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«La haine aveugle n'est pas sourde»
(Pierre Desproges)

Si dans le domaine de la vie privée, la manifestation d'un trouble psychique emblématique des traumatismes passés et des secrets familiaux met parfois plusieurs générations avant d'éclore, en ce qui concerne la sphère publique, et en Autriche, en l'occurrence, il n'en fallut qu'une seule pour enfanter, dès les années 60 et 70, une vague d'écrivains s'étant visiblement donné pour consigne commune d'expurger la littérature autrichienne de ses embardées lyrico-esthétiques, prédominantes depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale et passant la plupart du temps sous un silence de plomb le rôle joué par les Autrichiens dans le national-socialisme.

Leur recherche radicale de vérité s'est appuyée sur la quête également d'une langue nouvelle, purifiée des relents idéologiques de l'austro-fascisme, «contre-langue» littéraire (selon le mot connu du poète Paul Celan) dépourvue d'ornements inutiles, de dérivations esthétiques distrayantes, économe et contondante, rude et incisive. Leurs instruments essentiels : la mise en accusation, la dénonciation de l'hypocrisie et du mensonge collectif, la haine des institutions et des valeurs bourgeoises, et plus particulièrement de tout sentiment d'appartenance patriotique à la nation. Parmi leurs principaux leitmotivs, la perte de repères et des idéaux, la désaffiliation, l'abomination, la désespérance et le refuge intérieur.

Thomas Bernhard est sans l'ombre d'un doute l'icône majeure de ce mouvement, celui qui aura en tout cas élevé comme aucun autre l'aversion et la détestation au rang de règles de conduite et de principe philosophique.

Haïr, verbe intransitif! La haine comme pilier de sustentation de la subjectivité face à ce que Bernhard nomme le «dépérissement» progressif et incontournable de nos idéaux. La misanthropie, et l'exécration vouée à l'homo sociologicus, comme sources potentielles de création littéraire, transformées paradoxalement par la plume de l'Autrichien en force salutaire et vitale, celle-là même qu'évoquait Nietzche comme susceptible d'émaner quelquefois d'écrits qui de prime abord sembleraient avoir été «conçus contre la vie»...
Est-ce de là que proviendrait l'attrait irrésistible que le style unique et inimitable de Thomas Bernhard peut susciter chez ses lecteurs?

Par son refus radical de toute compromission avec la mascarade implicite aux rites sociaux, par la violence –et, pourquoi pas, «bio-lence» aussi!- de ses sentiments de rejet, par ses diatribes assumées et solitaires au milieu des ruines morales de son pays (il n'y a pas, me semble-t-il d'appel collectif à la haine chez Bernhard -le seul crime qu'on pourrait éventuellement lui imputer serait de l'ordre d'un "délit d'opinion") l'homme ne serait-il en même temps en train de se débattre contre lui-même, tentant d'expulser de son espace subjectif cet Autre indécent qui, bien évidemment, voudrait toujours, n'est-ce pas, notre bien?! «Entre la haine et l'admiration presque tous les hommes se détruisent», nous assure-t-il.

L'Autrichien assume ainsi pleinement la «méchanceté» comme un mode d'expression naturel et vital chez lui. À travers une écriture hyperbolique et obsédante, Thomas Bernhard tient à exalter une détestation qu'il porte comme un trophée personnel face à l'imposture collective qui se perpétue depuis toujours devant nos yeux impuissants ou, comme il ne se privera jamais de nous le rappeler, complaisants aussi, voire furtivement compatissants, par intérêt personnel ou par pure vanité.

Cette artillerie en apparence très lourde, faite de critiques assassines, d'imprécations et de dénonciations furieuses ne serait-elle par ailleurs la seule en mesure de combattre une fragilité intrinsèque à notre condition, l'inconsistance de nos ambitions personnelles, un idéalisme parfois surdimensionné ou bien des blessures narcissiques risquant de nous faire balloter entre mirages de sommets olympiens et la pénombre d'une chambre aux volets clos en plein jour, ou enfin une santé qui, comme dans le cas de Thomas Bernhard, comptait particulièrement ses jours ?

