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EAN : 9782882509055
304 pages
Noir sur blanc (18/01/2024)
3.9/5   48 notes
Résumé :
Dans une barque à la dérive, au fin fond de la jungle de l’Orénoque, Eva, une jeune infirmière bogotaise de bonne famille, se vide de son sang. Quelques mois plus tôt, Eva, accompagnée de sa petite fille, Abril, a décidé de quitter la capitale pour la jungle, pensant qu’elle pourrait y être utile, cherchant à laisser derrière elle une vie dissolue de fêtes et de drogues, une existence vide de sens. Cependant, en descendant le fleuve pour aider les populations autoch... >Voir plus
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S'ouvre sur une image forte qui ne quittera pas le lecteur durant tout le récit : Eva, une jeune femme, grièvement blessée par balle, git dans une mare de sang au fond d'un canoë sur une rivière au fin fond de la jungle de l'Orénoque (Colombie), des vautours tournoient. Les enjeux immédiats sont clairs : va-t-elle survivre ? Comment en est-elle arrivée là ?

Antonio Ungar remonte dans le temps pour comprendre le parcours d'Eva, issue du monde privilégiée des villes, qui s'enivre dans une vie dissolue remplie de sexe, fêtes et drogue. Elle fait le choix d'une nouvelle vie en postulant comme infirmière à Inirida, port fluvial cernée de jungle amazonienne. le personnage n'est pas immédiatement attachant, très mystérieux en tout cas. On ne comprend pas ses choix, ses réactions mais on devine un fort potentiel romanesque que l'auteur révèle très intelligemment par touches.

On sent une tension sourde monter au fil du récit, on sent la menace sans trop identifier d'où elle peut venir, comme dans un thriller. Antonio Ungar excelle à mettre en scène les lieux, anthropisés ou naturels, qui semblent se resserrer autour des personnages. D'autant que le casting qui apparaît sous nos yeux est inquiétant : orpailleurs prêts à tout pour trouver un nouveau filon, narcotrafiquants contrôlant la région, guérilleros et paramilitaires en embuscade, paysans acculés par la violence et la pauvreté des montagnes, sans parler des Indiens de l'ethnie Curripaco acculés par la famine et les épidémies.

La prose est claire, percutante, sans esbroufe, direct droit au but pour construire un récit resserré et nerveux sur seulement 160 pages qui disent beaucoup de la Colombie de ses dernières années et de sa violence endémique.

Le processus de paix signée en 2016 entre le gouvernement colombien et les guérilleros des FARC ( Forces armées révolutionnaires de Colombie ) est un échec : les organisations paramilitaires impliquées dans le narcotrafic investissent les territoires autrefois occupés par les FARC et laissés à l'abandon par l'État, les surfaces destinées à la production de coca augmentent , provoquant une déforestation inédite.

Le roman est basé sur des faits réels survenus avant ce processus de paix, en novembre 1999, permettant à l'auteur de dénoncer la boucle de violence en Colombie, pays qui répète ses erreurs. Mais ce qui surprend le plus, c'est comment ce portrait dévastateur du conflit armé colombien se mue quasiment en conte sur la résilience du peuple. Eva et les bêtes sauvages est aussi, et surtout, une histoire d'amour, de maternité, d'amitié au coeur d'une tragédie qui demande aux Colombiens de résister, têtus et acharnés, à ne pas laisser les événements détruire ce à quoi ils tiennent, ce qui compte.

Prenant et édifiant.
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Eva, incarnation de la Colombie, souillée par la drogue, salie par les excès mais forte, courageuse, vaillante et soignante…blessée mais vivante. Ou la possibilité d'un paradis en enfer.

