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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Sous le charme.
Le charme du Jardin des Finzi-Contini, si subtil et mélancolique, avec tout son lot de désirs frustrés, sa douce amertume, ses personnages qui, à la possession des choses, préfèrent le souvenir que l'on a d'elles, «le souvenir en face duquel toute possession ne peut, en soi, apparaître que décevante, banale, insuffisante», vous enveloppe de sa beauté vaporeuse et cependant très profondément ancrée dans un contexte historique, social et politique prégnant.
Le tombeau des Finzi-Contini, dans le cimetière israélite de Ferrare, est énorme, hideux, monumental - mais seul un des membres de la famille que le narrateur a connus y repose. Les autres sont morts déportés en Allemagne - «qui pourrait dire s'ils ont trouvé une sépulture quelconque?»
Alors il se met à raconter ses souvenirs - une sorte de récit-sépulture où ils pourront trouver une place?
Dans la maison isolée des Finzi-Contini, au milieu des moustiques et des grenouilles du canal et des fossés d'écoulement, alors que le régime fasciste se mettait à promulguer des lois antisémites, se sont nouées et dénouées des relations complexes et fortes, pleines du trouble et de la confusion des amours de jeunesse. La brillante Micòl aux cheveux de lin, au regard magnétique, vive, spirituelle, est belle comme un premier chagrin d'amour, comme ces amours mort-nées qui n'en finissent pas de vivre et de mourir dans nos souvenirs.
Rien de tranchant, beaucoup de grâce dans cette cette écriture si fine, si pénétrante dans sa façon de manier le non-dit, l'ambigu, l'humour, tout en se plaçant sous la menace de l'horreur historique à venir.
Le parfum du Jardin des Finzi-Contini, ça vous pénètre subtilement, ça vous imprègne d'une manière intangible, ça reste en vous quand vous avez refermé le livre. Une bien belle lecture.
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Dès les premières pages, le lecteur ressent l'atmosphère proustienne de ce roman à la fois fiction littéraire mais aussi faite des réminiscences du passé. L'écriture de Georgio Bassani est feutrée, intimiste, finement ciselée de mots choisis, de descriptions liées au paysage comme à l'analys psychologique des personnages. Une écriture de la mémoire à la manière de Marcel Proust ou Ivan Bounine, cette nécessité de coucher sur le papier et d'arrêter le temps par le truchement de la littérature. Michel Arnaud nous offre une très belle traduction de ce roman. J'ai été particulièrement sensible à l'écriture et à l'ambiance du roman. Lorsque j'ai refermé le livre, je me suis sentie orpheline, c'est une sensation que je n'ai pas ressentie depuis fort longtemps. Et puis, il y a la magie de Ferrare que j'ai essayé de me représenter en voguant sur internet. Ce sera pour une prochaine visite, Bassani ne me quittera pas.

Le livre s'ouvre sur la visite de la nécropole étrusque de Cerveteri à une cinquantaine de kilomètres de Rome. La réflexion d'une enfant sur ces tombes va susciter chez le narrateur, Georgio, des souvenirs de sa jeunesse à FERRARE, du cimetière juif où il revoit la tombe hideuse mais monumentale des FINZI-CONTINI, significative de l'importance de la famille.

A cet instant, le fil de la mémoire déroule sous la plume de Georgio les souvenirs de cette période marquée par les lois raciales qui viennent d'être promulguées en Italie. Les FINZI-CONTINI sont de grands propriétaires terriens, issus de la branche de Moisé FINZI CONTINI qui a fait fortune. Quant à Georgio, il fait aussi partie de la communauté juive de Ferrare mais il est issu de la classe moyenne cultivée, les deux familles ne se rencontrent qu'à la synagogue.

Tous ces jeunes gens sont amateurs de tennis et font partie du club de Ferrare. C'est à la suite de la promulgation des lois raciales qu'ils vont se voir exclus du club. Cette ségrégation va donner l'idée à Micol FINZI-CONTINI, la fille du professeur Ermanno et de la signora Olga, d'inviter ces fervents du tennis dans ce magnifique jardin aux essences multiples et variées.
Cette belle propriété de plusieurs hectares entoure la « magna domus », sorte de manoir gothique et qui possède un court de tennis qui ne demande qu'à les accueillir.

