu'on est jeune, mais il y a des limites. Un roman qui ferait donc « retomber toutes les baguettes ».
Pour en revenir au résumé, il est question de roman noir, de hip-hop et de soul music. J'ai longuement cherché, mais rien ne m'a rapproché de ces genres-là. Pour faire un roman noir, il ne suffit pas de créer des malheurs à n'en plus finir aux protagonistes. Il ne suffit pas de les faire évoluer dans les rues jonchées de prostituées, non plus. Il faut une atmosphère particulière. Et cette atmosphère est inexistante, de bout en large. Où sont ces sensations d'oppression, d'étouffement, de danger imminent, de chute vertigineuse ? Ce roman est à l'image de l'électrocardiogramme d'un mort : lisse. Et, personnellement, lorsqu'on me parle de hip-hop, je m'attends à un sentiment de colère, de rage presque. Quand on me parle de Soul music, je m'attends à de la beauté, de la souffrance et à une certaine douceur. Mais je n'ai rien eu de tout cela.
Au niveau des personnages, j'ai eu bien du mal à m'attacher à Abad. Je ne l'appréciais, ni ne le détestais … en vérité, je me moquais un peu de son histoire. Je n'avais qu'une hâte : retrouver Ida. Ce qui est fort dommage puisqu'il est le personnage principal. À l'image du roman lui-même, j'ai trouvé Abad très « fade ». L'auteure avait tous les moyens de nous le rendre sympathique (sans qu'il soit obligatoirement un merveilleux et sage jeune homme) et pourtant elle l'a dénué de tout charisme (même nos anti-héros préférés en ont). J'ai adoré Ida. J'ai adoré son personnage, son histoire, sa force, son courage… C'était LE personnage qui, à mon sens, aurait dû être central. Elle avait quelque chose à raconter (autre qu'une histoire de « baguette » …), quelque chose d'intéressant, de prenant.
Seules les histoires d'Ida, du père d'Abad et d'Odette parvenaient à me maintenir en alerte. Elles étaient si prenantes que j'arrivais à oublier ce style d'écriture qui ne me convenait pas. C'était de vraies histoires. Des histoires qui créaient un sentiment chez le lecteur, et même une certaine addiction. Quelle déception de voir qu'elles ont été survolées au profit de celle d'Abad qui ne méritait pas tant de pages. En résumé, je ne pense pas être bon public pour ce roman. de ce fait, je n'ai pas réussi à réellement l'apprécier. Et je dois bien l'avouer, si je n'avais pas pris de notes lors de ma lecture, j'aurais été incapable (à peine trois jours plus tard) de me souvenir de l'histoire d'Abad. Rhapsodie des oubliés sera donc pour moi, un grand oublié de ma bibliothèque.
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Barbès nous est raconté, Barbès est pourri, Barbès est une ville dans la ville. Sofia Aouine, grâce à une écriture tantôt littéraire, tantôt acerbe et crue, tantôt alimentée de langage de rue, nous fait découvrir le quotidien d'Abad, un autre monde. le lecteur peut le sentir, le toucher, presque l'apprivoiser. C'est un contraste étonnant entre Abad, ce jeune homme désinvolte, vif et malicieux et ce quartier où se côtoient malheur et déchéance. Et puis, il y a ceux qui ont changé la vie d'Abad et son regard sur le monde. Gervaise, qui vend son corps (qui a une fille qui s'appelle Nana restée au pays, joli clin d'oeil à Zola), sa voisine Odette et une poignée d'autres. Une lueur dans la noirceur... (...)

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Ce petit roman m'a tout de suite fait penser à "Emile Ajar"; Abad, c'est Momo!
Mais Sofia Aouine n'est pas Romain Gary.
Abad est un jeune garçon libanais qui a atterri à Barbés, par accident, pour qui la rue est sa maison, des parents paumés, des copains dans la même situation, beaucoup de bêtises à l'horizon, un besoin très fort d'être aimé .
Certes , ce n'est pas une écriture classique, il n'y a pas de dictée à faire sur ce texte c'est sûr, mais il y a une telle humanité, un tel amour pour ces enfants qui s'élèvent seuls ou au gré de belles rencontres, une vieille voisine, une psy, que je me suis laissée prendre par cette lecture.
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Ce que j'ai ressenti:

Sur le boulevard des rêves brisés…

Il y a Paris, mais pas l'amour. Il y a le bitume, mais pas l'amour. Il y a la rue, mais pas l'amour. Il y a le quartier, mais pas l'amour.

