À quoi reconnaît-on une bonne biographie d'ecrivain ? À ce qu'elle donne envie de lire ou de relire les oeuvres de l'écrivain en question, et aux clefs qu'elle apporte aux oeuvres. C'est exactement ce que fait
Claude Burgelin avec ce «
Georges Perec ». Il n'en est pas à son coup d'essai puisqu'il est déjà l'auteur d'un livre sur Perec paru en 1988 au Seuil, il est également membre de l'association
Georges Perec qui édite les Cahiers du même nom, et a participé à l'édition des oeuvres en Pléiade ; et surtout il a fréquenté Perec de près très jeune et jusqu'à la fin.
C'est une biographie chronologique, mais toujours la vie privée est mise en relation avec les textes. Dès le début, Burgelin interroge les rapports de l'oeuvre et de Perec à sa judéité, au décès de son père polonais naturalisé français et engagé volontaire, mort pour la France en juin 1940, et à
la disparition de sa mère à Auschwitz en 1943. Comment ces éléments résonnent dans tous ses livres, parfois sourdement mais en étant bel et bien présent. Il faut voir comme cela irrigue « W ou le Souvenir d'enfance », roman troublant s'il en est dans lequel se mêlent olympisme et nazisme, enfance et persécutions.
Burgelin met au jour des correspondances entre les oeuvres, comment elles se répondent et se citent les unes les autres, leur(s) enchevêtrement(s), alors qu'au premier abord, et tout à fait sciemment de la part de Perec, celles-ci ne se ressemblent pas.
On voit un écrivain au travail en permanence, l'écriture oscillant entre jeux et autobiographie, trouvant inspiration et stimulation dans des contraintes qu'il invente ou s'approprie grâce aux échecs ou aux mathématiques sans jamais renoncer à la légèreté de l'écriture, s'amusant à emprunter pour mieux honorer les oeuvres de Kafka ou de Melville ou d'autres, procédant comme un architecte pour bâtir la structure de ses romans puis comme un ébéniste tant ses phrases sont composées comme de la marqueterie. À ce titre, la lente élaboration de «
La vie mode d'emploi » est exemplaire, le long chapitre que lui consacre à juste titre
Claude Burgelin est tout bonnement passionnant et donne instantanément l'envie de replonger dans ce chef-d'oeuvre absolu.
Ce qui surprend aussi au cours du livre c'est le peu de succès de Perec avant «
La vie mode d'emploi », à l'exception toute relative du premier roman publié en 1965, « Les choses ». Au vu de l'influence de son oeuvre il paraît presque inconcevable qu'un livre aussi puissant que « W ou le Souvenir d'enfance » soit sorti dans une indifférence quasi générale.
Autre face de cette biographie, Burgelin montre la réalité quotidienne de Perec, son emploi de documentaliste, ses heurs et malheurs amoureux, son goût pour le jeu (
les mots croisés, les échecs, le go, etc), son attraction vers le cinéma, etc.
Bien évidemment les dernières pages sont les plus tristes, les plus poignantes et pas seulement parce qu'elles racontent les derniers mois de Perec mort prématurément quatre jours avant ses 46 ans, c'est aussi pour
Claude Burgelin la mort d'un ami admirable. Cette amitié paraît constamment au gré des pages, c'est ce qui rend cette biographie émouvante qui est bien plus qu'une simple vie d'écrivain et qui fait que je n'avais pas envie que ce livre se termine. Je l'ai refermé la mort dans l'âme en prenant refuge dans les recueils d'entretiens de Perec qui dessinent une autre biographie de l'écrivain, une autre histoire de ses livres, etc.