Je commençais à savoir manger à la japonaise, il m'a donc fallu apprendre à ne plus manger du tout. Dans les deux mois qui ont suivi la guerre, quand on prenait d'assaut les trains dans la campagne pour aller échanger les dernières reliques familiales contre deux navets ou trois œufs, tous mes voisins d'Arakicho ont dû passer par là. Un apprentissage complète d'ailleurs heureusement l'autre et, pour le voyageur, c'est le meilleur moyen de vaincre les dernières réticences qu'inspire une cuisine étrangère. Au bout d'une semaine de diète, les fumets et saveurs qui me paraissaient suspects il n'y a pas si longtemps encore, me vont droit à l'estomac. Sitôt qu'il en sera de nouveau question, je mangerai de tout : du daïcon, du renkon, gros navets jaunes obscènes au goût fort et suri que l'on fait macérer dans la saumure, du bouillon d'algues, de la limule crue (tabiebi) débitée en rondelles, de ces gros coquillages noirâtres (sasae) dont le saké n'enlève pas l'amertume, même le misoshiro, la soupe aux fèves rouges du petit déjeuner dont le fumet aigre et brûlé m'a si souvent soulevé le cœur, je l'aime à distance. Je suis acclimaté.
Je m'en souviens comme d'hier : chaude pluie de juin, de hautes frondaisons vert pâle bougeaient contre un ciel lumineux et gris. Ces mêmes arbres aujourd'hui dessinés par la neige. Dans l'intervalle qui sépare ces deux trajets j'ai l'impression d'avoir été d'une certaine façon absent de ma vie. Je suis curieux de voir qui du pays ou de moi aura le plus changé.
A long terme c'est important : si l'on ne peut plus guère progresser aujourd'hui dans l'art de se détruire, il y a encore du chemin à faire dans l'art de se comprendre.
Je m’en souviens comme d’hier : chaude pluie de juin, de hautes frondaisons vert pâle bougeaient contre un ciel lumineux et gris. Ces mêmes arbres aujourd’hui dessinés par la neige. Dans l’intervalle qui sépare ces deux trajets j’ai l’impression d’avoir été d’une certaine façon absent de ma vie. Je suis curieux de voir qui du pays ou de moi aura le plus changé.
Il est temps que je reprenne mon sac pour aller vivre ailleurs
En apparence , il n'y avait que l'empereur , le drapeau, les tournois de sumo et l'odeur des watères qui n'avaient pas changé. Du Tokyo inquiet, désordonné et chaud qui m'avait séduit , plus trace.
LE CAHIER GRIS
Nœud ferroviaire
Que peut-on voir ici ?
Les ours, le bordel et la gare
murmurent quelques voix sous des parapluies
Mais comme dans l'Ouest américain d'autrefois
la grande affaire c'est encore le train
partout de hauts essieux rouillent sous les ombelles
et des locomotives à cloche de bronze
barbouillent ce dessin d'enfant bicolore
Entre les tas de tourbe deux étudiants
jouent aux cartes au bord d'une flaque
il faut bien traverser cet été
qui ressemble à l'automne ailleurs
Les champs, les guérets verts répètent :
" Un… deux… trois cents corbeaux… "
…
p.221
la surface était d’une belle matière veloutée, celle d’un vieux pot sorti du four. Entre les trous de coffrage et quelques graffitis indécis, une main enfantine mais résolue avait écrit baka (imbécile). Je l’ai pris pour moi : j’avais dû passer cent fois là devant sans rien voir.
Cesse de vous en faire
Et suivez le courant
Si vos pensées sont liées
Elles perdent leur fraicheur
Seng-t'san
Avec leurs perspectives de lanternes et leurs néons, la plupart des villes japonaises se donnent la nuit l'air de métropoles. Le jour venu ce ne sont plus que des agglomérations poussées trop vite sous un feston de lignes électriques, d'isolateurs et d'enseignes éteintes. Le visiteur a l'impression qu'on l'a trompé.
Pas à Kyoto.