De partie de tennis en partie de tennis, d'appel téléphonique en appel téléphonique, Georgio va tomber amoureux de la belle Micol mais hélas, sans espoir de retour.

Ce qui m'a fascinée dans cette fiction littéraire c'est d'imaginer ces jeunes gens jouer au tennis, de les voir vivre, s'amuser, discuter études, politique, flirther, réciter des vers, parler littérature, comme si à l'intérieur de l'enceinte du jardin, rien ne pouvait les atteindre. Bassani fait bien ressentir à son lecteur cet espace ouaté, où le funeste ne pénètre pas ou peu et où cet été là est un été idyllique.

Le chaos règne à l'extérieur et la tragédie n'est pas loin, mais, hormis une réflexion de temps à autre sur les injustices, les humiliations qui rendent la vie de cette communauté difficile à cette période, rien ne vient troubler le calme de la « magna domus ».
Parfois, le lecteur ressent l'angoisse de l'éphémère affleurer. Cette révolte, je l'ai ressentie chez Georgio lorsque celui-ci se fait exclure de la bibliothèque municipale et que le professeur Ermanno lui ouvre la sienne afin qu'il puisse préparer son diplôme. Mais cette discrimination ne s'arrête pas et elle allège le groupe qui se retrouve à quatre joueurs.

Sinon, rien ne vient troubler la « magna domus » et son jardin : c'est un peu à l'image d' un espace sacré, le jardin d'Eden avant la chute. le temps s'écoule et Georgio prend conscience petit à petit que son amour est sans issu mais ses maladresses et son insistance auprès de Micol finira par lasser cette dernière. L'amoureux excessif se verra exclu du Paradis. La chute sera pour lui mais aussi pour le monde qui l'entoure.

« Micol répétait continuellement également à Malnate que son avenir démocratique et social la laissait totalement indifférente, qu'elle abhorrait l'avenir en soi, lui préférant de beaucoup « le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui » et plus encore le passé, le cher, le doux, le charitable passé,
Et comme ce n'était là, je le sais, que des mots, les habituels mots trompeurs et désespérés que seul un véritable baiser eût pu l'empêcher proférer, que justement de ces mots et non d'autres soit scellé ici le peu de chose que le coeur a été capable de se rappeler. »


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Je viens de réaliser un vieux rêve: relire, en italien cette fois, le Jardin des Finzi-Contini, lu il y a très longtemps, adoré et ….revisité plusieurs fois, par le biais de son adaptation au cinéma par Vittorio de Sica.

J'avais aussi aimé le film et, dans ma mémoire, les pages du livre et les images du film se mêlaient et se prêtaient mutuellement ambiances et couleurs au point que je n'arrivais plus à démêler les unes des autres...

La relecture en VO a tout remis en perspective.

Que le livre est fort, fait de suggestions puissantes, d'ironiques introspections, de non-dits troublants! Toutes choses que le film, essentiellement dévoué à l'image, peine à rendre avec subtilité, quelle que soit par ailleurs sa qualité.

Le récit commence dans une tombe étrusque, visitée, à Cerveterri, par le narrateur, qui accompagne un couple d'amis avec leur enfant, et par une remarque de cette dernière: "Qui sont les plus anciens, papa, les Hébreux ou les Étrusques? " et l'enfant d'ajouter : "Quelle mélancolie! Pourquoi les tombes antiques suscitent-elles moins de mélancolie que les plus récentes? »

La « malinconia » dès lors emporte le narrateur, attendri et troublé par cette remarque d'enfant, dans un long voyage mémoriel.

Dès le début, s'opère un lent mouvement funèbre de repli dans le temps : d'abord la tombe étrusque, et puis le cimetière juif de Ferrare, et, dans ce vieux cimetière, le tombeau baroque et surchargé des Finzi-Contini – presque un cénotaphe pourtant : tous ceux qui auraient dû reposer dans cet aristocratique caveau familial sont partis en fumée dans les camps de la mort.