Le roman commence fort, très fort même : il s'ouvre en effet sur une scène dans laquelle une jeune femme, Eva, se vide de son sang au fond d'une barque qui dérive sur l'Orénoque, dans la jungle colombienne. La barque dérive lentement et la seule préoccupation de la jeune femme, à demi-consciente, est de savoir si les vautours dont elle voit le ballet macabre au-dessus de sa tête, attendront au moins sa mort avant de se jeter sur elle…La couverture, si sereine, semble d'un coup beaucoup plus angoissante…

Une entrée en matière déstabilisante, dès cet incipit, percutant. Pourtant le livre recèle une certaine lumière et est porteur d'espoir.
Eva et les bêtes sauvages, c'est tout d'abord la tentative de changer de vie. En venant dans la jungle, qui l'a fascine tant, la jeune femme, issu du milieu privilégié des villes, a décidé de mettre fin à sa vie de débauche à base de marijuana, d'alcool, de fêtes, de sexe débridé, de sexe tarifé. Car Eva était devenue une prostituée aux services très appréciés. Avec sa petite fille au prénom printanier, Abril, elle quitte la capitale Bogota, et offre ses services d'infirmière, sa formation de base, dans le dispensaire d'une petite ville de la jungle. On assiste à son adaptation, à sa fascination quasi amoureuse pour la jungle, à son sentiment d'être enfin à sa place malgré la dureté de sa fonction lorsque, pendant des semaines, elle part en mission pour apporter vivres et soins aux peuples autochtones, les indiens de l'ethnie Curripaco qui se meurent, acculés par la famine et les épidémies.
Eva et les bêtes sauvages, c'est ensuite une histoire d'amour, avec un homme, Ochoa, qui a dû lutter, longtemps, pour réussir à la conquérir, une histoire d'amour aussi avec sa petite Abril, petite fille primesautière qui comprend bien plus de choses que son âge ne laisse le supposer, comme souvent dans ce genre de pays où la vie n'est pas facile, même pour les enfants, surtout pour les enfants. Une histoire d'amitié enfin avec les femmes, notamment les prostituées, qui vivent par moment des choses terrifiantes, objets d'hommes aux instincts particulièrement primaires.
Pour narrer toutes ces facettes lumineuses, l'auteur colombien, Antonio Ungar, utilise une plume délicate, poétique à certains moments, par fulgurances, rendant les personnages très attachants. Pas immédiatement attachants, et c'est précisément un aspect que j'ai aimé, cette façon de savoir nous les rendre intéressants petit à petit.

« Il suffisait que les yeux compatissants et moqueurs des indigènes la regardent pour qu'elle se sente réconfortée, accompagnée soudain de la certitude que toute sa vie antérieure n'avait été qu'une grande erreur de perspective et que l'unique bonne idée qu'elle avait eue était d'aller vivre dans un endroit où les personnes remarquaient cette erreur fondamentale avant même qu'elle ouvre la bouche ».

Mais cette lumière est vite avalée par l'ombre des multiples bêtes sauvages tapies dans ce pays.
Déjà la jungle est un univers dangereux, dur, Eva sent qu'elle a beau être fascinée par elle, ce n'est pas son territoire, elle doit bien le reconnaitre, avec dépit et amertume, mais bien plus le territoire des multiples bêtes sauvages.
« Elle ne sait pas comment s'appellent les arbres, ni à quoi peuvent servir leurs feuilles et leurs écorces, quels reptiles sont venimeux et lesquels ne le sont pas, quels mammifères ni quels insectes on peut manger. Elle est, même si elle a tenté avec beaucoup de détermination ne pas l'être, un être humain de la ville. Dans son corps ne reste plus aucun vestige de cet ancêtre qui, il y a des centaines de milliers d'années, marchait dans les forêts en se croyant une bête parmi les autres ».

Ensuite, surtout, la jungle est loin d'être le refuge dont elle rêvait car elle est riche de ressources faisant l'objet de guerres de territoires incessantes entre les FARC, les narcotrafiquants, les guérilleros, et les paramilitaires, tous d'une sauvagerie impitoyable, prêts à piller, voler, violer, torturer, incendier sans état d'âme, terrifiant la population dont la vie est si fragile…Quand la rumeur d'un important filon d'or quelque part en amont du fleuve enfle et se répand, toutes ces factions armées vont accourir et semer la terreur, répandre le sang.

