Voici un livre magnifique repéré au départ pour son thème : La mise à l'écart ou l'intégration difficile de gens différents au sein d'une communauté, et la difficulté de revenir sur les étiquettes, les préjugées et les peurs de chacun pour y parvenir. Il est question dans ce livre de stigmatisation de l'idiot du village, d'isolation, d'incompréhension mutuelle, d'acceptation de l'autre.
Une institutrice pleine de bonne volonté est nommée dans un village où habitent une femme attardée mentale appelée La Varienne, et sa fille. La mère fait les ménages de quelques villageois pour vivre. Dans quelles conditions est survenue la naissance de la fille ? Comment survivent-elles toutes les deux ? La mère peut-elle s'occuper de sa fille ? La fille est-elle comme la mère ? On ne le sait pas, car elle n'est pas encore scolarisée. A son arrivée, l'institutrice décide que ça va changer : Elle prend la fille dans sa classe, bien décidée à l'instruire malgré elle, avec toute la patience et la pédagogie dont elle est capable. Elle est absolument persuadée que cette ouverture sur le monde permettra à la mère et à la fille de gagner non seulement en intelligence, mais aussi en autonomie et en contact avec la société et les gens du village, afin de s'intégrer.
Mais la mère vit l'absence de sa fille comme une rupture de sa routine rassurante et stabilisante : Elle ne comprend pas où elle part, pense qu'on la lui enlève chaque matin ou pire, qu'elle la fuit.
« Rien n'est plus semblable. Prostrée à la place de la petite, les bras serrés contre son ventre. Tout le jour. Elle ne sait pas ce qu'est l'attente. Quelque chose s'est arrêté. (…) Il arrive ce qu'elle ne connait pas : L'absence. Elle, elle ne sait pas se distraire, faire les tâches de chaque jour en rêvant, regarder parfois par la fenêtre, elle ne sait pas. Empaquetée dans l'étouffement de ce qu'elle ne peut pas comprendre, elle est demeurée. »
A chaque retour de l'école, la fille se sent rejetée par sa mère, extérieure à son monde et culpabilise d'apprendre toutes ces choses qui, loin de rendre fière sa mère d'elle, l'éloigne de plus en plus. Seuls les gestes routiniers d'antan leur servaient de communication entre elle, dans une sorte de balai quotidien bien rythmé symbolisant une entente parfaite et un amour naturel. Alors, ne sachant comment expliquer à sa mère ni comment retrouver cette entente et confiance mutuelle, la fille se rend mauvaise élève, imperméable aux leçons. L'institutrice se bat de plus belle pour lui donner des cours du soir, aller la chercher chez elle. Mais cela empire la situation entre la mère et la fille et la sensation de rejet.
Peut-ont instruire les gens malgré eux ? Doit-on imposer notre vision des choses en pensant qu'elle est la meilleure pour tout le monde ? Ou faut-il apprendre à accepter les gens tels qu'ils sont, tels qu'ils disent être heureux, quitte à accepter leur différence en les accompagnant simplement si besoin ? Difficile question pour l'institutrice de ce roman. Peut-être ces femmes finiront-elles par se comprendre ? A force de tâtonnement et d'envie, la mère et l'instit' finiront peut-être par s'accepter et apprendre l'une de l'autre…
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Dès les premières lignes, l'intensité et la puissance des mots et des phrases de
Jeanne BENAMEUR nous saisit. Avec beaucoup d'empathie, elle nous fait ressentir, plus qu'elle ne décrit, non seulement l'état d'esprit de ses personnages, mais leur perception du monde. Elle nous permet de comprendre leurs points de vue respectifs avec force et douceur.
« Des mots charriés dans les veines. Les sons se hissent, trébuchent, tombent derrière la lèvre. Abrutie. Les eaux usées glissent du seau, éclaboussent. La conscience est pauvre. La main s'essuie au tablier de toile grossière. Abrutie. Les mots n'ont pas lieu d'être. Ils sont. »
Le lecteur se retrouve à la fois acteur et spectateur de ce microcosme. Un tout petit livre qui pèsera lourd dans votre mémoire de lecteur, et qui me donne fort envie de lire son dernier roman sur les otages !
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