Avec «
La fille automate », je me suis prise une claque comme rarement en littérature.
Paolo Bacigalupi nous dépeint un monde post-pétrole qui paraît à première vue à des années-lumière du monde que nous connaissons, mais qui se révèle au fil des pages d'un réalisme à faire froid dans le dos. L'écriture est efficace, immersive, et l'imagination de l'auteur foisonnante. le monde qui prend forme devant nous est saisissant, tout aussi complexe que fascinant et débordant de véritables perles d'imagination. Je pense par exemple aux Cheshire dont le nom et l'aspect font référence au chat de «
Alice au pays des merveilles » de
Lewis Caroll. Ces chats, génétiquement modifiés ont été créés à l'origine en guise de cadeau d'anniversaire pour une petite fille. Mais leur aptitude à se fondre dans le paysage tels des caméléons, leur a permis de supplanter à terme la race féline « naturelle ». J'ai adoré le concept !
Au niveau de l'intrigue, nous suivons tour à tour différents protagonistes, qui évoluent dans des couches distinctes de la société et nous permettent peu à peu de comprendre le monde dans lequel nous évoluons au grès des indices disséminés. Car comme indiqué plus haut, le monde de
Paolo Bacigalupi est extrêmement dense et très difficile à appréhender pour le lecteur qui se retrouve dès les premières pages plongé dans un univers dont il ne maîtrise pas les codes. Ce n'est pas tant le nombre de protagonistes qui m'a dérangé (je n'ai eu aucun problème pour les différencier) mais plutôt le manque d'explications qui perdurent de nombreux chapitres et qui nous conduit à évoluer dans le brouillard sans pouvoir comprendre totalement les faits. Il faut attendre longtemps avant de comprendre que c'est à nous de rassembler les pièces du puzzle, de lire entre les lignes et de saisir au vol le moindre indice dissimulé au détour d'un dialogue ou d'une phrase.
C'est un véritable effort de concentration, une lecture intense au cours de laquelle il faut donc s'accrocher mais dès lors que l'on a compris le fonctionnement de cet univers, on peut apprécier à sa juste valeur l'intrigue qui se dessine peu à peu et les chapitres précédents deviennent tout à coup beaucoup plus clair.
J ai trouvé l'intrigue très bien menée, à la hauteur de l'univers mis en place par l'auteur et jusqu'au bout je ne savais pas quelle direction elle allait prendre. Au terme de ma lecture, je reste avec quelques questions sans réponses, mais loin de me frustrer, cette part de mystère donne à mon goût une valeur ajoutée au roman.
Mais ce qui m'a probablement le plus séduite, c'est qu'au-delà d'une intrigue magistrale, ce livre est aussi un appel à la réflexion sur le monde dans lequel nous vivons et sur nos comportements. Ce n'est pas qu'un (très bon) livre de science-fiction, l'auteur à travers son intrigue envoie un message fort, sans pour autant adopter un ton moralisateur. C'est peut-être d'ailleurs cette distance, cette froideur dans l'énonciation qui rend l'avertissement aussi percutant. En effet, l'auteur ne prend aucun parti-pris. Point de discours écologiste ou moralisateur, pas de « je » dans le récit. Nous vivons l'histoire à travers les points de vue des différents protagonistes et c'est à nous de choisir de quel côté nous situer. Car les personnages et le monde dans lequel ils évoluent ne sont pas manichéens. Chacun a sa part d'ombre, une histoire personnelle qu'il porte derrière lui et qui conditionne ses actes parfois lourds de conséquence.
Dans ce monde ravagé par l'Homme, hors de contrôle, ou l'équilibre de la nature a été bouleversé, et qui se retrouve aujourd'hui dans les mains de grandes firmes jouant les apprentis sorciers à coups de manipulations génétiques aux conséquences collatérales désastreuses, on ne peut que se désoler de s'apercevoir que l'Homme n'a en fin de compte pas tiré de leçons du passé. Alors que le monde continue de s'effondrer autour d'eux, la corruption, les conflits idéologiques et politiques font rage et gangrènent la société au détriment des populations qui vivent dans la terreur et luttent pour survivre. Une vision finalement pessimiste de la nature humaine, où le pouvoir et l'argent prévalent sur tout le reste y compris dans les périodes les plus critiques, quitte à précipiter l'humanité à sa perte.
En conclusion, voilà donc un livre que je recommande chaudement donc mais à un public averti. Préparez-vous à une lecture dense et complexe, loin des dystopies ou autres livres de science-fiction YA. Cependant, il serait très dommage de passer à côté !
Avec «
La fille automate »,
Paolo Bacigalupi nous offre un excellent roman d'anticipation sous la forme d'un portrait aussi inquiétant que troublant d'un monde post-pétrole. Si je ne le classe pas dans la catégorie des coups de coeur, en raison d'un début de lecture chaotique et déstabilisant, tout le reste est un sans-faute avec une mention toute particulière pour l'univers saisissant et la créativité dont fait preuve l'auteur. J'ai d'ores et déjà hâte de découvrir le dernier livre paru de l'auteur, un auteur que je vais d'ailleurs suivre de près !
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