Ce livre a tout de suite éveillé ma curiosité. le titre, d'abord «
Je viens ». Puis, la quatrième de couv', qui évoque des thèmes dans l'air du temps : le racisme, le fait de vieillir, les familles que l'on hait. Aussi, quand j'ai vu que «
Je viens » était dans les nouveautés Folio, je n'ai pas hésité et je l'ai choisi. Je remercie donc les éditions Folio pour cette jolie découverte.
Le roman d'
Emmanuelle Bayamack-Tam est un roman à trois voix. La petite fille, Charonne, est une enfant adoptée par Gladys et Régis, un couple de blancs. Charonne est noire, obèse, elle a des cheveux filandreux et des grosses lèvres bleues. Selon ses parents adoptifs, elle ne mérite pas d'être aimée à cause de son physique ingrat. Charlie, son grand-père la traite de « négresse » à longueur de journée, et l'emmène faire la tournée des bars où le racisme y est légion. Seule Nelly, sa grand-mère, semble se soucier de son bien-être et la trouve belle à sa façon.
Nelly, la grand-mère, est une ancienne actrice qui vit dans son passé, à l'époque où elle faisait encore tourner les têtes comme elle faisait virevolter ses robes dans les soirées mondaines qu'elle fréquentait. Nelly a eu deux maris. de son premier mari, Fernand, naquit Gladys ; cette dernière n'acceptera jamais son second mariage avec Charlie. Nelly ne supporte plus de vieillir et pense qu'elle n'a plus aucune raison de vivre. Son mari Charlie perd la tête, sa fille Gladys la déteste et elle est obsédée par la passion qu'elle a vécue avec son premier mari décédé.
Gladys, la fille, est le personnage le plus antipathique de l'histoire. Gladys a épousé Régis, le fils de Charlie (oui, oui, son demi-frère). Elle a toujours vécu dans l'ombre de sa mère et le moins que l'on puisse dire c'est qu'elle n'a pas hérité de son physique avantageux. Considérant qu'elle n'aura jamais aucun attachement pour Charonne, elle va tenter de la « rendre » au foyer d'adoption. Gladys est mal dans sa peau, elle ne sait pas comment se comporter dans ce monde et connaît un grand mal être. Et cela, c'est entièrement la faute des autres.
Ce roman a suscité tour à tour plusieurs émotions : j'ai pris en pitié Charonne, cette petite fille abandonnée à la naissance par une mère junkie, contrainte à vivre dans une maison où personne ne désire sa présence. J'ai été attendrie par Nelly : cette vieille dame à la gloire passée qui repense toujours à son premier grand amour décédé. Enfin, j'ai été agacée par Gladys, cette enfant gâtée et nombriliste, bouddhiste, végétarienne sans gluten et sans saveur, en lutte perpétuelle contre le monde entier.
Ces trois portraits de femmes à la première personne sont rédigés de manière « brute » et « brutale », ce qui les rend bouleversants. le lecteur se rend vite compte qu'il n'est pas plongé dans une fiction, mais dans la vie, la vraie.
Dans la vie justement, on ne se comprend pas, on ne prend plus le temps d'échanger et on se mure dans son silence. Dans la vie, on s'attend à naviguer sur un long fleuve tranquille mais c'est loin d'être le cas. Vient alors la désillusion : le mépris des êtres chers, l'intolérance irrationnelle, la beauté qui se fane. Enfin, dans la vie, chaque famille cache secrets et cadavres dans son placard. Et quand sonnera l'heure des vérités, sonnera également l'heure des confrontations.
J'ai beaucoup aimé l'écrire d'
Emmanuelle Bayamack-Tam. Pour moi, elle a écrit un roman de femmes pour les femmes. Mais pas n'importe quelle femme : l'écriture est tantôt très crue, tantôt soutenue, tantôt poétique. Il faut être forte et sensible à la fois pour lire ce livre.
Le fil conducteur du roman est le lien maternel (chaque mère en est d'ailleurs dépourvu) et les liens familiaux en général. Les femmes sont au centre du roman, les hommes ayant un rôle secondaire. Un roman définitivement féminin en somme.
Le mensonge est également très présent dans le roman. Il s'agit aussi bien du mensonge que l'on raconte aux autres que du mensonge que l'on se raconte à soi-même. le mensonge permet aux personnages de se cacher, parfois des autres, mais aussi d'eux-mêmes. C'est aussi le mensonge qui va cimenter les murs entre lesquels ces trois femmes s'enferment.
Et pour finir, voici un extrait de « Agir,
je viens », le poème qui a inspiré le titre du livre :
Agir,
je viens
Je suis là
Je te soutiens
Tu n'es plus à l'abandon
Tu n'es plus en difficulté
Ficelles déliées, tes difficultés tombent
Le cauchemar d'où tu revins hagarde n'est plus
Je t'épaule
Tu poses avec moi
Le pied sur le premier degré de l'escalier sans fin
Qui te porte
Qui te monte
Qui t'accomplit
Je t'apaise
Je fais des nappes de paix en toi
Je fais du bien à l'enfant de ton rêve
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