C'est en présence du fantôme de l'immense
Lu Xun que s'ouvre cette exploration d'un des plus prometteurs romanciers contemporains chinois, vague paronyme assonant,
Liu Cixin.
Dans « Une
brève histoire du roman chinois » (1930), l'auteur — qui fit basculer la littérature nationale dans la Modernité — pressentait les conséquences des profondes transformations qu'allait subir son pays ( tant en avantages qu'en inconvénients ) sur son expression culturelle, sa singularité comme possible frein à son épanouissement.
En passant, il concluait à demi-mot que le côté « folklorique » attaché aux mythes et légendes de sa civilisation empêchait l'établissement d'un véritable art du roman, ce que le siècle de tous les bouleversements ne viendra pas aider, bien au contraire, laissant une des cultures mondiales prédominantes plutôt pauvre en proportion d'écrivains talentueux.
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Impossible alors de ne citer
Mo Yan, premier
Prix Nobel de littérature, bien qu'ici la rencontre n'ait pas encore donné de fruits mûrs…
Est-on en présence d'un « Grand », à même de renouveler, voire de sublimer aussi bien un genre qu'une nation plutôt en mal d'excellence ou d'avant-garde ?
La
Science-Fiction profitera-t-elle d'un front venu d'Orient ? La trilogie initiée avec «
Le problème à trois corps » semble plaider en sa faveur, mais commençons cette découverte par son roman le plus « réaliste », répondant au genre d' « Hard-Science » comme gage de rigueur narrative.
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On pourra tout d'abord remercier ou brocarder, c'est selon, la théorie quantique actuelle qui, par son incomplétude et sa large porte ouverte à une forme de « magie » relativiste, permet à notre auteur de développer son intrigue à nous en arracher le scalp sans jamais sortir des codes du genre, à savoir un rapport de causalité scientifique « plausible ».
On regrettera qu'un chercheur comme Gerard 't Hooft ( entre autres torrents de médailles, lauréat du
Prix Nobel de Physique 1999 ) grand critique de « l'indétermination », ne soit pas plus populaire chez les romanciers, bien qu‘on comprenne volontiers l'intérêt d'une théorie offrant ses palmes au « tout et son contraire » en même temps, le charlatanisme post-moderne en faisant bien son fond de commerce.
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Et pour continuer sur l'appréciation de l'intrigue en elle-même, bien que l'auteur sache assez bien la mener, son rythme apparait quelque peu désincarné, la faute sans doute à une galerie de personnage à la saveur robotique, particulièrement son héroïne, fantasme guerrier de
Monique Wittig, le souffle en moins ; ou bien esquisse d'une héroïne de manga sans grande imagination, voire marketing sexiste autodestructeur… bref cette « mystérieuse et séduisante » Lin Yun s'avère décevante, plus proche d'une IA ou d'une Lara Croft que d'un réel personnage bien campé.
Le narrateur n'est pas en reste : il rappelle vaguement la saveur d'un kroupouk… sûrement sa texture spongieuse et son éclat de polystyrène expansé.
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Il réussit pourtant quelques belles descriptions, dont une saisissante, digne de l'incroyable armada, avec l'arrivée de la flotte ennemie en Mer de Chine, celle de l'adversaire dont jamais le nom n'est prononcé, le Mordor arborant sûrement la bannière étoilée.
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C'est bien sur ce point que ce roman reste remarquable, forcément du fait de la nationalité de son auteur ; car la Chine, plus que les Etats-Unis à présent, est la nation ayant la plus grande confiance en elle.
Alors que l'Occidental est à présent pris dans des débats autodestructifs, agité de remords jusqu'à la négation de son être, ne croyant plus à sa capacité à améliorer les choses, parfois comprenant la possible impasse du Progrès , le Chinois ne le remerciant jamais assez pour la place laissée.
Dans l'écriture de
Liu Cixin, il y a cette confiance en soi et en l'avenir ( technologique, politique, etc. ) que l'on ne retrouve plus dans nos contrées, à part pour quelques illuminés qui ont séché les cours de thermodynamique, ou pour qui Jancovici est sans doute une marque de viande en barquette. le plus connu étant l'infâme
Laurent Alexandre, mais il y en a de plus dangereux…
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Cette sensation paradoxale est sûrement le sel de ce roman ; l'humaniste ne pouvant que s'incliner devant l'avénement international à présent bien confirmé de cette nouvelle culture de masse, produit d'une acculturation parfois surprenante, les empires s'interpénétrant beaucoup plus qu'on ne le pense.
Il va peut-être falloir s'habituer à ce que notre principale source de Divertissement vienne d'ailleurs…
En attendant, lisons davantage
Lu Xun, son oeuvre essentielle et si peu prolifique, avec la certitude de toucher cette fois-ci l'acmé de la culture littéraire d'une immense nation.