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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
C'est la fin de l'année, ou le début de la nouvelle, je ne sais plus… Et si je sortais une bonne bouteille de whisky. Et si je sortais un bon bouquin américain. Et si je sortais justement un recueil de nouvelles de Raymond Carver. Carver, Ça fait longtemps que je n'ai pas lu Raymond. Je sens que c'est ce qu'il me faut pour accompagner mon Smoke Stack, je souffle sur la poussière qui s'envole des pages de mon bouquin, retombe au pied de mon verre au goût fumé. Voilà je suis en Amérique, une Amérique d'un autre temps certes, mais les « charmes » de la vie américaine à la sauce Carver opère toujours avec moi.

« Tais-toi, je t'en prie », supplie-je. le silence s'impose pour écouter les battements de coeurs qui cognent dans ces maisons pavillonnaires. Lorsque les volets se ferment. Ou lorsque la porte s'ouvre pour récupérer une bouteille de lait. Dis, c'est quoi cette bouteille de lait. Ecoute petit, oublie le lait, viens lire avec moi ces histoires, de couples, d'enfants ou de chiens. Il y en a pour tous les goûts, et même si tu n'aimes pas le fumé de mon whisky. Comme il y en a pour toutes les vies, du moment qu'elles soient ordinaires. Et si je mettais un 33 tours de Tom Waits ?

Avec Raymond, il ne se passe rien d'extraordinaire, simplement des tranches de vies, simples, basiques, communes. Il y est question, d'amour, un peu, de couples, souvent et de solitude, beaucoup. Rentrer avec un roman de Carver n'est jamais gage d'une grande éclat', d'un moment festif, et pourtant le plaisir y est toujours, je parle en mon nom propre. Les hommes boivent et se retrouvent seuls. Les femmes boivent aussi et se sentent seules. On discute couple et amertume autour d'un verre, d'une bière. On imagine rupture autour d'une bière, dans un bar, sans strip-teaseuse (pas d'éclat', on est toujours dans du Carver). On se sent triste dans ce bar, dans sa cuisine, la porte du frigo qui se referme sur les canettes de bières… Et souvent il y pleut sur les vitres comme sur les visages.

Il ne se passe rien... et pourtant je l'adore... cet écrivain qui peut écrire trois pages simplement sur un pauvre type qui pisse dans un urinoir...
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Voilà une lecture qui se mérite … Non à cause d'un vocabulaire recherché, que du contraire, ni d'un style trop travaillé ou d'une syntaxe alambiquée. On est ici dans l'extrême simplicité. L'épreuve réside dans la confrontation avec la banalité, l'insignifiance, la futilité de la vie humaine. Pages après pages, nous sommes ramenés à notre propre histoire, si petitement banale.

Ces nouvelles ont été écrites au siècle dernier, bien avant l'exacerbation du narcissisme et de l'égocentrisme encouragée par les réseaux sociaux, bien avant cette orgie de photos dégoulinantes de bonheur, de rencontres fabuleuses, mais éphémères, et d'aventures trépidantes de globe-trotters pantouflards. Pas sûre qu'il y ait d'ailleurs encore de la place pour ce genre de littérature dans le monde actuel.

Raymond Carver décrit de façon très lucide et sans effet romanesque (ce qui peut être très déstabilisant) la vie ordinaire de ses compatriotes, dans une sorte de photomaton géant et littéraire. Dans ses nouvelles, il jette une lumière crue sur nos petites vies, notre solitude, nos petits travers, et parfois notre part sombre. Les personnages sont jaloux, fainéants, médiocres, froussards, ennuyeux, lâches … C'est une galerie d'anti-héros.

Mais quand Raymond se met à nous parler d'amour, par exemple dans la très belle nouvelle qui donne le titre à ce livre, alors là c'est tout simplement magnifique. On peut regretter qu'il n'ait pas plus écrit sur ce thème, mais peut-être que ♫ l'amour est rare, et le bonheur aussi ♫ (comme chantait l'autre) … Je ne sais.

Le tout est révélé sans complaisance mais sans aucun jugement, un peu à la façon des reportages de l'émission belge Strip-Tease, pour ceux qui connaissent. C'est écrit sans fard, dans un souci extrême d'honnêteté, de justesse, mais c'est aussi empli d'empathie et d'humanité.