Funèbre ouverture et funèbre clôture : le récit s'achève sur un double « tombeau »poétique : les vers de Mallarmé, cités par Micol Finzi-Contini : « le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui », qu'elle aime plus que « l'horrible futur » - mais qu'elle place pourtant largement après « il caro, il bel, il pio passato »- « le cher, le beau et le pieux passé ».
Paroles de désespoir et de dépit sur lesquelles, à son tour, pieusement, le narrateur pose les scellés de son récit , comme un dernier baiser d'amour à celle qui n'est plus.

Cette ouverture et cette fermeture, funèbres et musicales, encadrent gravement le récit d'un premier amour vécu à contre-temps entre le narrateur, un très jeune garçon possessif, maladroit et romanesque et Micol Finzi-Contini, une jeune fille libre, vive et extraordinairement lucide.

Lui est un jeune intellectuel féru de littérature, issu d'une bourgeoisie juive assimilée et aisée –son père, avant d'en être exclu, a même adhéré au parti fasciste.
Elle est issue d'une vieille aristocratie juive établie en Italie après l'inquisition espagnole : elle incarne l'indépendance, la modernité, le refus des préjugés étrangement associé au goût et à la pratique des traditions.


Mais bientôt , en Italie, les lois raciales sont promulguées par Mussolini : la fonction publique, l'école, l'état-civil sont réglementés. Et même les clubs de tennis font l'objet d'une pointilleuse discrimination. Réservés aux aryens. Alors, comme s'était généreusement ouverte à ses coreligionnaires ferrarais la synagogue espagnole brillamment restaurée par la famille Finzi-Contini, celle-ci ouvre aussi aux juifs ferrarais exclus du club de tennis les portes de son jardin et les terrains de son tennis privé . Et quand le narrateur se voit refuser de poursuivre ses recherches universitaires, le docteur Ermanno Finzi-Contini lui ouvre aussi sa magnifique bibliothèque, lui permettant de consulter ses inestimables lettres de Carducci…

Fermeture et ouverture, là encore : la société démocratique se ferme, l'aristocratique famille s'ouvre ; l'intégration, l'assimilation se révèle un piège, et les aristocrates qu'on jugeait hautains s'avèrent être les divinités tutélaires d'un paradis qu'on croyait perdu, et qui ne l'est peut-être pas encore…

Dans cet univers entre parenthèse, ce paradis provisoire guetté par la tourmente de l'Histoire, tout prend une intensité extraordinaire : le charme des lumières et celui des saisons - ah, cette première pluie d'automne observée sur le seuil de la remise par les jeunes gens , signe avant-coureur des désillusions sentimentales et des malheurs à venir – le goût de la Skiwasser aux grains de raisin, recette de Micol, le rebond des balles sur le terrain de terre rouge remis à neuf pour accueillir les nouveaux hôtes, les apparitions silencieuses du grand danois Jor, fidèle escort-dog de Micol, les làttimi, ces verres vénitiens dont elle fait la collection, le vieux tumulus aux odeurs de mousse et d'eau croupie, cachette des premières amours enfantines, les murs degli Angeli qui encerclent de leur rempart le fameux Jardin, et , au coeur de celui-ci, la Magna Domus, immense, labyrinthique, une « folie » des siècles précédents dotée de tout le confort moderne.

Dans cet écrin unique, s'exaltent les passions : celle d'Alberto pour la décoration « moderniste », qui masque mal sa solitude et sa probable homosexualité, celle faussement conflictuelle de Malnate, le goï milanais et communiste et de Micol, l'aristocrate intellectuelle et hédoniste, et enfin, bien sûr, celle du narrateur pour la belle Micol dont nous avons déjà parlé - tout prend , dans un tel écrin, un éclat, une profondeur, un mystère particuliers…

Et on comprend aussi pourquoi, dans un univers aussi clos et protégé - mais pour combien de temps encore ?- lever le voile sur les réalités devient insupportable : tout y est en sursis, les gens, les sentiments, les plaisirs.