Eva s'est trouvée là au mouvais moment. Eva, une petite brindille, un petit bout de femme, dont le courage, la ténacité, la conscience professionnelle d'infirmière d'aller sauver coûte que coûte de la famine des peuples autochtones en pleine jungle, toutes ces qualités font bien peu de poids face à l'imbroglio sauvage et viril dans lequel elle se trouve, coincée dans cette escalade de la violence orchestrée par des hommes d'une cruauté incroyable faisant d'eux des bêtes sauvages.

Et Les bêtes sauvages ne sont pas en effet celles que nous croyons. Les serpents, les araignées, les moustiques, ou encore les démons d'Eva, ses addictions et ses basses inclinations, non les bêtes sauvages ce sont surtout et avant tout ces hommes sans foi ni loi, qui fondent les drames innombrables de l'histoire colombienne, notamment des années 1960 jusqu'à 2016. Une histoire particulièrement violente fondée sur la corruption, les trafics en tous genres, la dictature, l'impunité, le terrorisme, les inégalités entre riches et pauvres et entre Blancs et Indigènes. Ancrée sur une virilité abjecte qui écrase, domine, massacre et viole en toute impunité.

« Il avait pris plaisir à violer cette petite paysanne devant son père, à la tuer et à allumer le feu qui allait tout brûler. Contrairement aux faibles, il ne craignait pas d'employer la violence, il y prenait même du plaisir. Ce viol et ce meurtre l'avaient enfin rendu visible. D'abord aux yeux des paysans effrayés et des guérilleros cachés dans la brousse, mais surtout aux yeux de ses chefs, qui avaient enfin compris qu'ils avaient là un soldat intelligent et fort, doublé d'un guerrier qui aimait boire le sang de l'ennemi ».

Tous ces aspects, nombreux et complexes, sont appréhendés dans ce livre assez court, environ 160 pages, de sorte que cette facette sombre est décrite au moyen d'un style très nerveux, rapide, essoufflant légèrement le récit parfois, notamment lorsqu'il s'agit de scènes de guerre. Sans doute ce style direct, sans fioriture, presque clinique, est-il intelligemment mis service de la violence endémique décrite. L'utilisation de deux styles différents selon ce qui est narré est bien vue au final même si lors des scènes de guerre, j'avais davantage l'impression de lire des articles de journaux qu'un roman.


Entre reportage journalistique instructif et fable délicate sur la résilience, entre crudité choquante et poésie exotique, ce livre d'Antonio Ungar ajoute sa pierre singulière à l'édifice de la littérature colombienne qui a souvent pour thème les dysfonctionnements que vit ce pays. C'est un livre prenant dans lequel l'auteur nous plonge, tête la première, où on apprend plus en détail ce que nous savons déjà, tout en nous invitant à nous émouvoir avec l'amour, l'amitié, la sororité que vivent des personnages touchants, en prise avec un pays qui aura connu pas moins de cinquante-deux années de combat durant lesquels 7 134 000 personnes ont été déplacées, 983 000 personnes sont mortes et 166 000 personnes ont disparu. Une façon réussie d'entrelacer subtilement les petites destinées à la grande Histoire.


