Alan Bradley nous offre encore une fois une intrigue pleine d'intelligence et de mordant, dont la complexité s'adresse aussi bien à un lectorat adulte passionné de cosy mysteries vintage qu'à un public plus jeune. En situant son histoire en plein hiver, l'auteur renouvelle son atmosphère habituelle : plus de grandes ballades à vélo dans la campagne telles que Flavia les aime, plus d'investigation dans
les quatre coins du village. Cette fois, tout le monde se trouve bloqué dans le manoir de Buckshaw, piégé au beau milieu d'un blizzard. A l'instar de tous les personnages présents, le lecteur lui-même se retrouve groggy et se laisse porter par le rythme, beaucoup plus lent que celui des autres tomes mais autrement agréable. Moins centré sur les aspects policiers de son histoire, l'auteur s'attarde ici sur la psychologie de son héroïne et sur les réminiscences que l'hiver provoque dans les couloirs glacials du manoir : bien que l'humour reste omniprésent, jamais le fantôme d'Harriet, la défunte mère de Flavia, n'aura été aussi présent. Flavia, d'ailleurs, étrange et fascinante fillette indubitablement précoce, mais qui oscille sans cesse entre la logique scientifique de l'adulte et les croyances fantaisistes de l'enfance.
le titre "
Je suis lasse des ombres" (traduction littérale du titre VO) m'a renvoyé à toute une réflexion, certainement délibérément provoquée par l'auteur, même si la référence parlera davantage aux lecteurs anglophiles. En effet, il s'agit d'un extrait du poème La dame de Shalott, mythe arthurien médiéval anglais ; il raconte l'histoire d'une jeune fille prisonnière d'une pièce d'où elle ne peut observer le monde extérieur qu'à travers le reflet que lui renvoie un large miroir. Une légende qui évoque directement au mythe de la caverne de
Platon, dans lequel des individus prisonniers d'une grotte sont persuadés que les ombres projetées sur les murs depuis le monde extérieur sont des expressions du réels et non de simples illusions. Ces deux histoires assez proches dans leur symbolique sont devenues des métaphores des arts offrant une imitation de la réalité, à l'image des arts scéniques tels que les pantomimes, le théâtre ou... par extension le cinéma, ces deux derniers ayant une importance toute particulière dans le roman d'
Alan Bradley! Des clins d'oeil très littéraires et toujours pertinents, comme cet auteur nous y a habitué dans ses oeuvres.
Ce quatrième opus de Flavia de Luce évoque aussi par de nombreux points le roman
le miroir se brisa d'
Agatha Christie, qui pourrait être une des inspirations possibles : on y retrouve en trame de fond le tournage d'un film dans un manoir de village anglais, avec la présence d'une grande actrice qui suscite la curiosité des habitants et... une histoire criminelle qui met en relief des liens insoupçonnés entre la comédienne et certains des humbles villageois. Pour couronner le tout, le titre "
Le miroir se brisa" était également extrait d'un vers de... La dame de Shalott! Que la littérature est amusante!
En bref : Un quatrième tome de Flavia de Luce absolument délicieux qui se déroule dans l'atmosphère gelée de l'hiver anglais, sujet à faire de cet opus un titre plus intimiste que les précédents. Un roman pimenté par l'introduction du milieu extravagant du cinéma dans la demeure des de Luce et cette ambiance unique de superproduction vintage, le tout parsemé de références culturelles et littéraires toujours intelligentes
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