Avec « Vie et mort d'un grand reporter », sa biographie d'
Albert Londres,
Pierre Assouline avait déjà montré combien il admirait ce grand journaliste du début du 20ème siècle qui disparaît à 48 ans précisément sur
le paquebot qui fait l'objet de ce roman. En février 1932 le « Georges Philipar », qui porte le nom du président des « Messageries Maritimes », part vers l'Orient pour sa croisière inaugurale. A son bord, le narrateur, Jacques
Marie Bauer, libraire bibliophile, capable d'entreprendre de si grands voyages pour rechercher des livres rares, mais on apprendra que ce n'est pas son seul but. Il embarque en tant que passager de première classe sur ce dernier né de la compagnie, summum du luxe pour l'époque. Il est notre guide pour décrire la vie à bord, le déroulement du voyage, tout cela avec une extrême précision. Mais c'est surtout pour dépeindre les passagers qu'il excelle, à la fois avec humour, avec empathie, ce qui donne un reflet probablement assez exact de cette société de gens riches de l'après crack de 1929. Il se lie d'amitié avec certains, tel l'ancien commandant de paquebot Pressagny et sa petite fille Salomé, Hercule Martin, l'assureur, qui se vante d'avoir des connaissances médicales, le pianiste russe Sokolowski, l'italien Luigi Caëtani. Dans le salon de conversation, Bauer devient l'animateur d'un groupe de discussion, auquel participent un dénommé Modet-Delacourt, l'italien Caëtani, et deux allemands dont Rainer Reiter, un professeur français Alfred Balestra, et quelques autres. En 1932, rapidement le débat en vient à la montée du nazisme en Allemagne, les allemands soutiennent ouvertement Hitler, mais certains intervenants français également et notamment Modet-Delacourt. On perçoit bien le climat qui régnait en Europe dans ces années trente, et déjà la recrudescence de l'antisémitisme et le questionnement sur le devenir des juifs si Hitler vient au pouvoir. le couple Modet-Delacourt l'intrigue, Bauer se prend d'une amitié intime pour l'épouse Anaïs, tant il la trouve séduisante et mal assortie avec son odieux mari. Au delà de la vie à bord, Bauer nous entraîne dans ses lectures, il voue une admiration notamment pour
Thomas Mann, dont il lit pendant cette traversée «
la montagne magique », mais également beaucoup d'autres... Il nous décrit avec passion son métier de libraire bibliophile, qui recherche les livres rares, comme les chercheurs de trésor. Il nous fait sentir ce qui se dégage de ces livres anciens, l'odeur, le bruit du papier lorsque l'on tourne les pages, la qualité des enluminures, etc...C'est passionnant pour ceux qui aiment la lecture. Il faut aussi préciser que Bauer nous informe des avaries qui se produisent régulièrement sur
le paquebot. Enfin, le navire qui devait atteindre Yokohama, termine son voyage à Shangaï, et repart vers l'Europe avec à son bord de nouveaux passagers dont le reporter
Albert Londres qui soulève l'intérêt de Bauer. Sur le voyage de retour, les nouvelles discussions sur l'évolution de la situation en Allemagne sont très orageuses, elles sont l'image du naufrage qui attend l'Europe. Elles sont également agrémentées par celle de l'Asie, Chine et Japon car
Albert Londres se prépare à publier des articles qui devraient faire sensation. Les incidents techniques à bord du bateau qui se multiplient, vont entraîner une issue dramatique. La précision et la richesse des descriptions est merveilleuse, on vit vraiment au côté de Jacques
Marie Bauer, heureusement
Pierre Assouline nous informe que ce périple sur les océans se termine mal. Formidable roman, merci à son auteur.