JEUNE […] AUTANT QUE L’EAU…
Jeune, autant que les pierres posées le long
du chemin autant que l’eau. Les hommes en
passant ont toujours redressé les murs qu’ils
faisaient tomber, ils ont posé leurs mains,
l’un après l’autre sur la fleur sèche de la
pierre. Ils sont de ce règne, pour autant qu’il
dure. Quelquefois ils pensent à l’eau vive,
parce qu’ils ont soif, parce qu’il faut rincer
les abats, parce qu’on y puise et la vie et de
la mort, parce qu’on y croise une femme.
Depuis que l’on t’a vu sous le figuier, quel
âge avais-tu ? Tu as cru à cause de l’ombre
et de l’arbre, tu as cru qu’il fallait se lever et
partir. Vers une terre étrangère faite de
pierre et d’eau. Tu n’es pas de ce pays. On
t’y a accueilli en échange de ta peau.
Pour dire quoi, à l'enfant, quand son temps sera venu de s'en aller à pied, que diras-tu de toi, de ces lieux, de cette origine ? Aurez-vous à partager, quant à hier et à demain ? Tu lui diras sûrement quoi faire de ses mains, pour le collet, pour la fronde, tu diras qu'ici il y a eu une forêt noire comme la vraie nuit, l'homme s'y perdait sans jamais voir d'étoiles, et la vie souterraine le regardait aller, tu lui diras ce que tu crois de l'animal ou de l'homme, de l'inimitié de l'affection, tu lui parleras d'une mémoire à garder pour soi, des parentés anciennes, tu lui diras avec des mots d'ici l'amour peut-être, et ce qui dort dans la poitrine, tu lui feras un dessin au mur un visage qu'il puisse regarder longtemps avant de s'en aller.
Tu as un nom et puis un autre, dans une langue et dans une autre, tu voyages loin tu t'amenuises, à mesure des récits qui sont contradictoires mais comme ton père tu es berger, dans ta jeunesse, tu cherchais les bêtes qui s'égarent, là d'où tu viens, on fait comme ici, il ne faut pas qu'une seule se perde, sous le grand ciel blanc la bête blanche et grise, entre ciel et terre. L'écriture menue qu'elle laisse après elle, tu peux lire à l'envers tout ce qu'il te faut savoir. On dira ton nom confondu à d'autres, se perdra le lieu, où tu naquis, il y a tant, restera l'affirmation d'un ailleurs proche, comme un témoignage : tu n'est pas complètement étranger à ce pays.