Et puis, quoi qu'il en soit, n'abritons-nous tous quelque part, au fond de nous-mêmes, une même fragile mémé rêvant d'oser au moins une fois brûler le feu, braver la circulation hostile qui l'empêche d'avancer librement, traverser la route souveraine parmi des conducteurs ahuris, brandissant sa colère et son parapluie envers et contre tous? Pour ma part, Thomas Bernhard paraît bien s'adresser à elle aussi : il la ravit en tout cas !

«Le Naufragé» (1983) fait partie des récits de la grande maturité littéraire de l'auteur. Déployé toujours sous la forme d'un long monologue avançant en rangs serrés sur le champ de bataille, martelant son propos à coups de formules insistantes, appliqué à ronger méthodiquement les idées jusqu'à l'os, le roman repose néanmoins sur une construction subtile et sur une technique narrative absolument maîtrisée : alors que le narrateur (de toute évidence Thomas Bernhard), revenant dans la ville où séjournait l'un de ses amis proches, disparu depuis peu, arrive dans l'auberge où il avait pris l'habitude de descendre quand il venait le voir, l'espace entre la porte d'entrée et le moment de son accueil par l'aubergiste se distendra indéfiniment, jusqu'aux dernières pages du roman, créant une atmosphère suspendue de rêverie très propice aux enchevêtrements et aux jeux de miroirs entre les personnages réels et fictifs de l'intrigue. La structure même du récit fait d'ailleurs penser à une sorte de rêve éveillé. Mettant en scène trois personnages, tous les trois musiciens, jeunes pianistes virtuoses s'étant retrouvés ensemble par le passé, élèves du célèbre Horowitz au Mozarteum de Salzbourg : Wertheimer l'ami qui vient donc quitter ce monde vingt-huit ans après, le non moins célèbre Glenn Gould, mort lui aussi peu de temps avant le début du récit, et le narrateur donc, ces derniers ressembleraient plutôt, tel que Freud nous l'avait enseigné, à des dédoublements imaginaires du rêveur lui-même. L'utilisation empressante et en apparence gratuite d'une formule telle «dit-il, pensai-je», revenant sans cesse dans le texte, pourrait d'ailleurs appuyer indirectement cette hypothèse.

Outre le fait de faire revivre ici un Glenn Gould fictif mais plus vrai que nature, incarnation ultime du surdoué volontairement retiré du commerce des hommes, vivant en autarcie grâce à un état fusionnel permanent avec son art («L'idéal serait que je sois Steinway, je pourrais me passer de Glenn Gould, dit-il, en étant Steinway, je pourrais rendre Glenn Gould superflu»), Thomas Bernhard transforme le plus grand pianiste du XXe siècle en un frère d'âme et, en même temps, en un ennemi imaginaire redoutable, dès lors que, attiré irrésistiblement par l'archétype du génie sans concessions, l'on risque sérieusement de se brûler définitivement les ailes, comme ce fut d'ailleurs le cas de son autre double, Wertheimer, «le naufragé».

Belle réflexion sur la distance séparant un vrai renoncement d'un attachement inconditionnel au malheur qu'on risque de faire tourner en boucle indéfiniment, tel un hamster dans sa roue, ou encore sur la part de dissimulation indispensable (heureusement ? malheureusement ?) pour pouvoir se mesurer à ses propres idéaux sans trop «dépérir», l'on quittera ce roman virtuose sur le terme mis à la suspension du départ, et surtout par une révélation concernant les derniers jours et derniers gestes accomplis par le «naufragé» qui prolongera la réflexion du lecteur largement au-delà d'un tableau final assez surprenant.

«Le Naufragé» pourrait constituer par ailleurs une belle porte d'entrée à l'univers controversé de Thomas Bernhard, et prouver au passage, s'il était besoin, à des lecteurs encore quelque peu sceptiques, qu'on y trouve bien plus que des vociférations tous azimuts et, enfin, que cela peut quelquefois faire un bien fou de lire des récits dans lesquels les bons sentiments ordinaires, les idées consensuelles, l'envie de plaire ou d'appartenir à un club en particulier n'ont absolument aucune voix au chapitre..!
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Roulis et ressacs


« Quand il était venu en Europe pour suivre le cours d'Horowitz, Glenn était déjà le génie, et nous, à cette même époque, nous étions déjà les naufragés, pensai-je. »

