AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,74

sur 450 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Premier coup de coeur de cette rentrée d'hiver !

Dans une ambiance d'emblée sombre, où l'inconfort est le lot du quotidien, le froid, l'obscurité, et la menace permanente d'un danger possible, à une époque et dans un lieu que l'on situera progressivement au fil des indices semés dans le texte, l'Adjoint officie auprès de son supérieur, dans une petite ville où les faits graves sont rares. Or, le Curé vient d'être découvert mort dans la rue, et l'observation même rapide de la victime allongée au sol ne laisse planer aucun doute sur la nature criminelle du décès du prêtre. le crime en lui-même est odieux mais de plus il met en place les conditions d'un conflit social aux conséquences potentiellement graves, dans cette communauté où chrétiens et musulmans cohabitent avec prudence.

Les personnages sont particulièrement bien campés : celui du Policier, ambigu, tour à tour figure de la stabilité et de la rigueur puis moins fiable lorsqu'on découvre les démons qui l'obsèdent, et même carriériste et prêt à vendre son âme pour une promotion. Tout cela en fait un être qui suscite toute une palette de sentiments évolutifs. L'Adjoint est beaucoup plus constant dans son comportement, mais ne serait-il pas plus malin que ne le laisse penser le mépris de son supérieur.
Et puis la figure lumineuse de la jeune Lémia, qui a découvert le corps, vient à la fois illuminer les pages et susciter des craintes pour sa sécurité.


D'emblée dès les premières lignes, on est saisi par la force de la narration, à la fois par la façon dont le décor est planté et l'intensité des personnages. On est bien sûr happé par l'intrigue autour de la mort du curé et des conséquence prévisibles mais en filigrane le contexte politique et religieux est passionnant. Ce polar historique à haute valeur littéraire est porté par une écriture sublime, qui rend l'oeuvre très addictive.

Jamais déçue par les précédents romans de Philippe Claudel, celui-ci risque fort de figurer en tête de mon classement personnel, jusqu'au prochain ?


