Si l'on ne m'avait pas offert ce livre, il y a très peu de chance pour que je me le sois procurée. En effet,
Patrick Buisson, journaliste d'extrême droite, ancien de "Minute" , et moi ne partageons pas du tout les mêmes valeurs.
En outre
Lorànt Deutsch, qui a participé au livre, est un royaliste qui a une tendance à s'arranger avec
L Histoire, ce qui ne me plait guère.
Mais un cadeau est un cadeau et, en bonne dévoreuse de livres, je n'ai pas pu m'empêcher de le lire de la première à la dernière page.
Il faut dire aussi que le livre est une réussite esthétique : entre la couverture en relief, la jolie typographie, la texture du papier et les nombreuses photos d'archives de Paris et de Céline, je ne pouvais pas le laisser moisir sur mes étagères.
Le Paris de Céline est un double portrait : celui de Céline et celui de Paris. Nous partons sur les traces de l'écrivain, de sa naissance passage Choiseul jusqu'à son décès à Meudon, terre d'exil.
La vie de Céline étant intimement liée à Paris, on découvre au fil des pages un Paris qui n'existe plus. Celui des pavés humides, sentant le gaz des becs Auer, la crotte de chien et l'urine. Celui de l'Exposition Universelle de 1900 et de son trottoir roulant. Celui de l'opérette et des chansonniers. Celui des gamins pauvres abandonnés. Celui des Poulbots et de Gen Paul. Celui des petits bistrots. C'est passionnant et les nombreuses photos qui illustrent le récit sont autant de pépites.
Au fil des pages,
Patrick Buisson raconte Céline. Sa vie de médecin, ses premiers écrits, sa vie d'artiste, les rencontres amicales et amoureuses... Il pose sur l'auteur un regard tendre mais pas dupe. Aussi, j'en venais à espérer que tous les pans de la vie de
Louis-Ferdinand Céline seraient évoqués, mêmes les plus écoeurants _ surtout ceux-là ! Eh bien non !
Patrick Buisson réussit un tour de force inouï : parler de la vie de Céline sans évoquer ou presque ce qui a poussé l'écrivain à fuir la France lors de la Libération !
Pas un mot sur les
lettres envoyées aux journaux collaborationnistes, pas un mot sur
L'École des Cadavres, pas un mot sur son soutien à l'Allemagne nazie ! A peine est évoqué son pamphlet antisémite
Bagatelles pour un massacre qualifié de "délire" (sic ), l'Occupation est expédiée en quelques lignes. Sur 200 pages, le mot antisémite ne sera écrit qu'une fois (page 91).
Concernant l'entourage de
Louis-Ferdinand Céline, ce n'est guère mieux. Robert le Vigan, acteur taré et ami de l'écrivain, est qualifié de "pas gentil du tout" et le portrait de l'homme s'achève par "La Seconde Guerre mondiale sera l'occasion pour ce mystique halluciné, d'un ultime repas qu'il prendra à la table de l'occupant, ce qui lui vaudra procès en épuration, indignité nationale et exil". Exil pour un repas ? Vous vous moquez Monsieur ! le Vigan était un abject collabo, délateur auprès de la Gestapo, tenant des propos antisémites sur la radio collabo "Radio Paris". Voilà pourquoi le Vigan a été condamné à la Libération, pas pour un dîner !
Patrick Buisson veut racheter Céline. Il nous martèle que Céline était médecin et l'a été jusqu'à la fin de sa vie n'hésitant pas à soigner des malheureux torturés par la Gestapo. Oui, oui mais le reste ?! le reste, moche et sale, qui explique l'exil au Danemark, qui explique la solitude, le repli à Meudon, le voisinage pas content et les écrits vengeurs de l'écrivain ? On l'oublie ? On fait comme si ça n'existait pas ? On refait
L Histoire à sa sauce, on ment par omission ? Ridicule et malsain.
Patrick Buisson signe un portrait incomplet et partial qui n'a pour but que de redorer le blason de l'écrivain.
Lorànt Deutsch peut toujours tirer la tronche sur les photos, c'est surtout le lecteur qui l'a mauvaise après avoir terminé le livre.
Patrick Buisson est un journaliste sérieux, on pouvait donc s'attendre à un ouvrage qui l'est autant. Il est à parier que ceux qui ne connaissent pas ou peu Céline prendront ses dires pour argent comptant et c'est bien là que le bât blesse.
Céline n'était pas un héros, ni un "anarchiste-libertaire" mais un salaud et un lâche qui a mis ses talents d'écriture au service des pires idéologies. Chacun est libre de lire les livres de Céline, là n'est pas la question. de même que
le Paris de Céline a autant sa place chez les libraires que n'importe quel livre mais il est bon de savoir où l'on met les pieds.
La couverture est attrayante, le contenu beaucoup moins... à moins de partager le point de vue de messieurs Buisson et Deutsch.