L'amour, c'est pour les autres…Ici, tu es dans la rue Léon. L'amour, il n'y en a pas. Des « Je t'aime », il n'y en a pas.

Sur le boulevard des rêves brisés, il y a tout de même un jeune immigré de 13 ans, Abad, qui le cherche désespérément l'amour. Avec toute l'innocence de la jeunesse, avec toute l'ardeur de son âge charnière, avec toute la désespérance de sa situation, il le cherche vraiment l'amour. Mais dans la rue Léon, dans le quartier de Barbès, il n'y en a pas tant que ça de l'amour. Ça ne court pas les rues, l'amour…En tout cas, pas celle là…

Sur le boulevard des rêves brisés, ça serait plutôt la prostitution, l'intolérance, le fanatisme, la mort et la violence qui courent… Mais Abad cherche derrière cette odeur de misère, le trésor. Il n'a peut être pas les mots, pas toujours le bon comportement, et sans doute trop d'espérance dans ce mot. Il nous partage tout, sans filtre et sans concession, avec humour et incrédulité, la rhapsodie de sa rue. Il a une touchante maladresse, Abad, une obsession hormonale envahissante, et malgré tout, il a aussi quelques personnes qui vont lui donner des miettes d'affection. Heureusement.

Ce n'est donc pas facile de le trouver cet amour. Putain d'amour! Mais il est où, sérieux?! Dans les yeux de Ethel? Dans le corps de Gervaise? N'existe-t-il que dans les livres et les chansons?!

C'est vrai que j'ai juré. C'est qu'on l'attrape vite le virus de la rue et puis, ça m'énerve aussi. Mais qu'on lui donne à ce gamin! Qu'on lui tende un peu la main, qu'on ouvre un peu les fenêtres, qu'on déblaye la rue avec cette odeur de poubelle! Surtout que l'amour, ça n'attend pas, ça se barre vite fait! Comment tu veux le voir en plus, avec toute cette crasse?! La Goutte d'Or, je t'en foutrais moi, de l'or! C'est tout gris dans cette rue Léon. Il y a des revenants et le bordel, des Batman et l'enfer, des cassos et la pauvreté, des fantômes et le bitume, des seins nus et des chats qui puent, des valises et des malheurs, une Marguerite et des âmes divisées… Mais pas d'or. Et pas d'amour. Non, toujours pas. Il est où, l'amour, putain?! Pardon, j'ai juré. Encore.

Alors, Paris, tu vas le laisser sur le bitume aussi celui-là de gamin? Tu ne vas rien faire pour lui, même s'il a un stylo à la main et des rêves d'avenir trop grands? Hein, dis?! S'il te plaît, n'en fais pas un oublié de plus. Abad, il s'est ouvert en dedans, pour laisser toute la place à l'amour, laisse-le encore monter sur les toits, voir ta beauté, Paris. Laisse-le nous ce gamin, laisse grandir ce personnage attachant de Sofia Aouine…Laisse-le trouver l'amour. Dis lui, aussi que ce n'est pas que pour les autres, l'amour, et que le boulevard des rêves brisés va bientôt disparaître…

-(♫La nuit, je mens…♫, je m'en lave les mains)-

Pourquoi je t'entends chanter, Paris? Et puis, c'est quoi que tu chantes,là?! Hein dis?!!