Le naufragé, c'est l'histoire de deux destins, celui du narrateur et de l'ami (?) qu'il enterre, irradiés par le génie du pianiste, instrument plutôt qu'instrumentiste (« Être piano »), après en avoir dès les premiers instants subi la déflagration.
Le destin auquel ils ont lié leur vie a perdu les amarres. le narrateur le sait, il en ricane ;, l'ami Wertheimer (le « sombreur » l'a surnommé, deviné, Glenn Gould), s'est enfoncé lentement, irrémédiablement. « L'homme c'est le malheur », juge Wertheimer, réfugié dans des aphorismes qu'il méprise.

De « machines à faire de l'art », ils sont dégradés en « produits de l'art ». le sombreur a pour bouée la tyrannie exercée sur sa soeur, le narrateur tient à un ego qui paraît à toute épreuve et que l'on devine cerné par la dépression comme une forme du néant.

« Si je n'avais pas fait la connaissance de Glenn Gould, je n'aurais probablement pas renoncé au piano et je serais devenu un pianiste virtuose, et peut-être même l'un des meilleurs pianistes virtuoses du monde, pensai-je dans l'auberge. Quand nous rencontrons le meilleur, nous devons renoncer, pensai-je. »

Mais non, je fais fausse route, le naufragé n'est pas leur histoire, le naufragé n'est pas une histoire, c'est un soliloque qui passe, repasse, ressasse, telle une fugue des "Variations Goldberg" que jouait sans égal Glenn Gould, explique Ladymuse dans sa recension (n'y connaissant rien en musique classique, je cite mes sources!).
C'est une diatribe furieuse, un flux, une crue atrabilaire qui ne s'embarrasse pas de demi-mesures et dont l'acuité tranchante autant que la mauvaise foi à l'emporte-pièce sont souvent jubilatoires. Dans cette Autriche que Bernhard avait tant de plaisir à haïr, mais aussi au-delà, tout est affligeant, répugnant, misérable, infect, lamentable… La liste est sans fin !

Il y a donc « lui », le narrateur, et le sombreur telle une voix enchâssée dans la première, une contre-voix, signalée par le motif « dit-il, pensai-je », variation de l'obsédant « pensai-je » qui revient à chaque page, plusieurs fois, comme un caillou dans la lecture, comme une pensée qui ne passe pas, qui ne panse pas.

Le sombreur est littéralement voué à l'échec (« entiché de son échec ») que le narrateur épouse dans un effort négatif, choisissant le piano par défi (Glenn par génie), écrivant pour détruire. (Dans une autre excellente recension, Creisfiction évoque pour l'oeuvre de Bernhard la force salutaire d'écrits « conçus contre la vie »).
Les deux sont privés des masques de virtuose, de l'illusion d'une réussite qui ne les aurait pas davantage satisfaits, mais les voilà nus, enfermés face, contre et en eux-mêmes.

« Nous tentons encore et toujours de nous faufiler hors de nous-mêmes mais la tentative échoue et nous prenons encore et encore un coup sur la tête parce que nous ne voulons pas reconnaître que nous ne pouvons pas nous faufiler hors de nous-mêmes si ce n'est par la mort. »

Le soliloque passe et repasse, reprend les motifs, les fait varier, dans un discours dépourvu de paragraphe, de respiration, où le mouvement du ressac ne doit pas s'interrompre, jamais, sous peine que la parole s'enfonce, que le discours s'effondre sur lui-même, s'anéantisse.
« Il faut continuer, on ne peut pas continuer », scandait Samuel Beckett. Tel le narrateur qui écrit depuis neuf ans son essai sur Glenn Gould, depuis vingt-huit ans sans rien donner à publier, sans rien laisser — par bonheur !

« Si je les avais publiés, ce qui aurait pu se faire sans aucune difficulté, je serais aujourd'hui le plus malheureux des hommes qui se puisse imaginer, journellement confronté à ses écrits catastrophiques […] Je pris soudain un grand plaisir au mot "destruction". »

Alors bien sûr, ne nous racontons pas d'histoire, c'est effectivement répétitif, nécessairement fatiguant (j'imagine ce que Thomas Bernhard devait penser de l'idée d'un écrit reposant !).
Ce qui est passionnant c'est l'originalité et la puissance de cette voix. Dans la littérature, il y a Thomas Bernhard, à nul autre pareil. Vous pouvez ne pas l'aimer ; reste qu'il se pose un peu là.
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Ce bouquin est étonnant comme tous les livres de Thomas Bernhard.
C'est le cinquième ou sixième livre de cet auteur que je lis et je suis toujours conquise.