Il ne faut pas voir Alberto pâlir, s'étioler, et bientôt mourir, il ne faut pas essayer de savoir de qui l'apparition fantomatique de Jor, le chien danois, annonce l'improbable rencontre, dans le grand parc nocturne, ni pourquoi une échelle, derrière la brèche du mur, permet de pénétrer incognito dans le parc en venant de la piste cyclable qui traverse la ville.

Sous peine de briser le charme, l'équilibre délicat qui entretient l'illusion.

Tout est suggéré mais rien n'est dit, la vie paraît incroyablement futile mais elle est si grave au fond…

C'est ce mélange doux-amer, ce refus du pathos et cette vraie nostalgie qui font le ton inimitable de ce roman.

La « pudeur farouche », l'humour discret et distancié du narrateur y sont pour beaucoup : ils font mouche. On sourit de sa gaucherie, de son amour possessif et immature- comme on rit du snobisme de Micol, de sa prononciation si particulière et affectée- mais quand, tout à coup, devant la première pluie d'automne, le narrateur comprend la précarité du bonheur, ou qu'il manifeste, après une nuit éprouvante, sa tendresse pour un père jusqu'alors maintenu à distance , un père qui croyait naïvement qu'on pouvait être « doucement fasciste » et qui lui avoue cette nuit-là que les temps arrivent où il ne pourra plus aider ses enfants à survivre, on est totalement bouleversé.

Ce sont ces petites fêlures dans la grande musique ou ces grandes failles dans la petite chanson de l'insouciance, comme on voudra, qui donnent à ce roman magnifique toute sa profondeur. La phrase, proustienne, pleine de parenthèses et qui baguenaude, comme nonchalante, dans les allées de la mémoire, ne perd jamais de vue son objectif et, tout à coup, vous cueille à l'improviste, et vous pétrifie d'émotion.

Touché, coulé !
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Prendre la mesure d'une merveille : en 1962 chez l'éditeur Giulio Einaudi (oeuvrant en la Cité piémontaise de Torino) naissait un drôle de "roman" intitulé "Il Giardino dei Finzi-Contini"... Ce gros bourg tranquille qu'est l'historique Ferrare y était dépeint longuement, amoureusement, en mille détails chatoyants et teintés de la plus grande angoisse comme de la plus grande authenticité... Etrangement dédicacé à une très mystérieuse "Micòl", une large "pastille d'espace-temps" se déploie devant nous en ses deux longues angoissantes années, 1938 et 1939, veille du grand basculement : la gangrène mussoliniste ravageant sournoisement, tout le vivre-ensemble des concitoyens depuis des Lustres... (on croit entendre les dents des rongeurs s'attaquant au coeur de la boiserie qu'on pensait si solide....). Les "Lois raciales" (euphémisme sournois de la "campagne de la race" promulguée dès l'été 1937) gagnaient du terrain dans un assentiment d'apparences... jusqu'à la grande rafle d'un certain automne 1943 (sous cette soi-disant "république" des Salauds , de septembre 1943 à avril 1945)...
Mais voilà : le jeune Giorgio aime Micòl.

Depuis ses douze ans où il l'a vue au sommet du grand mur d'enceinte de la propriété (la "magna domus" et son Jardin d'Eden) de Barchetto del Duca...
Mais le destin est contrariant, comme les amours peuvent l'être... L'amour n'est pas forcément payé de retour et les fées restent inaccessibles et hermétiques aux baisers empressés...

Micòl Finzi-Contini, son frère Alberto, souffrant en silence de sa lymphogranulomatose jusqu'à l'asphyxie finale (on songe à la fin atroce du juriste Franz Kafka), le professor Ermanno , son épouse Olga, la signora Regina, et "les invités" à la propriété comme Bruno Lattes, Adriana Trentini, Giorgio bien sûr... flanqué de son ami (et rival naïvement insoupçonné), le dottore (en droit), Bruno Malnate surnommé "Le Malnate ", communiste clandestin de Milano...
Tous les personnages de cette fresque intimiste sont là...
La religion juive aussi, dépeinte amoureusement en tous ses rituels (vus initialement "à hauteur d'enfants")...
Comment dépeindre les mille sortilèges de ce livre ?