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Eva et les bêtes sauvages aurait très bien pu s'intituler Eva et ses démons. Mais les bêtes sauvages concrètement sont la gigantesque faune de mâles de tout bord de l'histoire colombienne récente, les narcotrafiquants, paramilitaires et guérilleros , sans parler de politiciens, militaires et policiers véreux aux commandes. L'histoire débute avec la dite Eva qui se vide de son sang sur une barque à la dérive, au fin fond de la jungle de l'Orénoque en Colombie, « ….une géométrie dans laquelle les canots paramilitaires et les groupes de guérilleros et des animaux dangereux et les coulées de boue et les rapides et les remous essaient de croiser le sillage très fin que laisse derrière elle cette petite embarcation, un sillage qui parfois s'interrompt. » À partir de là remontant le temps l'auteur raconte le lent cheminement de cette Femme vers son destin….qui sera précipité par la découverte de l'or, beaucoup d'or (?) dans un bassin de la rivière qui parcoure la jungle contrôlée par les FARC.

Les auteurs colombiens ont tous plus ou moins comme matières premières à leurs histoires, les terribles réalités de leur pays : les quartels de drogue et leurs organisations qui impliquent policiers, politiciens et autres personnages supposés maintenir l'ordre et la loi , mais devenus pourritures, les FARC , les paramilitaires , les différentes dictatures subies par le pays, la nature sauvage aux multiples visages, une société ethniquement et socialement hybride où le fossé entre riches et pauvres est abyssal. Ungar ne manque pas à la règle, bienvenue à la réalité colombienne et à sa violence extrême !

En faites c'est un énième récit sur l'Histoire tragique de la Colombie de 1964 à 2016 ; mais qu'Ungar y campant des personnages attachants dans un contexte qu'il arrive à décrire avec subtilité et poésie malgré l'horreur des faits rend intéressant et plaisant à lire.

Un grand merci aux Éditions Noir sur Blanc et NetGalleyFrance pour l'envoie de ce livre intéressant.
#Evaetlesbetessauvages#NetGalleyFrance
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Le roman s'ouvre sur une scène dans laquelle une jeune femme, Eva, se vide de son sang au fond d'une barque qui dérive sur l'Orénoque, dans la jungle colombienne.

Eva est infirmière, originaire de Bogotá et fille de bonne famille. Quelques mois plus tôt, elle a brutalement décidé de mettre fin à sa vie de débauche faite d'alcool, de fêtes, de sexe et de drogues, et de quitter la capitale avec sa petite fille. En quête d'une sorte de rédemption, elle pense pouvoir se rendre utile dans le dispensaire d'une petite ville de la jungle. le roman retrace ce changement de vie, l'adaptation progressive d'Eva à cette vie si différente de tout ce qu'elle connaît, les relations qu'elle noue avec son nouvel entourage.

Peu à peu, Eva découvre une réalité bien moins paisible que ce qu'elle imaginait. Elle apprendra à ses dépens que la jungle, où elle pensait trouver un sens à sa vie en soignant les indigènes, n'est pas le refuge dont elle avait rêvé. La région (comme tout le pays d'ailleurs) et ses ressources font l'objet d'une guerre de territoire permanente entre FARC, groupes paramilitaires et narcotrafiquants, tous armés jusqu'aux dents. Au milieu des attaques, des enlèvements et des exécutions, la population vit dans la terreur et les pénuries. Et quand la rumeur de la découverte d'un important filon d'or quelque part en amont du fleuve se répand le long de l'Orénoque, ces bêtes sauvages que sont les hommes avides d'argent et de pouvoir vont se déchaîner, en éliminant le moindre obstacle qui les empêcheraient de remporter le combat.

A travers ce roman, c'est le drame de l'histoire colombienne récente (1964-2016) qui est évoqué : dictature, terrorisme, guérilla, paramilitaires, corruption à tous les étages du pouvoir, trafic d'armes, de coca, d'or ou d'émeraudes, fossé entre riches et pauvres, entre Blancs et indigènes. Un pays où il ne fait bon vivre nulle part, où la violence et la drogue sont omniprésentes, des fêtes dans les quartiers aisés de la capitale au moindre village du fin fond de la jungle.

