Lisez
Margaret Atwood, pas seulement la Servante Écarlate, mais aussi sa poésie ! J'avais beaucoup aimé
Poèmes tardifs publiés l'an dernier, des poèmes célébrant la nature, le temps qui passe, avec la mélancolie tendre d'une femme âgée à l'automne de sa vie, qui se souvenait des mûres dans les campagnes, des amis disparus, et des chants des oiseaux qui, eux aussi, disparaissent.
J'ai beaucoup aimé aussi (oui, j'aime beaucoup
Margaret Atwood) sa Pénélopiade dans le titre originel,
l'Odyssée de Pénélope en traduction française, son interprétation personnelle de l'histoire de Pénélope, cette femme présentée comme l'idéal de la femme au foyer qui attend son mari fidélement pendant vingt ans, en lui restituant toutes ses revendications, ses souffrances, ses désirs aussi.
Ici,
Margaret Atwood choisi la forme poétique pour évoquer
Circé, autre figure mythologique que l'on croise dans l'Odyssée. J'ai apprécié ma lecture de
Circé de
Madeleine Miller, beaucoup lue et critiquée sur Babelio, mais sans plus, sans souvenir marquant. Il y manquait tout ce que j'ai trouvé ici : une écriture forte, sensible, personnelle. le choix de la forme poétique, plus courte, permet donc de frapper l'attention.
Circé est une héroïne de
Margaret Atwood, comme les autres, Grace, June, Pénélope, elle s'exprime, elle exprime ses sentiments, ses désirs physiques – elle aime Ulysse au début, elle « veut son corps ». C'est une femme qui souffre de vivre dans un monde d'hommes, dominé par la guerre et la violence – avant même que soit donné son nom, Ulysse est présenté comme un guerrier, mais surtout un « meurtrier », un « visage d'acier » au « corps tendu comme du bois » et un maître des mensonges. C'est un vétéran qui revient de la guerre et qui en est hanté ; les images de cadavres, de sangs, reviennent régulièrement. Et
Circé souffre des hommes ; un poème est une scène de viol, une relation non-consentie et brutale. Plus largement, les hommes sont responsables des douleurs de la terre et de la mer, de la nature :
Circé habite une île paradisiaque qu'elle refuse de décrire, car toutes les « publicités sont mensongères » : elles ne disent pas les déchets plastiques qui jonchent les plages, les avions qui s'abîment en mer.
Mais le recueil est sous-titré « poèmes d'argile ». L'argile, c'est aussi celui d'une statue de femme dans un mythe que
Circé raconte, une statue qui n'était « qu'un ventre humide et doux » adoré par ses amants qui modelaient la taille de ses seins à leur envie. Elle ne veut pas être cette créature sans âme, n'être qu'un corps. Elle veut donc être une voix, un stylet. Car l'argile constitue la tablette sur laquelle
Circé écrit ses poèmes, ceux-là même que nous sommes en train de lire. A nouveau, comme d'autres héroïnes de
Margaret Atwood, elle s'exprime. le premier poème annonce ainsi Ulysse qui « s'avance à portée de [ses] mots ». Lorsqu'il la viole, « [sa] parole est éclatée, [sa] langue brisée ». C'est l'écriture qui lui permet de résister, de survivre, de « [s']accrocher à la liberté ». C'est l'écriture qui permet aussi de garder les souvenirs heureux, et d'espérer que le futur prévu – et prédit - n'adviendra pas, qu'une autre histoire est possible, ailleurs, sur une autre île. « Lorsque tu partiras, me rendras tu les mots ? » : ainsi se termine l'avant-dernier poème, avant ce rêve d'un ailleurs et d'une autre histoire. Ulysse est parti, il le fallait, il devait en être ainsi. Mais en partant, ce maître du mensonge a permis à
Circé d'écrire, et d'écrire sa vérité.
On retrouve donc des thématiques chères à l'autrice : la nature et l'environnement, les souffrances des femmes causées par des hommes mais aussi leur force pour résister. Et on retrouve la force et la beauté de son écriture.
Je termine comme j'ai commencé : lisez
Margaret Atwood !