Je ne raconterai pas l'histoire dans laquelle il est question du génie de Glenn Gould, interprète de piano (comme il aime se décrire et non pianiste) qui suit les cours d'Horowitz avec le narrateur et son ami Wertheimer

Ce soliloque du narrateur qui veut écrire un essai sur Glenn et qui ne publie rien est souvent itératif.

Comment et pourquoi Wertheimer se suicide ? À cause du départ de sa soeur ou de l'abandon de son rêve de devenir pianiste virtuose car Glenn joue avec génie Les variations Goldberg ?

Le narrateur donne son superbe piano Steinway et dit ne pas le regretter. Wertheimer, pourtant virtuose même s'il n'a pas le génie de Glenn met fin à une carrière mort née.

Et puis toujours cette détestation de Thomas Bernhard envers son pays, l'Autriche. Une allusion rapide à la fin au nazisme.

Que de désillusion, de haine et de mauvaise foi chez cet auteur singulier.

Les précédentes contributions de babeliotes sont si pertinentes que je n'en rajouterai pas. Lisez les et si ça vous tente n'hésitez pas à lire ce livre étonnant ponctué de "je pensai" ou "il-dit"...



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« Quand il était venu en Europe pour suivre les cours de Horowitz, Glenn était déjà le génie et nous, à cette même époque, nous étions déjà les naufragés. »

Publié en 1983, six ans avant la mort de Thomas Bernhard "Le naufragé" est un roman-monologue qui met en scène trois personnages : Glenn Gould, le narrateur et son ami Wertheimer. le génie de Glenn Gould s'impose d'emblée et détourne les deux autres de leur carrière de pianiste virtuose. Aucun des deux ne peut accepter l'idée qu'il ne sera jamais le meilleur. Mais si le narrateur met fin à cette carrière sans regret, donnant son Steinway à la fille du maître d'école, il n'en est pas de même pour Wertheimer qui mettra quinze ans à s'avouer vaincu et vingt ans avant de mettre fin à ses jours.

L'art de Thomas Bernhard consiste à construire son soliloque comme une fugue, telle qu'on la trouve dans les "Variations Goldberg" que jouait Glenn Gould précisément au moment de leur rencontre. Elles sont composées d'un aria, suivi de 30 variations, et de la réitération de l'aria initial).

"Après ces trente variations dans lesquelles Bach emploie tous les moyens imaginables pour partir du même point et pour revenir au même point (chaque variation correspond à une mesure de l'aria), il clôt le cycle par une réitération de l'aria, laissant suggérer que rien n'est achevé." (wikipedia, variations Goldberg)

On trouve une très belle définition de la fugue dans la nouvelle de Carson McCullers, "Celui qui passe", à propos d'un prélude de Bach.

"La première voix de la fugue se détacha d'abord, limpide, solitaire, puis se répéta, mélangée à une seconde voix, et se répéta de nouveau dans une construction savante, où le flot serein , horizontal de la musique se mit à couler avec une majesté tranquille. le thème principal s'enroulait aux deux autres, dans une richesse infinie d'invention, émergeant parfois, parfois submergé, avec la sublime élégance d'une chose qui se sait unique et ne craint pas de se fondre dans un ensemble".

Dans "Le naufragé" l'auteur fait dire à Glenn Gould :"Notre existence consiste à être continuellement contre la nature, et à procéder contre la nature, jusqu'au moment où nous baissons les bras parce que la nature est plus forte que nous qui, par outrecuidance, avons fait de nous-mêmes un produit de l'art. ..." Et puis ceci : "Il haïssait l'idée de n'être qu'un médiateur de musique entre Bach et le Steinway...un jour, c'est lui qui parle, je serai broyé entre Bach d'une part et le Steinway d'autre part...A longueur de vie, j'ai peur d'être broyé entre Bach et le Steinway...L'Idéal serait que je sois Steinway, je pourrais me passer de Glenn Gould, dit-il, en étant Steinway, je pourrais rendre Glenn Gould superflu...Glenn Steinway, Steinway Glenn, uniquement pour Bach".