On sait que la blonde Dominique Sanda incarnera avec tant de grâce Micòl Finzi-Contini dans l'excellent film "tardif" de Vittorio DE SICA en 1971 : le réalisateur du "Ladri di biciclette" (1948) "trahira" - selon Bassani, mécontent - avec son habituel brio l'ouvrage-phare du romancier... tout en étant fidèle à "l'esprit" de cette merveilleuse et nostalgique "Chronique des événements amoureux" : se remémorer bien sûr le "Kronika wypadków milosnych" (1974) du polonais Tadeusz KONWICKI, roman d'inspiration autobiographique pareillement nimbé de lumière dorée) : fidélité à la brume du souvenir d'avant septembre 1939...

Michel Arnaud a reproduit ici (quinze années plus tard, en 1964) le miracle de sa traduction cristalline de "Il deserto dei Tartari", ce 3ème roman de Dino BUZZATI écrit en 1939 (publié chez Rizzole dès 1940) et dont on connaît la fabuleuse destinée : cette première traduction française, devenue "canonique" dès 1949 [*] traçait la voie avec brio aux égales qualités esthétiques de traductions ultérieures des deux premiers romans buzzatiens, à savoir "Bàrnabo delle montagne" (publié chez Treves-Treccani-Tumminelli en 1933) et "Il segreto del Bosco Vecchio", chez le même éditeur italien en 1935) dues à Michel Breitman qui paraîtront en France en 1959, soit dix années après ce "Désert" à la belle et mystérieuse destinée planétaire...

Bref, la prose sinueuse du travail de Michel Arnaud sur "Il Giardino dei Finzi-Contini" (rendu en 1964, deux années après la première édition italienne) y est d'une merveilleuse inventivité, d'une fidélité exemplaire à la mélancolie pointilliste du"magnus Opus" bassanien, d'une si rare, merveilleuse puissance d'évocation...

[*] ... "canonique" et intouchable comme nous l'espérons ! Aussi, "prière d'insérer" ici une très humble PRIERE : "Pitié, messieurs les éditeurs feignasses humant toujours "l'air du temps", point de "nouvelles traductions" branchouilles, moins "désuètes" et plus "adaptées" !!! :-)
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Formidable texte que ce roman de Bassani, écrit dans les années soixante et qui revient sur le sort des juifs italiens avant et pendant la seconde guerre mondiale, à travers la vie d'une famille juive de la grande bourgoisie, les Finzi-Contini, vue par le regard d'un jeune juif de milieu modeste amoureux de leur fille Micol, la soeur de son ami Alberto. Amour maudit et non partagé, qui donne au contexte une force particulièrement tragique, lorsque le destin se met en route et entraîne avec lui tous les protagonistes de l'histoire. Ce qui est analysé ici en filigrane mais en même temps avec une rare puissance d'évocation, c'est la lente et implacable montée des événements, la mise en place des éléments qui vont se terminer par le drame, comme dans" le Rivage des Syrtes" de Julien Gracq. L'histoire d'amour du narrateur, rejoint L Histoire en évoquant un passé révolu que va dissoudre le nazisme et l'alliance germano-italienne. Lieu clos et sublime, le jardin des Finzi-Contini croit pouvoir s'isoler du reste du monde, en vain. Par les brèches de ses murs s'infiltreront le narrateur en quête d'un amour désespéré et le vent de l'Histoire. L'argent ne les protègera de rien, et leur destin sera à la mesure de leurs illusions. le fils mourra de maladie à l'intérieur même du domaine (par manque de pouvoir respirer, ce qui n'est pas anodin) alors que leur mère, obsédée par les microbes, tentait d'empêcher ses enfants de sortir de chez eux. Tous les autres mourront en camp de concentration.
Proche aussi du "Guépard" de Lampedusa par ce côté fin de civilisation qui caractérise ce roman, ce texte est servi par une écriture irréprochable, à la fois brutale et sèche, presque violente en dépit de phrases qui s'enroulent sur elles-même dans une spirale qui noue peu à peu le drame et le conduit à son dénouement. On est tenu en haleine d'un bout à l'autre : des tensions se créent, les personnages sont comme paralysés par leur vie et par leurs habitudes face à l'inévitable et semblent se mouvoir dans une gangue d'inertie impuissante qui les conduit à leur perte en toute conscience et en toute lucidité. Est-ce inconscience, résignation , force de l'habitude, le destin se met en place avec une impitoyable capacité de fonctionnement. L'écriture invite à la rapidité comme si tout retour en arrière, la possibilité de bloquer les choses étaient impossibles. Un seul bémol : la fin, abrupte et trop courte par rapport au reste du livre termine le texte une peu en "pétard mouillé." Tout se termine au moment où l'histoire d'amour du narrateur s'achève, et l'épilogue conclut sèchement l'histoire de la famille en deux pages à peine. Je suis restée un peu sur ma faim.
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Un roman envoûtant, celui de relations humaines complexes qui finalement demeurent en suspence. le microcosme de la Ferrare bassanienne, dont se détache la famille Finzi-Contini, séparée du monde par les murs de son immense jardin planté d'essences rares.
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Un beau livre d'atmosphère qui nous immerge dans une époque, à un moment donné très particulier. Un livre chargé de réminiscences qui m'a fait vraiment penser à l'excellent Retour à Brideshead d'Evelyn Waugh.