Antonio Ungar crée des personnages complexes, écorchés par la vie et qui tentent de panser leurs blessures avec ces baumes, précieux mais dérisoires dans une situation aussi terrible, que sont l'amitié, la sororité, l'amour. Un roman intéressant par son contexte, touchant par ses personnages attachants et leurs histoires, et par la poésie qui s'échappe furtivement au détour d'un méandre de l'Orénoque, lorsque soudain le regard se perd dans la contemplation de sa nature sauvage et luxuriante.

En partenariat avec les Editions Noir sur Blanc via Netgalley.
#Evaetlesbêtessauvages #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
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J'avais noté ce livre après un billet d'@Bookycooky. Idil y faisait, me semble-t-il, une remarque sur la vitalité de littérature colombienne contemporaine. Ou peut-être était-ce sur Gomboa et American Psycho (que j'ai prêté sans l'avoir lu, assez sadiquement je dois dire, à des amis en partance pour ce beau pays) ?
La Colombie, son or, ses émeraudes, son café, sa coca, ses orpailleurs, ses narcos, ses FARC, ses paramilitaires et ses indiens…
Dans Eva et les bêtes sauvages, il sera question de tout cela.
Mais commençons par le début qui est peut-être la fin : Eva est allongée dans une pirogue, une balle dans la peau, et dérive sur le Rio Inírida. Elle divague et se remémore sa première dose d'héroïne. Elle ne va pas très bien, l'infirmière Eva.

