Tragique et sublime, fascinant et bouleversant, «
La Femme paradis » est crépusculaire, dans le sombre des arborescences. La nature, dont il est précieux de saisir le moindre souffle. Elle est ici. Pourquoi ?
« Face à soi-même, il est impératif de rechercher plus que la survie ». « En forêt, chaque jour est une saison, un enseignement de lenteur ».
Les années ont passé sur elle. Tenace, vigoureuse, à l'affût, elle est devenue l'alliée des mousses et des buissons, des arbres et des bruissements. Seule et vive, endurante, sa carapace ne tient qu'au journal qu'elle écrit et à sa liseuse qui la raccroche à l'existence. L'autarcie en majesté, elle ne tue que pour se nourrir, pêche dans la rivière les truites, rit de fierté et pleure de froid. On ressent l'ampleur d'un monde sauvage, hostile, craquant comme du bois mort sous ses pieds. le moindre bruit méconnu est un danger.
« Les leçons ont été apprises et retenues. J'ai survécu aux gelées, aux canicules et aux plus formidables intempéries ».
Son refuge est l'Alcazar, son nouveau paradis, sa survie. Elle a fui le monde d'avant. La société en péril. Taire ce qui fût, car ici est le point d'appui de ce récit magistral. Elle écrit et s'emmure dans ses pensées. Moitié déshumanisée, les rites : pour ne pas sombrer. Elle entend une détonation. La présence humaine, la peur proie, le regard en chasse, elle abat avec une violence inouïe, l'homme pourtant pacifique, réfugié dans une grotte avec femme et enfants, en quête de pain et d'eau.
La détonation attise ses craintes, dérange l'hostilité quelque peu apprivoisée. Femme seule et vulnérable. « J'étais heureuse d'être forte et indépendante, la gardienne de ma propre frontière ». La traque commence immanquablement. « Elle refuse d'être proie. Elle ne se dérobe plus. Il reste six balles ».
Le récit est dans cette architecture où tout est en place, magnifiquement. L'écriture de
Pierre Chavagné est à l'instar de la canopée, l'ourlet du monde et chacun des signes est feuillage et espace. La nature souveraine qui coopère aux évènements passés dans sa vie d'antan quand tout a bousculé irrévocablement.
« Un rocher assis sur le rebord de la falaise scrute l'horizon. C'est comme s'il avait été posé là, il y a des millions d'années, vieux sage minéral face à l'immensité. L'homme a la manie de nommer les choses ». « La forêt est dévoreuse d'espoir. Elle vous autorise à passer, rarement à rester. Même la forêt du Paradis ». « Ce qui m'a tirée de la torpeur, c'est le balancement régulier d'une branche de marronnier ».
La détonation symbolise la terreur, pavlovienne et insistante. Les rémanences de l'avant sonnent l'alarme. « Le Paradis », son antre-habitacle prend l'eau. Elle est transie, figée dans ses peurs. Les émanations sont des empreintes, le danger en puissance. Elle ne pense pas à un alter-ego. Elle imagine le pire. Tue par méprise, bête aux abois.
«
La Femme paradis » est un roman qui excelle les infinies douleurs. Elle, intranquille, poignante. Pourquoi ce refuge au fond des bois ? Ongles gercées, chevelure-griffures, larmes invincibles qui percent sa poitrine, goutte-à-goutte ravageur.
« Elle a crée son propre paradis, sa grotte et son ermitage. Recluse dans l'immensité, elle a choisi l'envers du monde. Elle s'est aventurée trop loin des hommes pour revenir. »
Que va-t-il se passer dans cette orée spéculative ? Dans cette nature dont les rais de lumière sont des poésies d'exil et de transhumance ? « L'arbre de toutes les peines . »
Ce récit bleu-nuit, profond, est d'ombre et de lumière. Taire les pages finales. Ici même, où la littérature est éminente. Une apothéose. Publié par les majeures Éditions le Mot et le reste.