C'est un peu comme si la misère de notre vie venait de notre impossibilité à coïncider avec nous-mêmes.

Après avoir donné seulement 34 concerts, Glenn Gould a choisi de se retrancher du monde pour se consacrer uniquement à son art. le même choix conduira le "sombreur", comme Glenn Gould appelle Wertheimer, à l'auto-destruction finale
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"Le Naufragé" est un livre surprenant. En lisant, j'ai eu du mal à savoir si j'adorais ou détestais. Pourtant, j'ai été attirée comme dans un tourbillon de mots; c'est le signe que Thomas Bernhard a une écriture magnifique même si sa misanthropie est parfois dérangeante. Je ne regrette pas les conseils de l'émission le Masque et la Plume sur l'oeuvre de Thomas Bernhard reconnu comme un auteur culte de la littérature de langue allemande.

Thomas Bernhard relate les destins croisés de trois pianistes, anciens élèves du célèbre Horowitz. Incarnant la parole de l'un d'entre eux, le narrateur dessine le portrait du génial et écrasant Glenn Gould et raconte comment Wertheimer, l'ami malheureux et jaloux, sombre dans la folie et finit par se suicider. Trouvant refuge dans l'écriture et la philosophie, le témoin du naufrage fait figure de seul rescapé de l'échec.

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C'est la première fois que je lis un roman de Thomas Bernhard en entier. Avant de tenter le coup avec celui-ci, je n'avais entendu que des extraits de Mes Prix littéraires et lu des extraits éparpillés. Découvrir un peu mieux la plume de cet auteur a été un pur régal.

Le Naufragé, qui se veut initialement une biographie de Glenn Gould et de son génie, se révèle être avant tout la grande amitié qui unit les 3 protagonistes du roman : Glenn Gould, la narrateur et Wertheimer, le sombreur, et, peut-être, véritable naufragé de cette histoire.

Tout au long du long monologue interne du narrateur, Glenn Gould laisse peu à peu sa place et est éclipsé par Wertheimer, cet ami dépressif, fasciné et écrasé par par le génie artistique de Gould. Si la rencontre avec cet homme aura donné un sens à la vie du narrateur, ce ne sera pas le cas de Wertheimer qui, lui, se laissera sombrer face à ce génie.

Pour parler rapidement du style d'écriture de Thomas Bernhard, celui-ci est très particulier mais au combien génial ! Tenir ce long monologue interne sur 200 pages demande une certaine maîtrise de la langue et des idées. En effet, ce petit livre ne contient aucun temps mort : pas de paragraphes, ni de chapitres, uniquement du texte au kilomètre nous livrant les pensées profondes du narrateur, avec une certaine forme d'humour toujours présente. Un joli tour de force pour un roman étonnant.

Au travers de ce roman, Thomas Bernhard ne fait pas que saluer le génie de Glenn Gould, il interroge surtout la société autrichienne dans laquelle il a vécu sa vie durant et n'hésite à ponctuer le récit de nombreuses critiques, notamment sur la bourgeoisie. En effet, les trois personnages sont tous issus de la bourgeoisie autrichienne et canadienne et Thomas Bernhard nous offre trois parcours et destins très différents.

