C'est d'abord amusant, cet auteur qui écrit sur un auteur qui se demande s'il est dans le vrai ou le faux et écrit des romans sur des personnages qui oscillent entre réalité et illusion.
La frontière est celle des personnages dans leur monde, de l'auteur de SF dans le sien, de l'auteur de la biographie dont on ne doute pas qu'elle soit romancée. On en vient à se dire que l'interrogation imprègne Carrère lui-même : à hésiter entre écrire sur la réalité ou l'illusion, il écrit donc sur quelqu'un qui se demande quelle est sa place dans le monde et, pour y répondre, écrit des personnages évoluant entre réalité et illusion. le tout dans une biographie romancée ou un roman biographique. C'est finalement la raison même du roman qui est le vrai sujet du livre : écrire pour créer l'illusion de la vérité. le roman ne parle donc de rien, sinon de l'hypnotisme de la lecture par la conviction du vrai par des mots, le fait de rester constamment sur le fil de la crédulité pour garder la concentration de la lecture. le sujet est K. Dick, qui oscille ainsi durant toute son existence (hypothèse de Carrère) et les mondes de ses romans qui font de même.
On est amusé des idées de K. Dick et des résumés de ses livres, mais ces idées sont celles de K. Dick, pas vraiment l'apport de Carrère, sauf à considérer, ce qui est suggéré, que Dick est très peu littéraire - alors, dans ce cas, la synthèse de Carrère donne de la littérarité à de la SF mal écrite. Carrère écrit donc de la SF sans le dire, ce qui lui évite d'entacher son statut d'écrivain de littérature - et tout à la fois enrichit son roman théorique des idées de la SF. Pratique.
Mais au bout de cent cinquante pages on a compris le système et le livre en fait quatre cents : si bien que, malgré la tentative de dynamiser le rythme par de petits paragraphes, insinuée aux environs des pages deux cents, on s'ennuie tout de même.
L'irruption de Paul et des origines chrétiennes semblent annoncer
le royaume. On a à la fois envie de lire Ubik et le maître du haut-château, et à la fois on appréhende une mauvaise lecture ennuyeuse, à cause de l'opinion qu'en donne Carrère lui-même dans son roman : il se pourrait que les synthèses de Carrère soient meilleures et plus lisibles - ou que Carrère veuille le faire croire - mais pourquoi réécrirait-il un roman sur des romans s'il n'avait l'ambition de les dépasser ?