-(♫La nuit, je mens…♫, je m'en lave les mains)-



Je ne t'oublierai pas, moi, Abad.
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J'ai débuté la lecture de ce premier roman avec un doute immense : la prestation de la jeune auteure dans l'émission de la Grande Librairie, sur France 5, m'avait séduite, mais je craignais ne pas apprécier du tout le langage utilisé, celui des banlieues du XVIIIe. En effet, les phrases de type de celles utilisées par les jeunes des quartiers sensibles ne sont pas du genre à me rappeler de bonnes périodes de ma carrière d'enseignante : "Oh la victime, il a une tête de chelou!", "Obligé, c'est un cassos de la Ddass!", "Regarde ses pompes, abusé!", "La honte wallah… Moldavie wesh, sa daronne fait la manche au marché de Barbès… Attention, cache ton iPhone, ah c'bâtard, il va nous dépouiller…" Mais ici, l'utilisation de ce type de langage est un passage obligé (et momentané) puisque l'auteure laisse son petit héros maghrébin prendre la parole en tant que principal narrateur de ce bout de vie, ce morceau d'une année, celle d'un gamin de treize ans, né au Liban, atterri en banlieue parisienne du jour au lendemain, loin de sa mémé adorée.
C'est là, qu'à ses heures perdues, depuis l'arrière des stores de l'appartement familial qu'il joue l'observateur d'un microcosme polychrome en constante mouvance (« Certaines familles […] préféraient voir leur fils faire le jihadiste de pacotille au quartier plutôt que la victime au mitard »), plutôt vers le bas, dans la crasse, le malheur et la violence, d'un petit coin de la capitale française où l'imaginaire collectif se nourrit habituellement de récits élaborés au coeur des quartiers bobos où tout va bien, tout est beau, estampillé Vuitton, Chanel ou Dior et où tout rutile dans l'éblouissement de la ville Lumière…

Abad, de haut de ses treize ans, lui, n'est pas dupe. Tout juste adolescent, il nourrit une passion : il adore les « nichons » ! Toute fissure dans un mur est propice à des heures passées en espérant voir des filles se déshabiller et à pratiquer la « bagnette ». Quelle chance quand il a, pour un laps de temps, une « Femen » en guise de voisine ! Son obsession va mettre sur sa route Gervaise (comme dans Zola, oui…), jeune Africaine mise sur le trottoir, parce qu'elle « avait grandi mal et trop vite en passant des nattes et chaussettes blanches aux strings ficelle en l'espace de quelques années », de rêves perdus en désillusions douloureuses, elle n'en possède pas moins un coeur immense…

Deux autres figures féminines vont aider Abad à ouvrir les yeux ; sa voisine, Odette, mamie fan de musique et de littérature, et Mme Futterman, psychologue survivante de la Shoah. Au final, trois portraits de femmes aux secrets lourds et à la vie partiellement brisée. Trois survivantes.
Et je pense que c'est grâce à ces trois personnages féminins que ce roman est devenu pour moi, au fil des pages, un véritable coup de coeur. J'ai senti mon émotion grandir au fur et à mesure des évènements qui se sont succédés dans la vie de ce petit bonhomme, mais aussi dans celles des personnages corollaires. Aucun n'est épargné. Et on se rend bien compte que même si nous sommes dans un roman, ce texte colle tellement à la réalité de milliers de personnes vivant en France actuellement qu'il ne peut laisser indifférent. Il me marquera pendant un moment, je pense.
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Abad 13 ans réfugié libanais, habite à Paris rue Léon, ici c'est Barbès le quartier de la Goutte-d'Or. Sa rue a la gueule d'une rue bombardée, une gueule de décharge à ciel ouvert, une rue qui ne dort jamais. Une rue parsemée des vomis des clochards et des seringues des toxicos. Un refuge d'éclopés, de cassos, d'âmes fragiles. Les prostituées côtoient les drogués et les « Barbapapas », les islamistes qui gangrènent le quartier.

Abad est obsédé par ce qu'il a dans son slip. Alors il pratique « la branlette », le seul sport des garçons de son âge, tout en rêvant aux filles. Comme celle d'en face, un visage de princesse au milieu des ordures, bientôt revêtue d'un tissu noir qu'on lui a imposé quand elle est devenue femme.
« Une fille, ça s'échappe pas. C'est un oiseau dans une cage fermée à double tour. À moi, des ailes me poussent. Je me suis souvent blessée en essayant de les couper. »

