Il est des livres qui, sans réellement parler de nous, nous parlent directement. Ma vie d'homosexuel est plus proche de celle des personnages d'un
Philippe Besson que des livres d'
Erik Rémès. Si nos chemins devaient se croiser, L. Bigòrra et moi pourrions ne pas nous comprendre mutuellement, peut-être ne nous verrions-nous même pas. Et pourtant, le temps de ma lecture de son premier roman
28 jours, nous avons été frères. Parce que les vivre de manière différente n'empêche en rien que nous puissions traverser les mêmes expériences.
"Hôpital. Consultation. Trithérapie. Premières pensées au réveil. J'appelle le centre de dépistage de la rue du Figuier. La femme au téléphone me dit URGENCE.
Je descends à la station
Ledru-Rollin pour me rendre à l'Hôpital Saint-Antoine. Une honte insidieuse, mal définie, s'installe quelque part dans mon centre. J'ai mal agi et je vais devoir le dire au monde, à l'institution, au médecin, à l'hôpital, à la sécurité sociale à toute la société."
Cette honte, je l'ai portée en moi. Il m'a fallu à moi aussi attendre sur une chaise en plastique, des heures. Attendre qu'on m'interroge sur les événements qui m'ont conduit à penser qu'un TPE pourrait s'avérer nécessaire. Faire l'anamnèse, dans ce cas-là, c'est un peu une trahison. Il faut tuer la beauté du moment pour n'en garder que les détails, cliniques les détails. Avant ça, les moments de doute, l'angoisse qui monte, qui monte, dans une ascension qui semble ne jamais devoir se terminer. Et puis le premier soulagement : "STRIBILD, c'est écrit en gros sur la boîte en plastique. Elvitégravir/cobisistat/emtricitabine/ténofovir/disoproxil/30 comprimés pelliculés, en petit.
C'est le jour un."
Des jours, il y en aura donc vingt-huit, rythmés par la prise du médicament. Par les rencontres et le sexe, que le narrateur multiplie avec frénésie, à corps non pas perdu mais offert. Pour vivre encore, et surtout ne pas céder à la peur.
Convoquant
Genet, Collard et Dustan, L. Bigòrra inscrit la trajectoire de son personnage dans la plus large histoire des homosexualités masculines dont une nouvelle page est en train de s'écrire : une page où la médecine, TPE et PrEP en renfort, permettent d'espérer une sexualité dans laquelle le plaisir et l'ombre de la mort ne se côtoieront plus.