Le Naufragé aura donc été une excellente découverte. Un réel plaisir de découvrir la jeunesse de Glenn Gould au travers de ces différents personnages, qui auront partagé un bout de sa vie. Je me laisserais bien tenter par un autre de ses ouvrages quand j'en aurais l'occasion.
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Si vous ne connaissez pas le grand auteur autrichien,ce petit roman est une bonne introduction à son oeuvre. Deux amis, qui se destinent à être concertistes, croisent la route d'un génie: Glenn Gould. Un style inimitable et puissant. Envoûtant!
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Il est bien question d'un naufragé dans ce roman étonnant de Thomas Bernhard où un narrateur soliloque sur près de 200 pages? C'est justement le narrateur lui-même, le seul encore en vie, passé la cinquantaine, d'un groupe de trois hommes qui se sont rencontrés au Mozarteum de Salzbourg pour suivre les cours de piano d'un certain Horowitz (rien de moins!). le narrateur se retrouve donc seul sur la grève, abandonné par Wertheimer le suicidé et Glenn Gould (rien de moins!) mort soudainement d'une congestion cérébrale. Leur disparition l'amène à réfléchir sur sa destinée, sur son passé, sur la musique et sa place dans un monde peu avenant qui pousse au découragement. L'éditeur nous dit que le naufragé est Wertheimer, appelé ironiquement le sombreur par Glenn Gould. Mais un naufragé est pour moi un survivant. C'est celui qui a résisté (peut-être malgré lui) aux assauts d'une vie implacable. Wertheimer a coulé, tout comme Glenn Gould avait coulé avant lui, montrant que le génie ne protège pas du désespoir.
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Tels des papillons venant griller sur la lampe qui les attire, il est des personnalités attirées tout-à-fait sincèrement par d'autres alors qu'elles n'ont rien à gagner, et même tout à perdre, à les fréquenter. C'est le cas de Wertheimer et du narrateur, pianistes virtuoses de niveau mondial, lorsqu'ils rencontrent et côtoient Glenn Gould au Mozarteum de Salzbourg pour y suivre les cours, excusez du peu, de Vladimir Horowitz, tant la personnalité et le génie de Glenn Gould les impressionnent et les écrasent, tout talentueux qu'ils soient.
L'un, Wertheimer, en a abandonné sa carrière de pianiste pour se lancer dans de vagues études de sociologie, avant de déprimer et de se suicider, et l'autre, le narrateur, a pratiquement donné son magnifique piano à queue Steinway dans une famille où il savait qu'il serait massacré et, déprimé également, s'est lancé dans l'écriture d'un ouvrage jamais terminé et toujours recommencé sur Glenn Gould.
Le narrateur nous raconte ces processus sur vingt ans avec un verbe ininterrompu de deux paragraphes, presque logorrhéique, mais sur un mode mélancolique et dépressif, émaillé cependant de passages très drôles, souvent très critiques sur Salzbourg, l'Autriche et les Autrichiens. On a affaire ici au flux de pensée du narrateur, qui tourne même souvent au ressassement, où ce dernier se paie même le luxe d'encastrer celui, supposé, de Wertheimer.
Curieusement, et c'est là peut-être le génie de Thomas Bernhard, le tout est d'une extraordinaire fluidité et simplicité et s'avère même extrêmement agréable à lire, la traduction de Bernard Kreiss y aidant sans doute. En prime, dans cet ouvrage de 1983 nous profitons aussi d'un portait en creux de Glenn Gould, effectivement génial et mondialement connu pour son interprétation des Variations Goldberg.
Au final très belle découverte que celle de Thomas Bernhard !
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Quel immonde style d'écriture : des répétitions à n'en plus finir, qui tout en étant passables alourdissent les lamentations stériles de l'auteur (sans blaguer, s'il écrivait avec fluidité et qu'il ne répétait pas constamment les événements de manière futile, les 180 pages tiendraient en 50) et font désespérer le lecteur (est-ce le but ? est-ce ce prétendu humour ? eh bien quelle que soit la réponse, c'est atroce).

Mais le pire, ce sont ces "pensais-je" à CHAQUE PUTAIN de phrase, assortis des non-moins casse-burnes "alors que j'entrais dans l'auberge", "alors que j'attendais dans l'auberge"... pensais-je qui amènent ces A-BO-MI-NA-TIONS "[blablaba le monde il est insignifiant blablabla les gens ils sont minables blablabla les socialistes ils veulent le pouvoir blablabla l'autriche et la suisse elles sont oppressantes et moches blablabla Glenn il est plus mieux bien que nous...] AVAIS-JE PENSÉ, PENSAIS-JE" (ou encore "disait-il, pensais-je").

La cosmétique c'est une chose, qu'en est-il du récit en lui-même ? Un cynisme, une misanthropie à deux sous, un caliméro élitiste, des vieux grincheux en somme, des attaques injustes, quelques bonnes idées parfois, noyées dans ce naufrage littéraire. Voilà cette critique n'en est pas une, je suis juste énervé.
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