Si vous ne connaissez pas Raymond Carver, je pense que la lecture de « les feux », où l'auteur éclaire sa démarche, est indispensable et permet d'aborder son oeuvre mieux armé.
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Plus je lis Carver et plus je l'apprécie. Pourtant, à première vue, rien de bien complexe chez cet auteur là. Nul besoin de relectures. Toutes ses nouvelles se ressemblent, alors pourquoi s'échiner à lire la prose banale et un rien déprimante de ce grand gaillard au regard triste?
Comme souvent, la facilité de lecture, la simplicité du style et du propos cache un travail conséquent. Chaque phrase est léchée, sculptée, ciselée. Rien n'y manque et rien ne saurait y manquer. Carver est un équilibriste du verbe, un perfectionniste. Il aborde la nouvelle à la manière d'un poète, en cela réside sa particularité. Ce style épuré a d'ailleurs fait sa réputation. Paradoxalement, on connait plus le nouvelliste que le poète.
Mais au delà du caractère éthéré et contemplatif de son écriture, Carver a surtout l'art de susciter l'émotion. Il manie comme personne le non-dit, l'ellipse, la suggestion. Car ce qui est important dans ses histoires, c'est ce qui n'est pas dit explicitement. Sous couvert de situations banales, on touche aux fêlures, à la douleur quotidienne. Pas de chutes sensationnelles, pas de morales bienveillantes ; juste ces clichés, ces portraits-robots d'êtres au bord du désespoir. Une incursion dans l'envers du décor. Carver, c'est la face cachée de l'american way of life, des hommes et des femmes qui vivent à crédit, cumulent les jobs, se débattent dans leur mariage, survivent tant bien que mal dans le marasme du consumérisme.
Comment faire passer autant avec si peu? C'est la question que je me pose à chaque lecture. Et chaque nouvelle lecture apporte son lot de nouvelles interrogations.
Voilà pourquoi il faut lire et relire Carver, cet homme qui ne jurait que par un minimalisme forcené. Ce grand gaillard au regard triste qui avait su, en toute humilité, s'effacer derrière l'émotion pour mieux la sublimer.
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Toutes ces nouvelles suent le désespoir, le mal-être, la solitude. Mais bon sang que l'écriture est juste. Pas un mot de trop, pas d'adjectif inutile ou superflu. Tout est dit, simplement dit, cruellement dit.

Raymond Carver nous parle des petites gens engluées dans leur quotidien, ne sachant comment sortir la tête de l'eau. Ces facteurs, chômeurs, garces, voisins, représentants, mères de famille, bûcherons, couples au bord de la crise de nerfs, tous à un tournant de leur vie, celui de la prise de conscience du vide de leur vie. Les uns enviant le sort de leurs voisins, les autres rejetant la faute de leurs déboires sur leurs chiens ou leurs locataires...
Peu importe ! Ils savent le degré zéro de leur vie mais ne cherchent pas à atteindre un autre niveau. Ils vivent parce qu'il faut vivre. Ils sont résignés. Ils n'attendent rien. D'ailleurs ces nouvelles n'ont souvent pas de chute. Pourquoi faire ? Puisque rien, jamais, ne change.
Mais tous ces personnages ont un point commun : l'alcool (quelquefois la drogue, ou les deux) et la clope leur servent très souvent de dérivatif, d'échappatoire.
Même les gamins sont déjà laminés par l'indifférence, le désamour ou la lassitude de leurs parents.

C'est de l'implacable solitude dont il s'agit ici. Raymond Carver nous brosse l'envers du décor de l'American way of life et c'est terriblement cinglant.

Un grand merci à Malabar pour ce moment de lecture dérangeant et passionnant et la découverte de cet auteur.
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Il y en a un qui achete des cigarettes. Un autre qui décide d'arrêter de fumer.
Des amours qui commencent et d'autres qui peinent à finir.
De l'alcool, des rires, des angoisses.
Du temps qui passe.
Il y a tout dans les nouvelles de Carver. La vie toute entière, brutale et illuminée.
Une écriture vivante, une des plus vivantes que je connaisse. Des dialogues réalistes. Pas une phrase qui ne sonne pas juste, pas une phrase qui ne soit parfaitement ciselée, précise. C'est beau comme un poème. Comme un poème de Carver, tiens, pourquoi pas.
On l'aura compris, j'ai une tendresse folle pour cet auteur.
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En allant à Dublin, j'avais apporté avec moi "Tais-toi je t'en prie" de Raymond Carver. Ce n'était pas une découverte, mais j'en ai fait une lecture complètement différente de "Les débutants". C'est peut-être le lieu, ou peut-être le film d'Altman qui en dévoilait l'intrigue, reste que l'expérience de "Tais-toi je t'en prie" m'a fait considérer Carver comme l'un des très grands. En fait, c'est plus ou moins toujours la même intrigue, comment s'en sortir malgré tout, sachant qu'il n'y a aucune issue possible. Il ne se passe presque jamais rien dans les nouvelles de Carver, mais ce «presque» est composée d'une matière très étrange. Ce n'est pas véritablement des rêves ou de l'espoir, mais un possible changement qui, par contre, n'est jamais ressenti comme tel. En fait, il ne se réalise jamais. le changement est toujours dissipé dans l'attente qu'il faut subir afin d'y arriver. L'attente, l'engourdissement et les contraintes qu'imposent la vie font que peu importe si le changement advient, ou pas, le cheminement pour s'y rendre à tellement perturbé l'attente initiale, qu'on finit par se lasser du résultat, avant même sa résolution. Les personnages arrivent à destination en ayant oublié les intentions de départ.
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Chaque nouvelle est une sorte d'iceberg : il y a ce qui est dit, ce qu'on lit sur le papier, ces histoires apparemment insignifiantes, et sous chacune d'elle, le gigantesque continent du non-dit, qui rend l'ecriture de Carver pour moi si unique.
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Selon Schopenhauer, « l'existence est un pendule qui oscille entre la souffrance et l'ennui ». Une tournure que J.K Huysmans reprend dans A vau-l'eau pour qualifier son monsieur Folantin, antihéros naturaliste par excellence, et qui s'appliquerait parfaitement à l'esthétique de Raymond Carver. Tais-toi, je t'en prie, ce sont des personnages qui tournent en rond, et qui pensent, et qui ruminent, et qui s'allument une cigarette, et qui ne s'arrêtent pas de tourner en rond, de penser, de ruminer, et qui fument encore. Tais-toi, je t'en prie c'est une boursoufflure de la vie. Tais-toi, je t'en prie, c'est un souffle rance dans l'oreille. C'est un rot dans une brasserie.