Un roman réaliste porté par une langue crue, souvent vulgaire, mais qui sonne juste dans la bouche de ce jeune garçon, une plongée dans un monde qui est une ville dans la ville avec ses règles, ses caïds, ses laissés pour compte. Sofia Aouine à travers les yeux d'Abad 13 ans, une sorte de Gavroche d'aujourd'hui qui nous entraîne dans son quotidien. J'ai été touché par ce récit, principalement par les portraits tendres de femmes au passé douloureux. Ethel la psy, la femme qui « soigne de l'intérieur », marquée par le drame de sa famille juive. Odette, la vieille voisine, elle lui lit des livres et lui raconte des histoires à dormir debout et puis sa mémoire qui lâche, elle se souvient parfois, mais cela devient de plus en plus rare. Gervaise, une Africaine qui tapine pour rembourser une dette qui n'en finira jamais, et retrouver enfin sa fille au pays.
« Vous savez, une pute, c'est une belle qui a grandi trop vite. Même si vous pensez que c'est juste une pute, je le sais et je vous le dis, une pute, c'est une maman aussi. »
Toutes ces femmes vont donner de la tendresse et de la chaleur humaine à cet adolescent qui en manque terriblement.

Ce roman aborde des thèmes très actuels, le sort des mères et surtout des jeunes filles emprisonnées par la religion de leur père, La montée de l'islamisme dans les quartiers avec des jeunes hommes, jihadistes de carnaval, qui se vantent d'avoir passé quelques mois en prison, d'avoir tenté le Jihad en Syrie et d'être fiché S. La violence des pères.
« On est beaucoup dans ma rue, et même au collège, à être élevés par des droites et qu'on fait taire avec des bonbons. La principale religion à la maison s'appelle le silence. Pour éviter les problèmes et espérer être un peu heureux, la tactique à employer est de fermer sa gueule, baisser la tête, raser les murs. Alors c'est ce qu'on fait, maman et moi. »

Deux regrets cependant, l'auteur insiste beaucoup trop sur les désirs sexuels d'Abad et cela devient un peu répétitif. Ensuite elle entrecoupe son récit de deux histoires courtes vécues par deux femmes et cela aurait sans aucun doute mérité que l'on s'y attarde davantage.
Heureusement que l'écriture semble légère, grâce à la fraîcheur du narrateur, car en fait derrière se cache une histoire terrible, la réalité des certains quartiers sensibles, et comme toujours ce sont les femmes qui en payent le plus lourd tribut. C'est d'une tristesse infinie.


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Rhapsodie des oubliés, c'est une immersion dans le Paris des bas-fonds, à travers le regard cru et sans filtre d'Abad, un adolescent de 13 ans qui a du fuir le Liban avec ses parents et qui vit désormais dans le quartier de Barbès : « une planète de martiens, un refuge d'éclopés, de cassos, d'âmes fragiles, de « ceux qui ont réussi à dépasser Lampedusa », de vieux Arabes d'avant avec des turbans sur la tête et des têtes d'avant, de grosses mamans avec leurs gros culs et leurs chariots qui te bloquent le passage quand tu veux traverser le boulevard. Des gens honnêtes qui ont toujours l'air de voleurs et qui rasent les murs pour pas qu'on les voie … Ma rue a la gueule d'une ville bombardée, une gueule de décharge à ciel ouvert, une rue qui ne dort jamais, où les murs ressemblent à des visages qui pleurent ».

Dès les premières pages, le ton est donné, et Abad va raconter son quotidien et celui de sa bande des « quatre fantastiques » avec laquelle il fait les 400 coups.

Même si la première partie m'a moyennement convaincue car un peu trop axée à mon goût sur les émois sexuels adolescents, je me suis laissée entraîner dans l'histoire de ce personnage malicieux et attachant. J'ai aimé sa rage et son grand coeur, ainsi que la maturité et l'impertinence avec lesquelles il évoque le sort des habitants de son quartier, ces déracinés à qui la vie ne fait de cadeau.

L'auteure décrit d'une plume très juste la violence de la rue, gangrenée par l'intégrisme, la prostitution et la drogue. Au milieu de la misère, elle a su insuffler de la beauté et de l'humanité avec de beaux portraits de femmes. Il y a notamment Gervaise, la prostituée africaine prise au piège d'un réseau et qui rêve de retrouver sa petite fille restée au pays, Odette, sa voisine âgée qui rappelle à Abad sa mémé Jémayel et qui lui fait aimer la culture et les livres, et Ethel, la psychologue au lourd passé qu'Abad est contraint de consulter sur décision du juge des enfants et qui l'aide à « ouvrir dedans ».

J'ai tout de même un petit regret : la chute du livre, assez brutale et qui m'a laissée sur ma faim...

Lu dans le cadre du prix des lecteurs du livre de poche 2021
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