Il y a des romans dont on attend plus que d'autres. Cela tient sans doute à l'ambition qu'ils affichent. Ou au thème qu'ils abordent.
Une thérapie fait partie de ceux-là même s'il s'agit d'un premier livre et que le temps m'a appris à me méfier de ces circonstances. Souvent, l'ouvrage est trop ciselé, déborde de toute la complexité que son auteur a cru nécessaire à une possible publication. Souvent aussi, s'y exprime une diffraction du sens en mille scintillements aussi artificiels qu'agaçants mais qui espère lester le propos d'un poids certain de signifiances et vaudrait ainsi qu'on érige son auteur en Ecrivain. Comme une consécration.
Quoiqu'il en soit, le bel objet qu'est
Une thérapie m'invitait à en attendre beaucoup. Couverture impeccablement mate, au dessin que je sais, désormais que j'ai terminé le roman, parfaitement, subtilement, adapté. Quatrième de couverture appelant les compétences interprétatives du lecteur. Un petit délice en puissance.
L'appareil narratif du roman a confirmé mes espérances : un entrelacs de chapitres où tour à tour s'expriment un psychiatre suicidaire en cure et son thérapeute. L'enjeu est de remonter le fil du récit, de parvenir à mettre des mots sur l'expérience ayant précédé le geste presque fatal. A nous de devenir également psy. A nous de débusquer la vérité expliquant les troubles. A nous de décerner à la parole du patient le statut qu'elle mérite : récit traumatique ou affabulation. Mystification manipulatoire ou genèse d'un nouveau drame. Miam !
C'est très agréable à lire. Un peu long par moment car, malgré l'introduction régulière de nouveaux personnages, la chronologie suffisamment heurtée pour qu'on s'y perde et que le jeu de pistes se complique de notre confusion, il ne se passe tout de même pas grand-chose. Comme un brouillard supplémentaire, la crudité de certaines scènes de sexe vient occuper l'esprit du lecteur, l'amène, à la suite du thérapeute qui reçoit le malheureux M Frédérique, à poser différentes hypothèses. On flirte un peu avec la littérature licencieuse aussi, avec des soirées imbibées, des musiciens amateurs, des week-ends en Bretagne. On revit le premier et le deuxième confinement. Tout ceci fait une bonne petite atmosphère.
Toutefois (vous l'attendiez, hein !), toutefois, je n'ai pas arrêté de me dire : « Punaise, la fin a intérêt à être à la hauteur de tout ce déploiement », puis « La vache, comment il va se récupérer notre auteur après nous avoir infligé tout ça ? ». Et finalement « Mais il est où le bouquet final ? Je n'en vois pas la queue et je suis à deux pages de la fin… ».
Au début, j'avais envisagé la piste du roman noir ou du thriller psychologique. Jouant sur les figures du double, mettant en question la véracité de chacun des discours, je cherchais le meurtre et son meurtrier. J'attendais le coup de théâtre, le basculement peut-être dans des fusillades, des courses poursuites ou des révélations abracadabrantes. Fausse piste.
Ensuite, j'ai espéré rattacher la clinique décrite à une forme de symbolique. L'amour fait mal depuis des siècles, on en a tout de même tiré un paquet de tragédies, de mythes, de quoi dépasser et sublimer à chaque fois les petites affaires de coeur et de cul que seuls les principaux intéressés trouvent palpitantes. Si j'avais dans les mains un roman dont c'était le propos, il fallait qu'au moins on s'élève à cette possibilité, que ce soit par le biais de l'interprétation littéraire, mystique ou psychanalytique. Mais, à de nombreuses reprises, le narrateur se gausse de tout le fatras psychanalytique dépassé et se félicite qu'il ne fasse plus partie du bagage universitaire enseigné aux psychiatres. Personnellement, un peu de symbolique et d'interprétatif allant chercher de ce côté-là ne m'aurait pas déçu. C'aurait apporté une noirceur et une profondeur à la simple description fonctionnelle des troubles de ce pauvre M Frédérique. Il y a bien une tentative d'y suppléer sur le mode littéraire avec la mention d'
Hölderlin, Artaud, Michaux et d'autres poètes ayant fréquenté la folie mais j'y ai vu davantage un saupoudrage de circonstance qu'une véritable veine d'inspiration.
Non, à travers la vie des personnages telle qu'elle nous est contée, on comprend que la souffrance humaine s'inscrit dans la rationalité d'existences traumatisées et pas dans la glaise d'une conception métaphysique, tragique. C'est peut-être plus contemporain. Plus clinique. Très MSD. C'est incontestablement plus plat. Moi, en tout cas, ça m'a déçue et je n'ai pas pu m'empêcher d'y voir le signe d'un premier roman où il y avait trop d'éléments autobiographiques à insérer pour que le récit prenne une vraie hauteur. La catharsis personnelle pas encore transfigurée par la capacité à en faire un invariant qui prétende à l'universel. le récit autoapitoyé qu'il était sans doute nécessaire d'écrire, mais pas forcément de publier en l'état. Mais ça ne m'empêchera pas de guetter le prochain roman de ce
Léo Cairn car j'ai trouvé à sa plume beaucoup de charme prometteur.