352 pages Stock 4 janvier 2023
#Crépuscule #NetGalleyFrance

Lien : https://kittylamouette.blogs..
Commenter  J’apprécie          1124
Avec Crépuscule de Philippe Claudel, nous voilà dans un village d'une province reculée située dans un empire imaginaire qui ressemble un peu à l'empire austro-hongrois, au début du XXe siècle.
L'histoire se déroule en hiver, sous un climat rude, un hiver qui semble sans fin.
Ce village presque arriéré est composé d'une majorité de chrétiens 1378 habitants et d'une petite communauté musulmane qui compte cinquante-quatre âmes, les deux religions cohabitant pacifiquement.
Deux enfants découvrent un cadavre, celui du curé retrouvé la tête fracassée par une pierre. Aussitôt la tension devient palpable…
Le binôme, constitué du capitaine Nourio aux pulsions sexuelles récurrentes et de son adjoint Baraj, deux hommes plutôt mal assortis aussi bien physiquement que moralement, est chargé de l'enquête.
Mais que peut-il se passer lorsqu'un prêtre, celui qui incarne la religion dominante d'un village, un de ses membres éminents, est assassiné ? C'est à cette question que tente de répondre Philippe Claudel.
L'auteur nous offre avec Crépuscule, à la fois un roman policier, un roman psychologique, un roman social, un roman noir, très noir, mais surtout, sous l'aspect d'un roman historique, un roman qui nous parle d'aujourd'hui.
Alors que de l'autre côté de la frontière, se trouve un pays dont la bannière est ornée d'un croissant d'or, bouillonnant de force vive, il est intéressant de voir, comment cet Empire qui commence à décliner, à s'éteindre, va prendre le prétexte de ce fait divers sanglant pour éradiquer de son sein cette petite communauté musulmane, naissante mais active, et la massacrer.
On assiste à la faveur du meurtre du curé, à la montée de la violence, de la haine, dans un engrenage irréversible et on découvre le comportement abject et corrompu du Maire, du Rapporteur de l'Administration, du Notaire, du Conservateur des archives, des trois Maîtres d'école, du Receveur, etc... Une scène de chasse à l'ours particulièrement épique met en avant leur complicité.
Impossible de ne pas voir dans ce mécanisme de la haine qui se met en place et cette recherche de bouc-émissaire des échos avec la période dans laquelle nous vivons, où on instrumentalise certains faits que l'on retourne, détruisant ainsi la vérité historique pour aller dans la direction souhaitée.
Dans Crépuscule, Philippe Claudel ne se borne pas à écrire une énigme policière, il raconte la fabrique d'une contre-vérité, une mécanique millénaire tellement actuelle, à savoir, trouver un ennemi commun, ce qui va souder la communauté.
Comme avec le rapport de Brodech, La petite fille de Monsieur Linh, Les âmes grises (Prix Renaudot 2003) ou L'archipel du chien, je me suis à nouveau régalée avec la lecture de ce roman magistral et envoûtant, à l'atmosphère terriblement inquiétante, qu'est Crépuscule. de suspens en rebondissements, il m'a tenue en haleine du début à la fin, fascinée par ce questionnement on ne peut plus d'actualité.
Dans ce monde crépusculaire qui est décrit, le texte très visuel de Philippe Claudel permet une magnifique approche des personnages, des animaux et de la nature.
Les personnages sont solidement dépeints et leurs caractères finement analysés.
Si j'ai trouvé trop présentes et répétitives les pulsions sexuelles de Nourio, j'ai beaucoup apprécié son Adjoint, ce géant maladroit et méprisé par son Capitaine, déjà maltraité et moqué dans son enfance, le seul à ne pas courber l'échine, poète à ses heures mais dont les vers s'effacent au fil de leur création…
Crépuscule de Philippe Claudel est une sorte de fable politique, une réflexion remarquable, profonde et troublante, sur la nature humaine et sur la fabrication de la vérité historique.
De ne pas nommer précisément, ni le lieu où se déroule l'histoire, ni l'époque à laquelle elle se déroule, est une manière d'élargir le propos et de le rendre universel, une manière de dire : cela pourrait se passer ailleurs, aujourd'hui ou demain… Inquiétant...

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
Commenter  J’apprécie          928
En se plongeant dans ce conte cruel qui sonde la noirceur des hommes, Philippe Claudel nous entraîne sur des chemins d'abîme avec un réel talent de conteur. J'aime la prose et l'imagination de l'auteur et j'avoue avoir pris beaucoup de plaisir à dévorer cette histoire sombre.
Tout commence par un meurtre, celui du vieux curé d'une ville reculée dans une Province perdue aux confins de l'Empire. du nom de cette cité et de son pays, on n'en saura pas plus, tout au plus qu'ils se situent dans les Balkans.
Qui a bien pu tuer le curé Pernieg dans une ville où chrétiens et musulmans vivent en harmonie ? C'est le Policier Nourio, et son adjoint, un bon géant plutôt naïf, qui sont chargés de l'enquête.
Très vite, on s'enfonce dans les turpitudes des hommes. Et si ce crime réveillait de mauvais démons, comme le craint l'imam ?
Les personnages sont pour la majorité, des hommes : notables, religieux, petits nobles, représentants zélés de l'Administration Impériale. On s'épie, on s'observe, on feint de bonnes relations mais dans les têtes bouillonnent vanité, vices et désir de puissance.
Les femmes quant à elles, sont peu représentées. On croise l'épouse du Policier, d'elle on ne connait pas le nom mis on sait que, chargée d'une nombreuse marmaille, elle doit subir en femme soumise les coïts frénétiques de son époux. Et puis il y a Lémia, la jeune fille qui a découvert le cadavre et reste le seul témoin du crime. La féminité naissante de cette fillette à l'âme pure et au sourire de madone éveille les bas instincts du Policier.
Et puis, il y a l'hiver, rude, long, trop long, qui façonne le caractère des habitants et les pousse à s'enfermer chez eux. La « rudjia », mélange de brouillard, neige et grésil, est suffocant.
« Ce météore singulier a aussi pour effet de rouler sans fin les pensées des hommes dans la plus poisseuse des morosités, et les enferme à double tour dans la prison angustiée de leur crâne, sans possibilité jamais de les voir s'en échapper. »
Dans cette atmosphère glaciale et angoissante, on suit les soubresauts de l'enquête qui va errer et s'infléchir pour s'accorder avec la vérité prônée par l'Empire tout puissant.
L'humour n'est pas absent de cette sombre épopée, et on y trouve une partie de chasse digne de Tartarin de Tarascon, rôle endossé par le Policier embringué bien malgré lui dans une chasse contre celui qu'on ne nomme pas : le « puissant aux mains griffues », le « grogneur », le « lécheur de miel »
« Crépuscule » est une fable effroyable qui raconte les arrangements de l'Histoire avec la vérité, la déchéance d'une humanité cupide et veule et l'exaltation des âmes pures. La puissance évocatrice de l'écriture de Philippe Claudel sert à merveille ce grand roman que j'ai adoré.



