Elle était bien différente des femmes que j’avais rencontrées jusque-là et en d’autres circonstances, j’aurais pu en faire une amie. Très vite, elle se passionna pour le projet d’entreprise que je lui fis croire que j’avais en tête. Je n’avais pas perdu mon temps depuis la cérémonie et fort de quelques soutiens paternels et de professeurs de faculté, j’avais commencé à rédiger un plan du futur montage de mon entreprise.
Comment avais-je pu passer à côté de tant d’amour ? C’est moi qui aurais dû être dans le cœur de ces personnes qui semblaient lui porter une véritable affection si ce n’est pour certains, un culte ! Comment reprendre ce qui m’était dû ? Comment rattraper toutes ces années ? Le regard tendre mais perdu que Julia me jeta au moment où je la croisais m’offrit la réponse… Mais oui, bien sûr ! Il fallait qu’elle tombât amoureuse de moi sans que mon cœur en souffrît car, malgré tout, son regard me bouleversait !
Bien que je la voyais souvent dans les gazettes ou sur les panneaux publicitaires, elle était bien différente au naturel : peu de maquillage, les cheveux relevés en arrière par un chignon haut, des barrettes pour maintenir des mèches rebelles, vêtue d’une robe sans marque à la coupe élégante et sobre, un foulard noir autour du cou…
Je me perdais dans la vie depuis mon adolescence, enserré par des souvenirs morbides de guerre, de récits tristes et sans éclat, sempiternellement répétés comme des chants d’arrière- garde par les miens. J’avais atteint mes vingt-deux ans, l’âge mûr pour s’envoler et faire fortune ou beau mariage. Dans mon petit village, c’était l’un ou l’autre, jamais les deux.
Je passai une nuit agitée à me tourner et à me retourner. Je sus le lendemain ce que je voulais faire. Ne dit-on pas que la nuit porte conseil ? Je décidai donc de mener ma propre enquête puis, subtilisant le faire-part du décès de Paul afin que ma famille ne le voie pas, de me rendre incognito à la cérémonie funéraire qui se déroulait dans trois jours.