L'époque est celle qui suit l'accession de Mussolini au pouvoir jusqu'à la guerre. le récit se déroule à Ferrare, non loin de Bologne dans la communauté juive de la ville. le narrateur encore enfant est fasciné par une fille de son âge, Micol Finzi-Contini, qu'il n'aperçoit qu'à la synagogue puisque la petite fille ne va pas à l'école comme lui, mais suit des cours particuliers à la maison donnés par différents professeurs. Micol Finzi-Contini appartient à l'aristocratie de Ferrare et les Finzi-Contini restent sur leur quant-à-soi, ils ne fréquentent que peu de monde à Ferrare, même dans la communauté juive. Les deux enfants attirés l'un par l'autre se perdent alors de vue, pour se retrouver une dizaine d'années plus tard, alors qu'ils sont étudiants et que les lois raciales promulguées par Mussolini restreignent petit à petit les libertés des juifs italiens.

Un groupe de jeunes gens, dont le narrateur, se retrouvent alors dans la propriété des Finzi-Contini pour y jouer au tennis car ils ont été exclus du club de tennis de Ferrare parce qu'ils sont juifs. le narrateur retrouve alors sa complicité avec Micol et en tombe amoureux.

Ce sont ces après-midis passés dans le jardin des Finzi-Contini pendant des mois et cette idylle naissante que relate le narrateur. Ce seront des mois d'amitié, d'éveil amoureux timide dans une sorte d'oasis que les événements extérieurs semblent un peu épargner pour un temps. L'auteur parvient avec élégance à traduire cette forme de lourdeur, d'engourdissement que la menace raciale fait peser sur les journées ensoleillées de ces jeunes gens. Tous pressentent sans l'exprimer, et en particulier Micol, que soudain le temps va s'arrêter. Cette atmosphère est d'autant plus prégnante que le roman s'ouvre sur une description du monument funéraire des Finzi-Contini dans le cimetière de Ferrare et que l'on apprend d'emblée ce qu'il est advenu de la famille.

