Dialogue

Ce livre rassemble 4 dialogues que Cornélius Castoriadis a eus en 1995 et 1996 (c'est-à-dire un peu plus d'un an avant sa mort) sur l'antenne de France Culture avec 4 intellectels très différents : l'écrivain mexicain Octavio Paz, le psychanalyste Jean-Luc Donnet, le biologiste Fransisco Varela et le mathématicien Alain Connes. Cette diversité témoigne déjà de l'esprit ouvert et curieux qu'était ce penseur, qui a toujours pensé "en dehors des sentiers battus, mais toujours avec une grande exigence de sincérité et de rigueur. Curieusement, des 4 dialogues, c'est le premier, avec Octavio Paz, sur la chose politique, qui m'a semblé le moins intéressant, alors que Castoriadis est surtout connu comme penseur dans le champ de la politique. En revanche j'ai trouvé les 3 autres dialogues tout-à-fait passionnants, aux travers desquels Castoriadis cherche à valider son intuition de "création autonome et imaginaire" valable aussi bien pour l'individu que pour la société qui peut "s'instituer" de façon nouvelle, sans être contenue en germe par les sociétés qui l'ont précédée.

Avec le psychanalyste JY Donnet, Castoriadis, lui-même psychanalyste, va chercher les conditions d'une création de soi, réellement indépendante, "ex nihilo". Avec le biologiste F Varela, il va chercher dans les mécanismes du vivant cette capacité à l'auto-poiesis, à l'auto-création, refusant le terme d'"émergence" car il relie trop à son goût la création au substrat qui la précède. Enfin avec le mathématicien A Connes, il va tenter de définir une idéalité mathématique qui ne serait pas conditionnée par l'homme mais "déjà-là", dans la nature, et que l'homme "découvre", s'opposant ainsi aux thèses matérialistes d'un Jean-Pierre Changeux, par exemple. Les interventions d'Alain Connes sont particulièrement éclairantes (notamment quand il parle de notre rapport au temps et à l'éternité) et on aimerait que ce dialogue là se prolonge un peu plus. Il m'a donné envie de reprendre "Matières à penser", le livre de dialogues entre JP Changeux et A. Connes.

Il y a malgré tout quelque chose d'un peu adolescent dans cette affirmation (que l'on peut ressentir comme systématique) de cette liberté de créer et de créer quelque chose de "radicalement" nouveau. le terme "radical" semble ici employé comme une façon de dire que, quoi que vous fassiez, "je ne serai pas récupéré". de fait, Castoriadis a été peu suivi de son vivant, en tout cas pas comme le furent Sartre, Foucault ou Lacan. Aujourd'hui le mouvement qui, autour de Patrick Viveret et de quelques autres, essaie de trouver un chemin politique en dehors du marxisme et du libéralisme (on parle parfois de "créatifs culturels" mais l'expression est encore peu revendiquée), ce mouvement essaie de trouver chez Castoriadis ou Edgar Morin, son ancien comparse de "Socialisme ou Barbarie", des bases théoriques qui, par leur absence de dogmatisme, leur ouverture vers de multiples domaines de la pensée (y compris les sciences), peuvent être encore très fécondes.

Justement parce que, arrivé à la fin de sa vie, son enthousiasme de chercheur dans le champ politique, social et au delà, est encore intact, ce livre est quelque chose qui fait du bien à lire !