Antonio Ungar est un auteur latino-américain prestigieux. Il a vécu longtemps en Palestine puis s'est installé à Berlin. L'histoire d'Eva s'inspire d'évènements réels survenus autour des années 2000. Un grand merci aux belles éditions NOTABILA pour cette découverte.
Je suis déjà allé en Colombie mais l'action se déroule là où les touristes ne vont pas, à la frontière avec le Venezuela, sur les bassins de l'Orénoque, du Rio Meta et de l'inírida donc.
On parle d'un nouveau gisement d'or…Chronique d'un carnage annoncé !
Eva, ses deux amies prostituées, ses deux amoureux et le Dr Andrade vont essayer de s'en sortir tout en aidant les populations autochtones, prises entre quatre feux, le long de berges infestées de parasites, d'énormes serpents et de féroces personnages.
J'ai beaucoup aimé la narration dolente avec ses sursauts de flamboyance, son onirisme raisonnable et ses airs de salsa. Bien sur il y aura des morts. Beaucoup même. Mais Ungar à aucun moment ne verse dans le sordide et nous rappelle qu'il s'agit d'un témoignage. Malgré les accords de paix, le long de l'Orénoque on se bat pour la coca, l'or et les armes qui viennent du Venezuela voisin.
J'ai suivi Eva sur Google Maps car là-bas les fleuves sont des routes sinuant dans une jungle de tous les dangers. Les villes sont des ports où échoue toute la misère du monde. Et les autochtones font les frais de toute cette violence, de toute cette cupidité.
Où sont, au fond, les bêtes sauvages d'Eva ? On découvrira qu'elles sont d'abord dans sa têtes, omniprésentes et fantomatiques, et qu'elle devra forcer son destin.
Ce n'est pas exactement ça… forcer son destin ! Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Dans les relations de cause à effet, rares sont les moments où on peut prendre la tangente.
Que va devenir Eva, agonisant sur sa pirogue ?
Vous le découvrirez évidemment en lisant ce petit livre atypique et inspiré.
Merci à MCP de Babelio.
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Vue depuis les curiaras [canoës traditionnels d'Amazonie], la culture, toute la culture, leur culture, devenait un mirage dont il ne valait pas la peine de garder mémoire. Evaporés dans la chaleur s'en allaient les bâtiments, les armes, les livres, les ponts, les ordinateurs, les musées, les sports, les drogues. Tout. La vraie sagesse, Eva commença à le croire, se trouvait dans l'absence de progrès. Les Curripacos, les Desana, les Puinaves [tribus indigènes de l'Orénoque] à qui elle rendait visite vivaient de la même manière depuis des millénaires. L'idée de changer ce que les pères avaient fait, de s'inventer une culture pour le plaisir de se l'inventer, ça n'existait pas. Les ressources étaient toujours les mêmes (l'eau, le soleil, les plantes, les animaux, une poignée de graines), et comme elles étaient toutes indispensables, l'existence ne consistait qu'à les utiliser du mieux possible.
Chaque soir, les hommes s'accroupissaient autour du feu et restaient un long moment silencieux, écoutant le crépitement du bois enflammé jusqu'à ce que quelqu'un raconte une anecdote qui lui était arrivée et que les autres racontent aussi les leurs. Et c'était tout. Les femmes faisaient la même chose dans les lieux de transformation du manioc et de la viande. Elles mentionnaient les petites différences entre un jour et l'autre. Et rien de plus.
Si cette existence était telle qu'elle semblait être (facile, agréable et heureuse), ça n'avait pas de sens de faire les efforts nécessaires pour inventer l'écriture, la science, la technologie, l'art, la guerre. C'est pourquoi les peuples de la jungle considéraient les Blancs avec un mélange de peur, de compassion et de dérision. Tous. Y compris les infirmières. La maladie faisait partie de la réalité et entre être de ce côté-ci de la matière ou de l'autre côté, celui du mystère, cela ne faisait pas une grande différence. La réalité des morts était toujours aussi présente que celle des vivants. Il en avait toujours été ainsi, avant que les guérisseurs indigènes n'existent et avant que les médecins blancs n'arrivent avec leurs petites fioles, et il en serait toujours ainsi, jusqu'à ce que la jungle disparaisse et avec elle ses habitants.
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La jungle avait toujours été un mystère pour Eva. D’abord, à l’école, un mystère fait de photographies et de mauvais films gringos. Ensuite, quand apparut la possibilité de tout laisser tomber pour s’en aller à ce port de nulle part, un autre mystère, un mystère innocent, enfantin, qui commença à se défaire tandis que le petit avion cherchait une piste dans cet univers sombre, plus vaste que n’importe quelle ville, sillonné par des rivières qui vues d’en haut avaient l’air noires et ondulantes comme de gigantesques serpents. Un mystère de conte pour enfants qui disparut complètement, douloureusement, quand la porte de l’avion s’ouvrit et que cette humidité odorante, chargée de bruits animaux, la frappa, littéralement, à l’estomac, la faisant presque s’asseoir de nouveau, comme si l’immensité de la jungle se trouvait tout entière dans la poussée de cette masse de chaleur et d’eau suspendue, lui disant qu’elle ne devait pas être là, que c’était mieux de remonter dans l’avion et foutre le camp.
