Le cas Landru : A la lumière de la psychanalyse

L'acte criminel s'est toujours imposé aux hommes comme une énigme. Comment un homme peut-il s'affranchir de tout lien à l'autre au point de vouloir sa disparition, et ce sans appel possible ? Aujourd'hui encore, cette question reste ouverte, et la refermer impliquerait l'exclusion, hors de l'humanité, du crime et du criminel. En supposant, ce qui est de plus en plus fréquent, comme facteur de criminalité un Mal absolu non identifié car non identifiable, et puisqu'il n'y a rien à savoir, ne néglige-t-on pas les victimes elles-mêmes ? c'est ce que les familles expriment lorsqu'elles veulent que soit reconstitué le parcours de ces tragédies et que soient données les raisons intimes de telles actions insupportables. N'est-ce pas pour cette raison que toute une population, à travers les médias, se passionne pour les meurtres dont elle ne saisit pas la motivation ? Lorsqu'un homme tue par jalousie, passion, vengeance, crapulerie ou intérêt, on a confusément l'illusion de comprendre, car ces motivation sont lisibles dans le registre du sens. Lorsqu'un homme tue sans motivation apparente, mais dans un état de crise, de fureur, de débordement de soi, on continue de donner un sens à son acte en l'attribuant à un coup de folie. Bien que l'on ne sache pas toujours ce que la folie recouvre, on sait pourtant reconnaître la conduite d'un insensé.
Mais il est des crimes qui surviennent sans qu'on puisse les rattacher à une crise, à un moment délirant, sans motivation décelable. Nous sommes alors confrontés à l'étrange, à l'énigme du non-sens.
(...) avec les tueurs en série, une énigme encore plus grande a surgi, celle des meurtres à répétition où se reproduisent l'immotivation et le hors-sens.

Jean-François Abgrall, le gendarme qui arrêta Francis Heaulme, a pris ses dires au sérieux lorsque celui-ci affirmait, avec une ironie troublante : "Partout où je passe, il y a des meurtres." Est-ce à partir de cette étrangeté, de cette ambiguïté, qu'il entame un dialogue avec le criminel ? Dialogue qui lui permet de repérer que, pour Francis Heaulme, la faute ne peut se dire autrement que par le terme"pépin", un terme événementiel, néosignifié, un terme qui rend compte d'une torsion de la subjectivité et du peu d'impact de l'affect. Ce terme surprend Abgrall, mais il ne le rejette pas, et c'est en consentant à apprendre la langue de celui qu'il interroge qu'il instaure une relation avec lui.

Les peines qu'endure son père le touchent alors vivement et constitueront l'axe de sa pensée, de son être et de sa vie : "Toutes mes idées se portèrent sur ces choses et s'y fixèrent." Dès ce moment, il s'agit en effet de vie ou de mort, le sujet est entré dans la certitude délirante, et celle-ci va ordonner l'impérieuse nécessité d'aboutir à l'issue fatale. La séparation, ici, est nette, et Pierre Rivière l'énonce lui-même, entre la loi qui vaut pour tous et qu'il ne méconnaît pas - Tu ne tueras point - et celle qui s'impose à lui, - Tu dois sauver ton père. C'est parce que celle-ci est délirante qu'elle n'entre pas en contradiction avec la précédente mais la supplante.

Chez Landru, les assassinats en série sont pris de manière continue dans la cohérence d'un système sans faille. On comprend alors pourquoi, contre tout sens commun, ils ne semblent pas exiger du sujet un trop grand effort. C'est ce qui se traduit aussi au cours du procès : à l'étonnement général, Landru ne flanche jamais, il ne peut en effet se déprendre de son système. Il s'avance méthodiquement dans un réel au-delà du symptôme. Parce que le réel, ici, est sans voile, en continuité avec l'imaginaire et le symbolique. Nous l'avons dit, plutôt que méthodique, Landru est la méthode, autrement dit l'incarnation constante de sa propre loi.

Enfin, la question du jugement des criminels, en soulevant le problème de la responsabilité pénale, pose aussi, de fait, la question des avancées du savoir dans le champ de la dite santé mentale, de la folie et de ses actes extrêmes. Par là même, le jugement des sujets psychotiques permet de mesurer la place qu'une société donnée accorde à la folie en général, l'accueil qu'elle ménage à l'être différent, la manière dont elle participe à la prévention du pire, et qui est aussi sa part de responsabilité.