Raymond Carver s'inscrit dans une grande tradition de la littérature américaine du vingtième siècle. Entre Fante et Bukowski, il nous jette dans le flot de ces existences perdues, celles de ces laissés pour compte de l'Oregon, ou d'ailleurs. C'est la vie sans artifice qu'il dépeint à travers ces vingt-et-unes nouvelles, par le biais d'une écriture sobre, humble, sans épanchement, ni ornement. Une prose qui semble écrasée par le poids de la vie et l'usure du temps. Une plume sans la prétention de l'écrivain, qui nous fait ressentir plus que jamais que c'est un homme qui parle, qui pense, qui rumine, et qui s'allume une cigarette, et qui écrit ce qu'il se passe sous ses yeux.

Dans « Voisins de palier », nouvelle qui figure dans les premières pages de ce recueil, Bill et Arlène Miller, employés de bureaux, doivent s'occuper de Minette, la chatte de leurs voisins de palier, Jim et Harriet Stone qui, comme très souvent, sont en déplacement. Les Miller envient les Stone, parce que tout leur réussit, parce qu'ils partent régulièrement en vacances, et dînent dans de grands restaurants. Mais à chaque fois que Bill et Arlène pénètrent dans l'appartement de leurs voisins afin de nourrir Minette, ils sont envahis par un sentiment de bien-être. Ils essayent leurs vêtements, fument leurs cigares, s'allongent dans leur lit. Si bien que, tout comme le lecteur, ils ne voient pas le temps passer, et y restent des heures entières sans même s'en apercevoir.

Là réside tout le génie de Carver : il parvient à saisir un instant, une situation, une anecdote, d'où découle tout un univers, une psychologie, un noeud social et culturel. Pas besoin de les expliquer, les choses apparaissent naturellement, comme dans « Ils t'ont pas épousée » par exemple. Earl Ober est au chômage, alors il se rend souvent à la cafétéria ouverte 24h/24 où travaille sa femme Doreen. Un soir, alors qu'elle se penche dans le bac à glace, deux hommes se pourlèchent devant sa jupe qui se relève, et qui laisse entrevoir une partie de ses cuisses. Earl, témoin de ce spectacle, oblige sa femme à faire un régime et revient tous les soirs à la cafétéria pour observer les réactions de ces messieurs. Une réflexion sur l'amour et le désir, tout en nuances : que représente notre bien-aimé(e) aux yeux des autres ? Peut-il encore la désirer comme une étrangère, après toutes ces années de mariage ?

Une esthétique minimaliste, où seules les émotions jaillissent de nouvelles souvent énigmatiques, à l'image de « le père », récit laconique (deux pages) d'une famille penchée au-dessus du berceau d'un nouveau-né. Mais à qui ressemble-t-il, ce gosse sans aucune expression ? Un ovni dans ce recueil, ou plutôt devrions-nous dire un « olni », dont il est difficile d'en dégager un sens précis, même si la dernière phrase éclaire le texte. C'est cela Tais-toi, je t'en prie, c'est la puissance d'un non-dit, c'est le cri d'un silence.

Lien : http://luvuentendudotcom.wor..
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De tous petits éclats de toutes petites vies , écrasées sur le pare-brise de la vie … des malheurs profonds ,profonds mais on s'accroche pour garder la tête hors de l'eau … Grand écrivain.
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Lu en 2021. J'avais eu plaisir à renouer avec l'auteur (ma 3e lecture).
Un recueil de nouvelles, dont attend avec impatience la chute à la fin de chaque histoire, fébrilement. Une écriture toujours aussi figurative et psychologique. Un vrai régal de lecture !!
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