Il y a quelques semaines, je vous parlais de l'album d'
Anthony Browne,
Promenade au parc.
Une histoire à quatre voix reprend, vingt ans plus tard, la même histoire sous un angle ou plutôt quatre angles différents.
Ces deux titres ne vont pas l'un sans l'autre, l'un venant compléter l'autre et vice versa. Tel
Queneau dans ses
Exercices de style,
Anthony Browne nous offre différentes portes d'entrées pour découvrir ainsi les pensées et ressentis des principaux protagonistes de cette promenade : madame Smarthe, monsieur Smith, les adultes ; Charles et Réglisse, les enfants. On aurait pu imaginer deux voix supplémentaires, celles des deux chiens, Victoria et Albert...
Pour renforcer l'individualité de ces voix narratives, l'auteur joue également sur la typographie des textes, le style et les couleurs des traits et des dessins. Coup de génie supplémentaire, ces voix forment un tout cohérent puisqu'il y associe à chaque fois une saison et qu'on assiste ainsi à un panel de sentiments où la mélancolie et la tristesse font progressivement place à l'espoir, la joie et le bonheur.
Pour illustrer cette trame liée aux saisons, j'évoquerais la seconde voix, celle de M. Smith. Pour cette voix, l'auteur a choisi l'hiver. Les couleurs sont sombres et froides, ce qui colle parfaitement aux préoccupations du personnage, sans emploi, qui se raccroche au moindre petit espoir. Sa force, il la puise au contact de sa fille, Réglisse, qui le tire vers une renaissance, un nouveau printemps.
On peut ainsi jouer au jeu des dix différences en comparant deux illustrations similaires, l'une où Mr Smith et sa fille partent au parc et l'autre où ils en reviennent.
Les traits se font plus lisses, les couleurs plus vives. Les grillages et tessons de verre sur les murs ainsi que les détritus qui jonchaient le sol ont disparu. La Joconde de Léonard de Vinci et le cavalier souriant de Franz Hals, abandonnés dans la rue et trempant piteusement dans une flaque, se sont animés et ont entamé un tango endiablé. Même le père Noël qui demandait l'aumône pour sa femme et ses millions d'enfants à nourrir est entré dans la danse. le ciel s'est illuminé d'étoiles, les immeubles se sont parés de mille couleurs et, à la place du réverbère froid et impersonnel, a fleuri un perce-neige géant, annonciateur de jours meilleurs... A ouvrir grands les oreilles, on pourrait presque entendre le cri victorieux de
King-Kong au sommet de l'immeuble.
De ces détails qui participent à la compréhension du récit ou ajoutent touches de fantaisie et d'humour, l'album en fourmille. Tout comme les nombreuses références à l'art et à ses courants impressionniste, expressionniste et surréaliste...
Ce qui peut surprendre, c'est que les personnages humains du premier album ont laissé la place à des gorilles, élément récurrent dans l'oeuvre d'
Anthony Browne.
Il s'en explique ainsi :
"Aux trois quarts de mon travail d'illustration, j'ai eu la forte impression que quelque chose n'allait pas, et je me suis mis à peindre sur des illustrations déjà terminées et c'est finalement un gorille qui est apparu sous mon pinceau. J'étais partagé, je ne voulais pas faire un nouveau livre avec des gorilles, et pourtant ça fonctionnait parfaitement. L'illustration s'imposait totalement, elle gagnait en simplicité, en évidence. J'ai alors changé tous les autres personnages, et ça fonctionnait aussi parfaitement pour eux. D'une certaine façon, ça les rendait plus vrais, plus humains. Et ça rendait le livre plus drôle aussi."
Anthony Browne, Histoires d'une oeuvre, Kaléidoscope, p. 35
Il ne vous reste plus qu'à lire, relire et relire encore ces deux albums... C'est garanti, à chaque lecture, vous y découvrirez de nouvelles surprises : une illusion d'optique cachée dans une rembarde, une Mary Poppins emportée par le vent, le cri de Munch démultiplié... et bien d'autres dont je vous laisse la surprise.
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