Un roman magnifique, tout en finesse, pour parler d'une parenthèse presque enchantée dans un moment tragique de l'histoire.
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Une visite de la nécropole de Cerveteri un dimanche d'avril 1957 est à l'origine de ce récit offert par le narrateur à la mémoire de Micol jeune femme aimée dans sa jeunesse. Comme si le site Étrusque lui renvoyait l'écho d'un autre vestige, d'enfance celui-là, toujours vivant en lui à travers le souvenir du cimetière juif de Ferrare et de la tombe érigée par le vieux Moisè Finzi-Contini à la fin du XIXe siècle pour sa descendance dont cette jeune femme faisait partie. Pages dédiées à Micol qui font immédiatement resurgir la vision de la « Folie » du XVIe siècle entourée d'un parc et ceinte de hauts murs, au coeur de Ferrare, ayant appartenu à la maison d'Este. Rachetée et restaurée au XIXe siècle par la vieille famille juive des Finzi-Contini et dans laquelle Micol avait grandi et vécu. le texte tout entier vibre comme un hymne à la culture dépassant par-delà les siècles les monstruosités de l'histoire en unissant les traces émouvantes et raffinées d'un très lointain passé archéologique toujours présent et l'héritage humaniste plus récent pris dans le tragique de la mémoire ferraraise de l'auteur.

L'observation fidèle du microcosme de la minorité juive ferraraise frappe dès les toutes premières pages et fait partie intégrante de ce récit rétrospectif qui prend pied dans l'Italie mussolinienne. Elle rend compte des tensions contradictoires d'une communauté juive partagée entre son désir d'ignorer superbement le parti fasciste – position Finzi-continienne – ou celui d'y chercher au contraire des appuis pour d'autres de ses membres. Mais qu'ils aient cherché ou non à "s'arranger" avec le parti tous les juifs subiront in fine l'iniquité du programme racial édicté par le régime. La demeure des Finzi-Contini, la « magna domus », comme l'appelle ironiquement le reste de la communauté israélite, selon la terminologie de l'époque, impose sa forte présence dès le début du livre sans pour autant qu'on y pénètre. le jardin des Finzi-Contini délimite un espace et un univers parfaitement clos, dont la découverte ne sera que très progressive ; le narrateur reste au pied du mur de la propriété en juin 1929, sous l'oeil narquois de Micol, et franchit la porte cochère du parc, devenu jeune homme à la fin de l'été 1938 peu avant la promulgation des lois raciales. La maison ne nous est ouverte que dans la troisième partie du livre. C'est par elle que le narrateur apprend à connaître un peu mieux les Finzi-Contini et peut tenter d'approcher Micol. Passé le temps des études, il se retrouvera avec d'autres amis, exclus des clubs sportifs ferrarais par les mesures raciales, pour jouer au tennis chez les Finzi-Contini. Et c'est dans la fougue de leur jeunesse et à l'ombre du grand parc baigné par la lumière déclinante de la fin de l'été 1938 qu'on les suit avec inquiétude de pages en pages dans leurs relations complexes, jusqu'à l'épilogue.

L'évocation de l'enfance tient une place particulièrement importante dans la construction du récit. Giorgio le narrateur relate les conditions de son amitié naissante avec les enfants Finzi-Contini. Voisins de bancs à la synagogue, sa famille y côtoie un temps celle d'Alberto et de sa soeur Micol Finzi-Contini, au moins deux fois par an, à Pâques et à Kippour. Dans la communauté israélite très assimilée de Ferrare les Finzi-Contini dérogent par des manières jugées trop aristocratiques, « à part » : du monument funéraire décrié de leur bisaïeul à la vaste propriété, en passant par l'éducation « maison » qu'ils réservent à leurs enfants – ceux-ci ne fréquentant pas le lycée de la ville – comme les autres enfants de la communauté. Tous cependant se réunissent chaque année en juin devant le mur des résultats d'examens ; ainsi naît l'attirance entre Micol et Giorgio.

Texte beau et funèbre à la fois qui rapproche dans son prologue les tombes Etrusques et celles du cimetière juif de Ferrare et suggère immédiatement l'idée de la disparition irrémédiable des choses et des êtres. le vrai sujet du Jardin des Finzi-Contini est bien au delà des mots ; le passé se superposant au présent, dans une contraction du temps où tout semble suspendu à la menace inexorable du fascisme et de l'imminence de la guerre pour les protagonistes. L'évolution des sentiments entre le narrateur et Micol sont inséparables de ce contexte. Plus on avance dans la lecture plus on a l'impression que la littérature – Ferrare est la ville natale de l'Arioste où fut écrit l'Orlando Furioso –, particulièrement la poésie sont, autant ou peut-être plus que l'amour - qui ne peut accomplir ici tous les prodiges - les derniers refuges capables de sauvegarder les rares espérances encore possibles. La littérature reste au coeur des conversations, tente de faire oublier les affres soulevées par la politique immonde du régime et les menaces internationales.

