L'Etranger et
La Peste ont fait plus pour la célébrité d'
Albert Camus que tout le reste de l'oeuvre, pourtant de très haute qualité littéraire, intellectuelle ou morale. Cela vient sans doute à la fois de la profondeur de la pensée et du style de l'auteur, différent sur chaque roman (détaché dans
L'Etranger, plus classique dans
La Peste), mais toujours d'un impact réel sur le lecteur.
Les deux romans, correspondent, on le sait, à deux cycles successifs dans la pensée de l'auteur ; le cycle de l'absurde (où
L'Etranger illustre l'absurdité de la vie, et comme une mise en abyme l'absurdité d'accepter cette absurdité) et le cycle de la révolte (où
La Peste représente une réaction humaniste à cette absurdité).
« Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran. de l'avis général, ils n'y étaient pas à leur place, sortant un peu de l'ordinaire », c'est ce que nous dit l'auteur en préambule. Et d'emblée on entre dans le vif du sujet : « le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier ». Voilà le décor est planté, on connaît le lieu, on connaît l'époque et on a les premiers éléments pour voir de quoi on va parler. On va parler du Mal. Ici il va prendre l'apparence d'une épidémie, mettant en scène, et parfois en affrontement, une série de personnages différents les uns des autres (Bernard Rieux, un médecin, Tarrou, un rentier, Paneloux, un prêtre, Grand, un employé municipal, Rambert, un journaliste…et curieusement pas de femmes, ou alors totalement effacées... et pas d'Arabes non plus, sinon pour la couleur locale, et encore). Au fur et à mesure que l‘épidémie avance, les tensions s'accentuent. Parallèlement à la lutte contre le Mal, les interrogations se multiplient, amplifiées par les croyances (ou non-croyances) de chacun.
La Peste est un roman allégorique. du fait qu'il se passe dans les années 40, certains y ont vu en transparence une évocation de la 2de guerre mondiale. C'est possible, mais rien n'est moins certain. Ce qui est indéniable, c'est que le Mal est au coeur du problème : l'allégorie concerne plutôt, à mon avis, les différentes attitudes qu'on peut adopter par rapport au fléau. On peut penser à
Bernanos par moments,
La Peste est – aussi – un roman métaphysique.
Et puis ne l'oublions pas.
La Peste est aussi un exemple de cas où l'homme se voit obliger de lutter contre l'adversité (fût-elle absurde, et aveugle comme l'épidémie), c'est le thème même de la révolte que prône Camus, doublé ici, d'une bonne dose d'humanisme et d'altruisme.
Roman majeur du XXème siècle (tous pays confondus),
La Peste nous touche autant par l'humanité qui le traverse que la profondeur de pensée qu'il suscite, et la conviction assurée, une fois de plus, que Camus est un immense écrivain.