Dans ce livre rédigé à la première personne,
Solène Chalvon Fioriti revient sur ses années de correspondante de guerre en Afghanistan de 2011 à 2021, témoignant de la montée en tension qui caractérise la période dans cette région du monde. En mêlant habilement témoignage personnel d'une journaliste de guerre, documentaire autour de la condition des femmes dans un état qui organise la ségrégation sexuelle, et analyse politique d'une « guerre infra étatique » éminemment complexe,
Solène Chalvon Fioriti livre un récit à la fois dense et original ancré dans l'actualité.
Tout au long de l'ouvrage, le lecteur est invité à suivre une activiste qui oeuvre au sein d'un réseau clandestin féministe : Layle, qui coordonne le réseau Pill Force en distribuant dans les villes et les campagnes des moyens médicamenteux pour aider les femmes à avorter. Cette meneuse de groupe très éduquée sert de guide à la journaliste, et se distingue par la radicalité de son positionnement idéologique : elle s'oppose au féminisme occidental qu'elle perçoit comme un asservissement et revendique un féminisme pachtoune, imprégné de culture afghane. La singularité de son analyse, son cynisme quant à l'intervention de la communauté internationale, donne des indications précieuses sur les clivages infra étatiques au sein de la communauté afghane, et permet aux lecteurs de mieux appréhender la situation en Afghanistan ces dernières années, et de mieux comprendre la débâcle rapide des américains en août 2021. Au cours des actions menées au sein de ce réseau clandestin qui vise à aider les femmes à avorter, le lecteur est invité à découvrir la réalité des femmes afghanes dans cette région du monde : dès les années 2000 les femmes sont écartées de l'espace public, chaperonnées et considérées comme une monnaie d'échange dans le cadre de tractations entre clans.
De multiples axes de réflexion sont exploités dans cet ouvrage : le clivage ruralité/urbanité en Afghanistan, le passé communiste laïque de la région, le rejet de l'occident, le terrorisme de l'État Islamique, l'impuissance de l'état afghan, l'ancrage territorial des pachtounes, l'instrumentalisation des femmes. A travers le regard de la journaliste, augmenté par les éclairages des femmes afghanes qu'elle rencontre, c'est aussi et peut-être surtout une histoire d'abandon qui nous est contée. Après avoir investi massivement pour la cause féminine en Afghanistan, formant et médiatisant une partie de la population féminine, le retrait des troupes américaines, suite à l'accord de Doha en 2020, signe la fin de l'intérêt de la communauté internationale pour ces femmes, délaissées dans un État désormais autorisé à les persécuter.