L'histoire des Borgia qui marquèrent l'histoire du christianisme et de la Renaissance italienne. L'auteur présente les personnages les plus influents, notamment Alonso, premier évêque puis premier pape de la famille sous le nom de Calixte III, Alexandre, le second pape, ou encore Lucrèce, mariée au gré des ambitions familiales
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L’épopée de la sombre dynastie de la Renaissance fascine encore. Une biographie digne d’étonnement en témoigne.
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À la bibliothèque Vaticane, il existe un fonds Borgia sur lequel le chercheur avide ne peut que se précipiter avec gourmandise, persuadé que dans les tréfonds de cet endroit mythique il va toucher du doigt des documents forcément sulfureux, voire pire ! Ce fonds ne recèle en réalité que de précieux mais bien innocents manuscrits orientaux (coptes, arabes, syriaques…). C’est que le nom de Borgia n’est pas une marque déposée, garantie assurée de scandale et d’infamie, et cette famille célèbre n’est pas à l’abri de la normalité : ce fonds a été en réalité réuni au XVIIIe siècle par le respectable cardinal Stefano Borgia, d’une famille de Velletri alliée – de loin – à ses célèbres cousins catalans, qui ont durablement marqué l’histoire – et l’image – de la papauté.
Si l’Église, qui a la mémoire longue, semble depuis quelque temps hésiter à se choisir un pape français, certains imputent sa perplexité au souvenir de la confiscation de l’institution par la France, qui l’accapara en Avignon, de 1309 à 1418. Et si elle paraît également peu encline à élire un cardinal espagnol, il est fort tentant d’en rechercher la raison dans un autre souvenir, pas si lointain (à l’échelle d’une institution qui a l’éternité devant elle) : celui des frasques imputées au dernier pape « catalan » en date, cet Alexandre VI Borgia qui a suffisamment impressionné les esprits pour laisser dans le langage commun un vocable à vocation générique, un « Borgia » – faut-il le préciser – ne pouvant être qu’un potentat corrompu, débauché et capable de débordements infâmes, transgressant jusqu’aux interdits familiaux…
(INCIPIT)
Pour Rodrigo, qui avait manié la simonie comme personne avant lui, c’était, après tous ces conclaves perdus, un véritable triomphe, marqué, dit l’ambassadeur de Mantoue, par « plus de pompe que jamais pour le couronnement d’un pape de notre époque ». On lui proposa de reprendre le nom de Calixte, mais il refusa : il serait Alexandre (VI), ce qui, en soi, valait programme.
Cela, comme le signale avec enthousiasme Bernardino Corio, un chroniqueur milanais, permettait de renouveler la thématique de l’autocélébration mythologique familiale [...]. Surtout, Rodrigo se plaçait ainsi, et sans ambiguïté, dans une tradition purement hispanique, qui faisait d’Alexandre le Grand, en Espagne, depuis le XIVe siècle, un héros de la lutte de l’Occident chrétien contre l’islam.
Tout avait bien commencé pourtant avec le dominicain d’origine ferraraise Jérôme Savonarole, venu à Florence dès 1482 tonner contre le luxe des puissants et la dépravation de l’Église, ses velléités réformatrices, en cette matière, rejoignant globalement les intentions du pape en début de pontificat. Mais le problème se compliqua nettement quand Savonarole doubla le rôle messianique dont il se sentait investi de solides prétentions en matière politique.
Si depuis 1484 il prêchait en effet que Florence serait bientôt flagellata et rinovata (« flagellée et ranimée »), il donna sa pleine mesure en 1492, en annonçant dans l’église San Lorenzo, lors du carême, la conversion des infidèles et la proche venue des fléaux, ce qui, à ses yeux, fut confirmé lorsque la foudre, le 6 avril, frappa la coupole de Santa Maria del Fiore : Ecce gladius Domini super terram, cito et velociter ! (« Voici, sans délai et sans retard, le glaive de Dieu sur la terre ! ») Ce glaive entendu comme l’instrument qui punirait la Florence impie de ses péchés ! La « descente » des Français en 1494 fut alors pour lui une divine surprise : Charles VIII était le nouveau Cyrus, le flagello (« fouet ») dont il annonçait régulièrement la venue.
À Rome, l’autorité et le prestige d’Alexandre, régulièrement mis en cause, on l’a vu, par les cardinaux ennemis, devaient sans cesse s’appuyer sur le coûteux apparat pontifical. D’où la multiplication de fastueuses fêtes lors des grands moments de la vie romaine, religieuse ou non. Ainsi du carnaval, fête païenne chère au cœur des Romains et « récupérée » par la papauté. Mais la chance d’Alexandre voulut qu’au cœur de son pontificat tombât la date exigée pour une autre manifestation romaine, récurrente, dont le retentissement était à l’échelle de la chrétienté, celle du Jubilé.
Ce n’est pas un hasard si Machiavel le place ainsi parmi les princes « ordinaires » en soulignant l’originalité de sa position : devenir pape est un peu difficile, mais une fois installé dans la place, rien ne peut vous en déloger.
Jean-Yves Boriaud - La fortune des Médicis : le siècle d'or de Florence