Deuxième livre de
Barjavel après
Ravage,
le voyageur imprudent sort en 1944, après avoir été, comme son prédécesseur, publié en feuilleton dans le journal antisémite de triste mémoire Je suis partout.
Barjavel sera à la Libération blanchi des accusations collaborationnistes qui pesaient sur
lui, mais
Ravage reste aujourd'hui encore empreint d'une odeur de soufre liée à cette première parution du fait de ses engagements réactionnaires.
En dehors de cette question politique, lorsqu'il publie ses deux premiers romans fantastiques coup sur coup,
Barjavel fait figure de précurseur. La science-fiction française n'existe pas et l'américaine n'a pas encore franchi l'Atlantique. Personne ne connaît
Isaac Asimov,
A. E. van Vogt ou
H. P. Lovecraft.
Barjavel se présente aux yeux des lecteurs français comme le créateur d'un nouveau genre totalement inédit.
Pourtant,
le voyageur imprudent est loin d'être aussi novateur qu'il n'y paraissait à l'époque. Il est très influencé par La machine à remonter le temps de
HG Wells, réutilisant le principe maintenant usé jusqu'à la corde du voyage temporel. Néanmoins,
Barjavel apportera sa pierre à l'édifice du genre en y introduisant la question du paradoxe temporel (les actions commises dans le passé modèlent un nouveau futur). Paradoxe avec lequel la pop culture de Retour vers le futur à Terminator jusqu'aux super-héros Marvel n'a cessé de jouer depuis.
Pierre Saint-Menoux – agrégé de mathématiques et enseignant - est mobilisé en 1939 pour combattre. Au cours d'une de ses missions, par une nuit d'errance glaciale, il rencontre Noël Essaillon, un célèbre physicien obèse et amputé des deux jambes. Ce dernier
lui fait part de son invention révolutionnaire : la « noëlite », une substance qui permet de voyager à travers le temps. L'inventeur compte mettre cette découverte au service de l'humanité, afin de trouver le secret de la paix et du bonheur collectif. Mais on ne traverse pas les temps impunément… Les explorateurs temporels vont organiser des voyages à trois époques différentes. En 2052, puis en l'an 100 000. Enfin la dernière partie du livre s'organise autour de sauts dans le passé.
le voyage dans le temps a beau être un sujet éculé, il reste extrêmement ludique même si le procédé inventé pour le réaliser a toujours un côté naïf. Néanmoins, les gadgets qui l'accompagnent dans le livre de
Barjavel (le scaphandre et le brouilleur) sont malins et permettent des jeux narratifs très réussis.
L'an 2052 – période où se situe
Ravage – est l'occasion pour l'auteur d'organiser une forme d'autocitation qui pour ce
lui qui a lu son précédent ouvrage s'avère très amusante. Ce procédé permet d'une certaine façon de faire du voyageur imprudent une suite ou une variation du roman précédent. Dommage que cette partie soit si courte !
J'ai eu plus de mal avec la vision d'un futur de l'an 100 000, qui m'a semblé la partie la moins intéressante et pourtant la plus développée de l'ouvrage. L'auteur y présente un nouvel homme ainsi qu'une nouvelle société inspirés d'une organisation telle que celle des abeilles ou des fourmis, où l'individualité a disparu.
La dernière partie constituée de voyages dans le passé est à mon sens la plus prenante et intéressante, car jouant avec le paradoxe temporel. La chute du livre constitue un éclair de génie qui servira de fondement à nombre d'oeuvres par la suite.
Barjavellui consacrera d'ailleurs une postface quelques années plus tard tant elle aura marqué l'histoire de la science-fiction.
Loin des thèmes controversés de
Ravage,
le voyageur imprudent est avant tout un récit d'aventures. Même s'il est moins noir que son premier roman,
Barjavel ne se départit pas d'un regard sombre sur la société humaine car quelle que soit l'époque visitée par ses héros, aucune ne répond à l'idée de paix et de justice qu'ils cherchaient à trouver. L'époque où a été rédigé ce roman n'y est sûrement pas pour rien.
Tom la Patate
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