Ce billet est celui d'une non lectrice de science-fiction, d'une passionnée de sciences humaines sans aucun attrait particulier pour l'astrophysique ou la physique nucléaire. Vous aurez donc l'amabilité de pondérer mon propos de ces précautions.
Bien. Ceci posé,
le Problème à trois corps m'a déçue. Pourtant, les personnages et le cadre historique m'ont tout de suite plu. La révolution culturelle chinoise, ses purges et ses abus, la manière dont le fanatisme politique et la terreur ont pu anéantir tant de vies et nier les principes élémentaires de la rationalité scientifique, tout cela m'a fort convaincue. Et puis la grandeur des paysages décimés par l'industrieuse humanité, les recherches top secrètes autour de technologies innovantes, tout ce mystère, ces péripéties possibles… C'est d'ailleurs ce qui m'a permis de franchir, laborieusement, les 200 premières pages. Prise par l'intrigue, je me suis même fait l'effet de ces randonneurs qui viennent de gravir une pente conséquente et qui minimisent l'effort fourni au motif qu'il est passé et que le paysage qui s'offre désormais à eux oblitère tous les souffrances passées. Mais cet état de grâce n'a pas duré. Surtout, il n'est pas revenu et j'ai terminé ma lecture sans aucun plaisir, en mode poussif.
Pour en comprendre les raisons, je me suis remémoré les quelques livres de SF que j'avais appréciés : le meilleur des mondes, la Ferme des animaux (ça compte en SF ?), mais surtout
La servante écarlate et 1Q84. A chaque fois, ce qui m'aimante, ce n'est pas tant l'ingéniosité du dispositif fictif que les potentialités que recèle ce dernier en termes d'explorations psychologiques ou sociétales.
Margaret Atwood explique bien, dans je ne sais plus laquelle de ses préfaces, qu'elle n'a utilisé, pour élaborer son monde de SF, aucun élément qui ne se soit déjà produit dans
L Histoire. En somme, pour moi, un bon bouquin est celui qui construit un micro univers servant de bac à sable pour observer et provoquer des comportements éclairant la nature humaine. Je ne suis pas très regardante sur la vraisemblance de ses fondations fictives et j'accepte volontiers de suspendre mon incrédulité pour rentrer dans l'économie de ce microcosme. A condition que, à l'intérieur de cette bulle, ce dernier soit cohérent. A condition qu'il explore des enjeux qui me toucheront.
Toute la fascination que l'on peut éprouver pour
le Problème à trois corps, repose, je crois, sur le caractère brillant de ses démonstrations et la vraisemblance apparente avec laquelle le livre nous fait rentrer dans un univers absolument éloigné de nos certitudes actuelles. Pour ce faire, je dirais que plus de la moitié du roman est consacrée à des explications scientifiques, des descriptions de grandes machines et de leurs réalisations. Or, pour ce qui me concerne, si vous avez besoin, par exemple, d'aliens dans votre histoire, vous n'aurez pas à me convaincre très longtemps, en deux phrases, je vous suis. Et si, pour les besoins de votre démonstration, ces aliens transforment les pingouins en choucroute, inutile de me bassiner avec le processus par lequel ils y parviennent, j'ai suspendu mon incrédulité et j'adhère. Dites-moi juste quelles sont les passionnantes conséquences de tout cela sur la société, les individus qui la composent et tout ira bien entre nous.
Sans doute aussi que les lecteurs plus versés que moi dans les questions de physique, d'astrophysique et de composition de la matière emportent avec eux une culture scientifique qui contient également une part de mystique, de fascination presque métaphysique pour les enjeux sidérants que contiennent la découverte de la fission de l'atome, la physique quantique ou que sais-je encore. Il y aurait un plaisir glaçant à mettre en scène l'énormité des enjeux de certaines théories contemporaines. Evidemment, pour qui y est totalement hermétique, ça tombe à plat. Complètement.
Pour trouver un peu d'oxygène dans ma lecture, j'ai donc reporté mon attention sur ce qui m'importe vraiment : le devenir des personnages, la vraisemblance de leur évolution. Et là, boum badaboum ! Notre ami Wang Mioa, qui nous sert de guide dans cette traversée des enfers, et qui m'est plutôt sympathique commence dans l'histoire avec une femme et un enfant. Mais, à mesure que nous sommes entrainés dans une structure narrative en mille feuilles jouant des temporalités et des espaces, toute référence à cette charmante dame et au bambin disparait complètement ! le seul élément de vraisemblance qui rattache encore Wang Mioa à la réalité tangible d'une existence quotidienne est la manière chronique avec laquelle il s'alcoolise. Un signal d'allégeance au principe de réalité trop faible pour moi. Les autres personnages suivent une trajectoire similaire : plus ou moins bien campés dans leur caractère, leur trajectoire et leurs sentiments au début de l'histoire, ils se dépouillent peu à peu de tous ces ressorts pour ne rester que des forces actantielles au service du dispositif scientifique inventé. Bah non là, on m'a bernée, moi je ne lis que pour les personnages et l'intrigue romanesque, y a tromperie !
Quand à la fin, lorsqu'on a accès aux communications des extraterrestres et qu'on découvre dans leur société le miroir exact des peurs et représentations fantasmées que les Terriens avaient sur eux, j'ai vraiment cherché le numéro des plaintes et réclamations au dos du roman pour protester : tant de blablas scientifico-mystique pour aboutir à cette platitude et cette invraisemblance ?! L'autre, en fait, c'est un peu moi. Nan ?! Tout ça pour ça…What a scoop ! du coup, j'ai ma théorie et je remercie les éventuels lecteurs de ce passage masqué qui ont déjà parcouru l'ensemble de la trilogie de me dire en message privé si je me trompe ou non. Pour moi, c'est trop gros, il existe aussi dans le récit assez de failles pour que ces extraterrestres ne soient qu'une invention d'un contrerévolutionnaire quelconque et que toute cette histoire ne soit qu'une mystification 100 % humaine. La suite de la trilogie abandonnerait alors la piste SF pour développer (enfin !) une narration centrée sur des luttes de pouvoir, des apocalypses climatiques ou nucléaires, tout ce que vous voudrez loin des élucubrations autour de la meilleure manière d'imprimer un proton en 11 dimensions…. Alors, dites-moi s'il vous plait : je prends mes désirs pour des réalités ?
C'est la critique enthousiaste d'ileauxtresors qui m'a conduite à cette lecture. Qu'elle en soit remerciée tout de même, je ne suis pas au point de la regretter car elle m'aura, malgré tout, bien fait cogiter 😊.