Car l'ancienne Folie de la Renaissance, habitée par le professeur Ermanno, sa femme Olga, la mère de celle-ci, et leurs deux enfants Alberto et Micol, est un temple de livres. La bibliothèque, riche d'innombrables volumes, offre une compensation consolatrice aux mesures discriminatoires qui excluent les juifs de la bibliothèque municipale de Ferrare. La « magna domus » figée dans l'immobilisme, selon certains, fait maintenant figure de dernière patrie héroïque des livres et de l'humanisme de la Renaissance qui hante toujours ces lieux. Elle devient la plus fragile mais la plus symbolique des forteresses dressée face à la ville contre toutes les vexations et les humiliations infligées aux juifs et dont le narrateur, devenu bientôt ami de la famille Finzi-Contini, inscrit la chronique sombre et douloureuse dans des pages sublimes de retenue et d'une poignante mélancolie.

On sait tous que Giorgio Bassani, qui prête beaucoup de lui à son narrateur, est un survivant de l'holocauste. L'écriture de ce livre noue la gorge et confond par sa beauté mesurée qui plonge le lecteur aux racines de sa propre humanité.
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Un éblouissement d'abord cinématographique
Ayant adoré le film de Vittorio de Sica sur le jardin des Finzi-Contini (déjà la titre !), l'ambiance ferraraise chic (et ça n'est rien de le dire), les superbes cours de tennis, Dominique Sanda, puis le poids dramatique de l'histoire incroyablement présent dans ce film...j'ai lu depuis le très beau roman de Bassani. Pour constater à quel point l'on tient ici deux oeuvres magnifiques et à quel point également le film constitue, comme rarement, un miracle d'adaptation littéraire...
Deux oeuvres en tout cas qui ne donnent qu'une envie, celle de se rendre dans la campagne ferraraise...
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*Lu en italien*

Même si j'ai eu du mal à rentrer dans cette lecture, je ne regrette pas d'avoir persévéré car ce roman est véritablement magnifique !

En effet, plusieurs éléments m'ont rebutée au début : le style complexe, l'antipathie que m'inspirait le personnage, l'absence d'intrigue… Et pourtant, progressivement, je me suis laissé embarquer et j'ai été charmée par ce récit.

Le sujet du livre est l'amour que porte le héros – anonyme – à sa voisine, Micol Finzi-Contini, et le développement de cet amour de leur enfance à l'âge adulte. Mais ceci est un piètre résumé tant le Jardin des Finzi-Contini est bien plus que cela ! Dans un style tantôt poétique, tantôt mélancolique, tantôt comique (on ne peut s'empêcher de sourire face à la maladresse du protagoniste), les chapitres constituent une suite de moments : des souvenirs de jeunesse sous forme de scènes ou de remémorations, mais même les dialogues les plus joyeux sont empreints d'une forme de triste nostalgie.

Et c'est grâce à la poésie que dégage l'ensemble du récit, ainsi qu'à la beauté de l'écriture, que j'ai aimé ce livre, car le personnage principal m'a agacée du début à la fin.

Un autre mérite du roman est de ne pas se transformer en énième livre sur le fascisme ou la Seconde Guerre Mondiale. Si le contexte est bien là, à travers les discussions politiques des personnages et les lois raciales dont sont victimes les personnages, tous issus de la bourgeoisie juive de Ferrare, il n'est pas prédominant. le livre reste un roman d'initiation et l'histoire d'un garçon, puis d'un jeune homme, qui grandit et vit son premier amour – et il se trouve que cette intrigue se déroule dans les années 1930 en Italie. Si le prologue nous fait croire que la fin tragique est due à la guerre, il n'en est en réalité rien.

C'est donc assez émue que j'ai refermé ce roman, tout autant attristée par le dénouement que par le fait que ce soit déjà fini !
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