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La balle entra juste sous la clavicule, mais Eva ne ressentit aucune douleur. Elle entendit le bruit de la chair qui se déchirait, le bruit de son corps qui tombait au fond. Elle regarda son épaule et ne remarqua rien jusqu’à ce que sa poitrine et son dos commencent à s’imprégner. Elle se demanda si cela venait de l’eau stagnante du canoë, elle la trouva trop chaude. Elle réussit à soulever sa tête de quelques centimètres, juste assez, et la vue du sang et le choc de la douleur lui parvinrent en même temps.
(Incipit)
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De 1964 jusqu'en 2016 le guérilla communiste Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC) a livré une guerre brutale contre les forces de l'Etat colombien. A partir des années quatre-vingts des factions principales de l'armée nationale se sont alliées aux armées paramilitaires d'extrême droite, financées par de grands groupes économiqies, légaux comme illégaux. La guérilla a elle même usé du séquestre, du narcotrafic et du vol de l'essence, entre autres. L'extraction minière, légale et illégale. a servi de combustible efficace pour les deux bandes. Le résultat de ces cinquante-deux ans de combats fut 7.134.000 déplacés, 983.000 morts et 166.000 disparus. Le 26 septembre 2016 un accord de paix a été conclu. Les groupes qui investirent leur argent dans la guerre et le système politique qui la promut sont intacts.
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Pour Eva, le regard que les indigènes posaient sur elle était la preuve qu’elle s’était trompée toute sa vie, mais aussi la preuve qu’elle pouvait encore apprendre, corriger ses erreurs, laisser derrière elle la peur qui animait chacun de ses actes (peur de l’immobilité, du silence, du vide qui se cachait derrière tout ce qui était solide). Il suffisait que les yeux compatissants et moqueurs des indigènes la regardent pour qu’elle se sente réconfortée, accompagnée soudain de la certitude que toute sa vie antérieure n’avait été qu’une grande erreur de perspective et que l’unique bonne idée qu’elle avait eue était d’aller vivre dans un endroit où les personnes remarquaient cette erreur fondamentale avant même qu’elle ouvre la bouche.
Outre le plaisir que lui donnaient ses rencontres avec les indigènes, elle développa une dépendance physique, bien plus forte que celle de la drogue, à la jungle elle-même. Au silence blotti derrière tous ses bruits la nuit, au mystère tapi dans sa sombre humidité, à l’absence de mystère en chacun des êtres vivants qui la peuplaient. Jamais elle ne ferait partie de ce monde, elle le savait bien, mais elle ne pouvait plus désormais être heureuse en ville. Dès la première sortie, elle comprit que la prise de conscience de l’inconvenance absolue de son existence et de celle de sa civilisation n’était pas une tragédie, mais la seule occasion de laisser derrière elle tout le pesant fatras qui la lestait depuis des années, l’écrasait contre le sol.
Dans la jungle, qui elle était n’importait pas, ni d’où elle venait, ni ce qu’elle avait possédé avant d’arriver. Ce qu’elle faisait ou ne faisait pas sous ces arbres n’avait pas non plus d’importance. Elle pouvait mourir, et la jungle s’en foutrait. Elle pouvait guérir trente personnes sans que cela modifie d’un iota le poids absolu de la manigua. Elle pouvait avoir des convictions politiques, des principes moraux, des souvenirs, une personnalité, des intérêts, des désirs, mais pour la jungle, elle n’était qu’un être minuscule qui respirait. Un être de plus, plus vulnérable que les autres.
p 60
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Vidéo de Antonio Ungar
Simon Ungar ne sait pas grand-chose de son père, parti refaire sa vie au Canada. Quand il se fait licencier et que sa petite amie le quitte, il se dit que c'est l'occasion d'en savoir plus sur ses origines : il part en République tchèque, dans la ville d'Olomouc, le berceau des Ungar. Son amateurisme en toutes choses va mener Simon jusqu'à Bratislava puis à Budapest, de train en train, enchaînant les hasards, les rencontres et les coïncidences. Mais le puzzle familial s'avère difficile à reconstruire, entre fausses pistes et pièges tendus… Quand l'armée d'Hitler envahit la Tchécoslovaquie, Ilse Kusser n'est encore qu'une enfant, et la guerre va faire exploser sa famille. Une soirée à l'Opéra, un accident de gymnastique… Il en faut peu pour décider d'un destin. Mais c'est dans un théâtre de Bratislava, pendant les rigueurs du communisme des années 1950, que la vie d'Ilse va basculer, le soir où elle rencontre le mystérieux Horn. Mensonges enfouis, secrets découverts les histoires de Simon et Ilse vont peu à peu se rejoindre.
Que ce soit en invoquant la mémoire juive ashkénaze, les livres de Jules Verne, le clapotis du Danube la nuit ou les banlieues sinistres de Budapest où se terrent des écrivains nobélisables, Lola Gruber nous entraîne dans un formidable roman-enquête mené tambour battant où l'humour côtoie la tragédie, la mort et l'amour à chaque page.

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