Tout d'abord, je tiens à saluer la collection « Folio biographies » qui, de par le faible prix des ouvrages proposés, met à la portée de tous de sérieuses et passionnantes biographies.
Ceci étant dit, celle d'
Yves Buin, consacrée à l'âme damnée des Lettres françaises, est proprement excellente.
Sans éluder tous les travers – dont certains indéniablement odieux – de la personnalité délirante de Louis-Ferdinand Destouches (qui se fera appeler
Céline, en hommage à sa grand-mère), Buin, psychiatre de formation, montre à quel point ce délire de la persécution, cette paranoïa sont constitutifs de l'écrivain et son oeuvre.
Céline déploie en effet une écriture pulsionnelle et en même temps cisèle ses phrases pour qu'elles ne retiennent que l'essentiel. Il transpose le langage parlé sur le papier avec une maîtrise inégalée à ce jour. Ce n'est pas un hasard si le dialoguiste
Michel Audiard, amateur éclairé lui aussi du phrasé populaire, déclarera, après sa mort : « le père
Céline, on lui doit tout. Sans lui, aucun auteur actuel n'écrirait, ou alors comme Duhamel. Mais là-dessus, personne ne moufte jamais. On n'admet pas. »
Parce que
Céline est gênant précisément à cause de son écriture inouïe ; parce le mythe du « salaud » sans nuance colporté longtemps par une gauche revancharde, et peu regardante sur son passé par toujours rose, est coriace – pas une rue à Paris qui porte son nom ! –, on ne reconnaît que du bout des lèvres ce génie de la littérature.
Certains avanceront ses fantasmes autobiographiques, posés là pour dissimuler une vérité honteuse et tromper le lecteur (voir Contre
Céline, de
Jean-Pierre Martin). Reproche-t-on à
Proust d'avoir fait de même ?
Homme de paradoxes, puisque c'est de l'homme qu'il s'agit dans cette remarquable biographie,
Céline, ainsi autopsié, redevient ce qu'il n'a jamais cessé d'être : un HOMME. Et un homme n'est pas un monolithe immuable.
Buin fait donc tomber la statue de l'anti-Commandeur sculptée à grands renforts d'approximations, de mensonges (
Céline n'a jamais travaillé pour la Gestapo !), et il en ressort un écrivain qui ne jouait pas à écrire, mais qui s'est consumé à le faire.