Dans ce bref roman de 2007,
Jacques CHESSEX (1934-2009), peu avant sa mort, exhume celles de jeunes filles dans le canton de Vaud, Suisse romande, au tout début du XXe siècle.
CHESSEX s'est en effet intéressé à un fait divers rural survenu tout près du lieu où il avait décidé de vivre dès 1978, Ropraz.
Début 1903, dans cette région protestante de Suisse, Rosa Gilliéron, 20 ans, fille d'un juge de paix et député, meurt d'une méningite. Elle est enterrée dans le cimetière de Ropraz. Mais deux jours plus tard, son corps a été exhumé et profané. de nombreux soupçons, de nombreuses rumeurs enflent sur les habitants des environs. Une véritable psychose collective s'empare des villages.
Moins de deux mois plus tard, à huit kilomètres du drame, même scène d'horreur, rapidement suivie d'une autre, toujours dans le même secteur, une semaine après. La suspicion devient généralisée, de nombreux pays s'intéressent à ces sordides faits divers, jusqu'en Amérique du nord. Les vieilles querelles de clochers réapparaissent dans une région où la misère sexuelle est totale et les croyances ancestrales bien ancrées, « Car partout on a ressorti le Christ qu'on gardait des temps catholiques. Dans tous les villages, les hameaux, maintenant sont accrochés aux cadres des fenêtres, aux espagnolettes, aux linteaux, aux balcons, aux grilles, même aux portes dérobées et aux caves, des guirlandes d'ail et de saintes images qui révulseront le monstre de Ropraz. À nouveau se dressent dans ce pays protestant où on ne les voyait plus depuis quatre siècles ».
La série semble ne plus vouloir s'achever, des vaches sont retrouvées violées, la morbide surenchère est lancée. Un suspect est cependant arrêté : enfance dramatique, parcours chaotique, puis la dérive avec l'alcool comme seul compagnon de route. L'homme est tout d'abord incarcéré puis orienté vers un hôpital psychiatrique. La peine de mort est pourtant abolie mais les « bons citoyens » suisses, avides de « justice », la réclament pour l'accusé.
Dans cette région fortement troublée par l'alcoolisme et la violence, les esprits s'échauffent, les coups bas pleuvent.
CHESSEX raconte cette affaire sans nous épargner les détails horribles, sanguinolents, inhumains. Il déroule son histoire à la manière journalistique, joue avec l'affect, devient grinçant, provoque son lectorat qui se questionne. Certes le texte est bref, mais ponctué d'atrocités avant une fin éblouissante où la petite histoire locale rencontre la grande tragédie mondiale de 14-18, nous laissant hagards, une fin digne de ce nom qui marque pour longtemps, qui ne cesse de hanter notre quotidien à propos d'une célébration toute française dont je vous laisse découvrir la teneur.
CHESSEX est reconnu comme l'un des plus grands écrivains suisses, malgré ses excès (il a beaucoup écrit sur le sadisme par exemple), il est aujourd'hui placé presque aussi haut que son aîné helvétique
Charles Ferdinand RAMUZ, il est une figure littéraire majeure de ce pays neutre et indépendant. C'est à jour le seul auteur suisse à avoir obtenu le prix Goncourt (en 1973 avec «
L'ogre », un texte sur son père suicidé, tragédie qui le dévorera toute sa vie). «
le vampire de Ropraz » constitue l'un de ses chefs d'oeuvre, brillamment maîtrisé, rédigé un siècle après l'une de ces affaires qui rongent un pays entier pour très longtemps.
Ce roman me paraît définitivement associé à un autre des grands textes de
CHESSEX : «
Un juif pour l'exemple » pour plusieurs raisons : brièveté du récit, l'un et l'autre ayant comme point de départ une histoire vraie, l'un et l'autre âpres et fortement dérangeants, l'un et l'autre survenus sur des terres qu'a ensuite beaucoup arpenté
Jacques CHESSEX, tous deux écrits vers la fin de sa vie, à deux ans d'intervalle. Et à titre personnel, il m'est difficile de dissocier ces deux oeuvres, puisqu'elles me furent offertes le même jour, il y a de cela quelques années, par un proche, l'un de ceux qui aiment nous pousser dans vos derniers retranchements, vous tirer sans ménagement aucun hors de votre zone de confort littéraire, c'est-à-dire résolument vers le haut. Et il faut bien reconnaître que ce cadeau a parfaitement fonctionné.
En 2009,
Jacques CHESSEX est inhumé dans le même cimetière où Rosa tente de trouver enfin la paix.
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