J'ai lu facilement et rapidement cette nouvelle assez conséquente qu'est
La Vendetta (83 pages dans mon édition Folio classiques).
Balzac y met en scène une famille corse - le père, la mère et la fille, arrivant à Paris sans le sou suite à une vendetta où leur famille a été exterminée, mais surtout la famille ennemie, les Porta. Après que Napoléon leur est venu en aide, conformément à l'honneur et à la tradition corse, tout en avertissant Bartholoméo di Piombo qu'en France de telles pratiques ne sauraient être tolérées, la famille s'installe dans une certaine aisance, et coule des jours heureux. Ginevra, dont le caractère fier et emporté rappelle celui de son père, a désormais 25 ans, mais n'a pas songé jusque-là à quitter ses parents.
Du reste, lorsqu'elle rencontre un jeune soldat de Napoléon - l'intrigue se passe juste après les Cent jours, alors que ceux qui ont pris part au retour de l'Empereur sont traqués et condamnés à mort - caché par le peintre aux cours de qui elle assiste, Servin, cela provoque un drame familial. Bartholomeo ne supporte pas l'idée que sa fille aime un autre que lui. Oui, mais voilà, lui et sa femme ont élevé leur fille en la gâtant, elle est leur égale, et parvient à leur faire accepter de rencontrer l'homme qu'elle aime.
Quelle ne sera pas leur horreur lorsqu'ils apprennent son nom ! Les deux jeunes gens n'ont plus qu'à vivre de leurs propres forces et expédients, et faire face aux rigueurs de la pauvreté, armés de leur seul amour. Bartholoméo saura-t-il pardonner à Ginevra ?
Je deviens familière des "ambiances à la
Balzac" : ici, la peinture domine toute la première partie de la nouvelle. Quel régal que d'observer ce microcosme des leçons de jeunes filles, la cruauté dont elles peuvent faire preuve entre elles ! Si bien de son temps,
Balzac est de tous les temps, lorsqu'il nous décrit le terrible clivage politique engendré par la Restauration, jusqu'au sein des familles, où l'on se déchire parce qu'on est d'un bord ou de l'autre.
Comme justement Luigi Porta (ou da Porta) fait partie des fidèles soldats de Napoléon, et de l'entourage de Labédoyère, qui fut condamné à mort (nous en avons l'écho au sein de cette société close qu'est l'atelier de Servin), j'ai apprécié ce rappel d'une époque historique qui m'a intéressée récemment, avec le mythe des Grognards, ceux qui étaient revenus de Waterloo, et encore avant des campagnes militaires précédentes.
Je suis moins convaincue par l'idéal corse, ce sens aigu et orgueilleux de l'honneur, cette religion de la vengeance qu'est
la vendetta - comme le dit Bartholomeo : "nous les Corses, nous nous expliquerons directement avec Dieu". Toutefois, je ne peux que constater que
Balzac fait encore du grand art en produisant des scènes, des portraits contrastés, d'une force passionnée, virulente ; ce faisant, autant qu'il nous entraîne sur leurs traces et nous confond avec leurs émotions, il nous offre toujours cette incroyable puissance d'analyse, ce recul sur l'âme humaine, avec des phrases d'une netteté redoutable, d'une poésie sensible, qui font mouche et qu'on n'oublie pas.