Fahrenheit 451 écrit en 1953, sous la plume audacieuse de
Ray Bradbury, n'a aucun besoin de lifting pour se rajeunir. Hors du temps, dans un pays inconnu, de manière métaphorique, le livre pose clairement la question de la censure et de la manipulation des peuples par les pouvoirs en place. Les différents problèmes que soulève l'auteur sont toujours d'actualité, 70 ans plus tard.
le message de Bradbury est assez simple et limpide. Tout d'abord, le choix du titre est une évidence, 451° Fahrenheit (environ 233° Celsius) est la température à laquelle un livre prend feu. Dans le roman, les livres sont interdits. Lire ou posséder un livre est un crime de trahison passible de la peine capitale. Dans ce monde, les pompiers n'ont pas à protéger les individus des flammes puisque tout l'environnement est totalement ignifugé, ils ont le devoir de veiller au bon fonctionnement du système en le protégeant des libres penseurs, donc de brûler chaque livre qu'ils découvrent.
Ce n'est pas
Ray Bradbury qui a inventé les autodafés. Ce terme qualifie la destruction par le feu de tout objet détesté ou condamné. Si ce sont les livres les plus concernés, les premiers à connaître ce châtiment ont été les hérétiques, au 16ème siècle, lors de l'Inquisition. La censure a été également formalisée à la même période puisque l'Église avait établi une liste de plus de 5 000 ouvrages interdits. Passer outre cette décision était passible d'excommunication, sentence bien plus menaçante au Moyen-âge qu'aujourd'hui. En 1946, la dernière liste remise à jour comptait encore plus de 3 000 auteurs. Il est hallucinant de réaliser que c'est seulement en 1966 que cette liste a enfin été abolie. Il ne faut pas oublier que la Censure existe toujours, de façon très virulente, dans de nombreux pays.
La métaphore du feu est complexe, car l'homme a une relation toxique avec lui. S'il est signe de destruction, à l'image de son rôle dans le roman, il est aussi signe de vie, en apportant la chaleur pour combattre le froid, la possibilité de s'alimenter dans de meilleures conditions, de connaissance donnant la lumière, et aussi de création de nouveaux matériaux comme l'acier. Si ce dernier n'était pas encore au programme, je pense que les premiers hommes ne me contrediraient pas.
le sujet principal de
Fahrenheit 451 est le contrôle du pouvoir en place sur les masses par différentes méthodes associées afin de s'assurer de son efficacité et d'avoir une emprise sur la pensée individuelle. La destruction des livres est le moyen le plus sûr d'empêcher les citoyens de s'informer ou d'éprouver des sentiments jugés nuisibles et dangereux pouvant entraîner des troubles dans une collectivité que l'on veut uniforme. C'est un comportement que l'on retrouve dans tous les régimes totalitaires qu'ils soient politiques ou religieux, il faut contrôler les actions des individus.
La technologie est aussi utilisée pour saturer l'esprit, soit par les écrans géants omniprésents diffusant des émissions de divertissement interactif, soit par des écouteurs (les coquillages dans les oreilles de Mildred), soit par les publicités hurlantes dans le métro vantant les mérites d'un produit. Il ne reste aucun espace pour que le cerveau réagisse par lui-même, il est en permanence sollicité et connecté à des valeurs fictives en perdant la notion de relation aux autres. À ce stade, je m'autorise à qualifier l'auteur de visionnaire, si je me réfère aux chaînes d'infos en continu, matraquant la divulgation de faits plutôt que des études de fond, ou aux émissions débilitantes dans lesquelles de jeunes écervelés passent leur temps à s'injurier, sous couvert de se détendre, sans parler des tablettes, smartphones ou autres qui ont envahi notre quotidien.
Il est utile de se replacer dans le contexte de 1953 aux États-Unis. Ce sont les balbutiements de la télévision, baignés dans l'ambiance de la Guerre Froide avec la peur du communisme. À cette époque, le sénateur républicain Joseph MacCarthy (1908-1957) a donné son nom à un mouvement politique, tristement célèbre, souvent appelé "la chasse aux sorcières". Sous le motif exprimé de défendre la sécurité nationale, le maccarthysme a consisté à restreindre les droits civiques des individus ayant des opinions politiques ou des idées sociales considérées comme subversives et dangereuses pour la communauté. Les communistes, bien sûr, mais aussi les homosexuels et les drogués en ont fait les frais.
Ce monde imaginaire affiche plusieurs inversions par rapport au monde réel. Pour nous, le pompier est un combattant du feu alors que dans
Fahrenheit 451, il propage l'incendie à l'aide de lance-flammes, à l'image allégorique de la salamandre crachant le feu. Dans l'absolu, le rôle du gouvernement est de prendre soin de ses citoyens, dans ce cas, il déclare appliquer des mesures expéditives pour son bien, mais le rend encore plus asservi en lui interdisant l'accès à l'information, l'empêchant ainsi de développer un esprit critique. le chien, déclaré "le meilleur ami de l'homme", connu pour sa loyauté, sa fidèle compagnie, assurant la protection de son maître, devient une distorsion de la nature, une mécanique conçue pour détecter les récalcitrants par son flair et pouvant aller jusqu'à les tuer si nécessaire.
le pompier Montag, agissant comme un robot conformiste, exécutant sa tâche sans discernement, commence à se découvrir de l'empathie grâce à la rencontre de Clarisse, esprit libre et innocent. Il prend conscience que, derrière chaque livre, il y a un auteur avec des idées et une façon de penser. À partir de là, il va doucement s'éveiller à la vie jusqu'à en être effrayé avant de retrouver une sérénité, chèrement acquise, en se reconnectant à l'humain.
Il y aurait encore tant à dire... L'image du phénix renaissant de ses cendres, symbole de renouveau, les hommes incarnant des oeuvres vivantes pour la connaissance et la transmission, le comptage des jours comme pour prendre conscience du temps qui passe malgré l'uniformité imposée, etc. le plus simple est de lire ce roman d'anticipation dystopique, facile d'accès pour tous les lecteurs, pour se forger son opinion et se rendre compte que, même si nous n'avons pas les voitures volantes de l'an 2000, imaginées par la plupart des auteurs du 20ème siècle, nous avons déjà coché beaucoup de cases, signalées ou suggérées par
Ray Bradbury.