Saga, c'est le nom du soap que quatre auteurs en manque d'argent et de reconnaissance sont chargés d'écrire pour une chaine de télévision spécialisés en série américaine bas de gamme, de manière à remplir les quotas de création française. Un seul mot d'ordre: faire n'importe quoi, du moment que ce n'est pas cher. Laissés à une liberté sans contraintes pour écrire cette série destinée à n'être vue de personne, nos quatre auteurs s'en donne à coeur joie...et le miracle arrive.
Ecrire un livre pareil, pour un auteur, cela doit être un pied monumental: la revanche de l'intelligence et de la création sans bride sur les impératifs économiques, le ciblage marketing, la simplification au nom du "grand public"...Benacquista jubile, et nous avec, petits lecteurs complices de la création d'une oeuvre déjantée et intelligente, véritable machine de guerre contre la bêtise économico-culturelle...on voudrait pouvoir la voir, cette
saga formidable, on en est un peu les auteurs, nous aussi, qui partageons les affres de la créations, la complicité des personnages, tout de suite mis du bon côté, celle de l'intelligence...c'est sans doute ce qui fonctionne le mieux dans ce livre, qui m'a fait y adhérer si facilement et avec tellement de plaisir...En fin stratège, Benacquista nous distille des morceaux choisis du scénario qui s'écrit et laisse notre propre machine à rêve fantasmer et imaginer le reste, notre
saga personnelle...
La fin est plus acide, et destabilisante: sortis de la bulle de la création, nos auteurs se retrouvent confronté à la puissance de leur propre oeuvre sur les spectateurs, et c'est le plus jeune et naïf, le narrateur, à qui on s'est bien sur le plus identifié, qui trinque le plus de cette confrontation...fanatisme du spectateur, pouvoir dangereux des mots et des idées lorsqu'ils sortent de la sphère du divertissement pour investir d'autres champs...à nous écrire une telle vision d'horreur, Benacquista paraît un peu fatigué, désabusé, peut-être? et comme les spectateurs mécontents de la fin de le série géniale, me voilà aussi un peu mécontente de la liberté avec laquelle l'auteur décide de résoudre la fin de son histoire...j'ai du trop bien marcher sur la première partie,sans assez de distance, sans doute...et si l'histoire se termine relativement bien, l'éclatement du petit noyau des personnages et les trajectoires sulfureuses prises par certains a un petit goût amer...dont on sort un peu orphelin.
Un très bon livre, divertissant et intelligent.