Je me plains souvent que le théâtre manque d'auteures. Les femmes sont en général sous-représentées en littérature, même si la tendance actuelle tend vers la parité. En théâtre, on en est encore très loin, tant dans le passé que dans le présent. Je me fais donc un point d'honneur ces derniers temps de découvrir des auteures contemporaines et de parler de leur travail, car les choses ne peuvent changer que si on y met tous du sien, lecteurs y compris.
Cette pièce
Canicule est, d'après ce que j'ai pu voir, la seule pièce traduite en français de cette dramaturge espagnole qui en a pourtant déjà écrit au moins une vingtaine. le manque de traduction est donc un des problèmes qui freine également la diffusion de ses auteures.
Le sous-titre est volontairement provocateur "Evangile apocryphe d'une famille, d'un pays". En effet à travers cette pièce, l'auteure, par le biais de personnages désincarnés (l'Aîné, Celui du Milieu, le plus jeune pour les frères, L'une et l'autre pour les soeurs jumelles) propose un portrait robot de la famille espagnole type et aborde de nombreux thèmes soulevés par la fratrie: la place dans la famille en fonction de l'âge, les rapports aux enfants "préférés" avec une place particulière, les rapports de genre, les gémellités pas aussi harmonieuses que veulent nous les vendre les idées reçues. Alors que les personnages sans identité précise peuvent parfois donner lieu à des pièces trop "froides", l'auteure profite de ce biais pour dresser des portraits sans concessions, ce qui aboutit à des échanges vifs et marquants. Comme le sous-titre l'indique, cela lui permet aussi un regard sur son pays, son racisme, son traditionalisme sclérosé, sa peur du regard de l'autre.
N'oublions pas enfin le personnage central même si pas forcément très agissant, qui justifie là le côté évangile: le malade "indisposé" qui occasionne cette réunion de fratrie et qui semble vouloir incarner toutes les souffrances et sauver ses frères et soeurs par son sacrifice. Il est curieux de constater qu'entre la série Messiah, la lecture du Parabole et la lecture de cette pièce, mon confinement aura été marqué par la figure christique. Sans développer immédiatement de Passion pour cette auteure, je vous invite en tout cas à assister au petit miracle d'une femme admise dans le cénacle viril des auteurs dramatiques.