Another country? C'est d'abord la mort. le grand saut dans le vide, du haut du pont de Brooklyn, au fond de l'Hudson : au coeur de la nuit noire, au fond de l'eau noire, Rufus le musicien noie son noir désespoir. Son désespoir de Noir americain. Faute d'un ailleurs où il pourrait aimer et être aimé.
Another country ? C'est Manhattan, ce microcosme de l'intelligentsia new yorkaise où noirs et blancs vont aux mêmes fêtes, aux mêmes concerts de jazz, aux mêmes événements culturels. Dans ce "monde à part" des USA des années soixante, noirs et blancs s'aiment, se désirent , couchent ensemble, vivent ensemble. Se quittent. Comme Ida, la chanteuse et Vivaldo l'écrivain.
Another country? C'est parfois l'exil. Celui que choisit , provisoirement, Eric, acteur et dramaturge, pour fuir l'humiliation et la persécution que lui vaut, dans certains coins de son pays natal, sa double condition de noir et d'homosexuel.
Another country, c'est, en un mot, la négritude.
Même pour les Noirs américains les plus écoutés, les plus lus, les plus admirés, les plus apparemment intégrés.
Même aux yeux des blancs les plus ouverts, les plus militants, les plus solidaires ou les plus amoureux.
Même dans un cocon privilégié comme Manhattan.
Même dans l'exil ensoleillé de la Provence.
Ce "continent noir" marqué par quatre siècles d'esclavage ne s'efface jamais des mentalités, reste inscrit dans les corps comme au fer rouge, est rappelé sans cesse par le nom des anciens maîtres qui tient lieu d'état civil , se trahit dans les regards, dans les hésitations, les méfiances, les ellipses, les généralisations.
Another country ,
Un autre pays est un roman centré sur un petit groupe d'intellectuels. Noirs et blancs, tous amis, ou amants, tous artistes, cosmopolites, généreux, avec des problèmes ordinaires de couple ou d'amitié, des problèmes de succès, de sympathie ou d'antipathie, d'alcool ou de drogue, de sexe ou de solitude, de confiance, de désir, de solidarité ou d'indifférence. Les problèmes de tout le monde.
Sauf que cette terre étrangère, cet "autre pays" où vivent certains d'entre eux - Rufus, Ida, Eric- complique leurs échanges, fausse la donne, obscurcit les perspectives, précipite les drames.
C'était mon premier
James Baldwin, après le magnifique
I am not your negro vu à l'écran.
Je l'ai dévoré le coeur serré. Presque au bord des larmes parfois.
Et j'ai beau me répéter que le livre date des années soixante, le bruit et la fureur des manifestations Black lives matter provoquées par l'assassinat de Georges Floyd aux USA et dans le monde me rappellent clairement que rien, profondément, n'a changé depuis, malgré les lois d'intégration raciale, les mesures de parité forcée , malgré
Barack Obama, ce "président noir" promis aux noirs américains par Bob Kennedy.
On retombe toujours dans les mêmes tristes ornières. Et
Donald Trump succède à
Obama...
Il y a quelque chose de désespérant dans la rémanence obstinée d'
Un Autre Pays quand on voudrait tellement voir l'avènement d'un pays autre.