Commenter  J’apprécie          884
Mon premier coup de coeur de l'année ...
Le nouveau roman de Philippe Claudel est dans la même veine que le Rapport de Brodeck, ce magnifique et bouleversant roman, publié en 2007 .

Une bourgade aux confins d'un empire que l'on imagine être l'Autriche-Hongrie à la veille de grands chamboulements , vit tranquillement , n'ayant principalement à déplorer qu'un temps hivernal long et glacial la coupant pendant de longs mois du reste du monde.

Cette relative quiétude est brusquement interrompue par le meurtre du curé . le policier, Nourio, un homme orgueilleux, arrivé d'une autre province voit là l'occasion de montrer son savoir-faire et par là même prendre la place de son supérieur plus âgé , mais qui pouvait en vouloir au prêtre dont le cadavre a été découvert par Lemia, une jeune fille de 13 ans et son petit frère, l'enquête s'avère difficile et piétine

La petite communauté musulmane qui jusque là vivait pacifiquement au coté des catholiques s'inquiète car en l'absence de coupable évident , tous les regards se tournent vers elle et les actes de malveillance, les propos désagréables et les brimades prennent peu à peu de l'ampleur.

Nourio , le policier , s'il a un sens du devoir développé , se laisse malheureusement mené par des pulsions sexuelles irrépressibles qui prennent souvent le dessus et la jeune Lemia devient l'objet d'une obsession maladive .
Lemia est le seul personnage féminin avec la femme du policier , Lemia est l'image même de la pureté à cette période si particulière où elle sort de l'enfance sans se sentir femme mais déjà l'objet des convoitises mâles, alors que la femme du policier représente , elle, toutes les femmes soumises .

Il est secondé par l'adjoint, Baraj, un homme doux, un bon géant, que l'on prend pour un être à l'intelligence limitée mais qui a dans sa tête des bouts de poèmes qui passent comme des nuages qu'il ne peut retenir , qui aime la propreté, la nature et ses deux chiens, Mes Beaux.
Alors que le policier sent bien que la haine monte envers la communauté musulmane et tente , par un subterfuge de désigner un coupable pensant ainsi mettre fin à l'orage qui gronde, il reçoit des ordres supérieurs pour protéger à tout prix les intérêts de l'Empire . Il découvre , à sa stupéfaction, qu'il n'est lui-même qu'une marionnette et que les masques des notables qu'il côtoyait, pensant faire partie de leur milieu, tombent.

Crépuscule est sous une forme romanesque une parabole de notre histoire récente . On assiste à la fabrique de la vérité , vérité officielle ou efficiente comme elle est appelée dans le roman, celle qui arrange le plus grand monde et d'abord le pouvoir et qui modèle L Histoire à son bénéfice, effaçant par son silence les massacres de communautés minoritaires qui servent bien souvent de bouc émissaire.
Et si on se penche un peu sur-soi-même, n'a t'on pas tendance à arranger la vérité à notre avantage, à accuser l'autre, l'étranger , ou le "différent" d'être à l'origine de nos tracas, c'est tellement plus simple que d'affronter nos erreurs ou nos limites ...

Un grand roman avec la plume si reconnaissable de Philippe Claudel , une alchimie superbe des mots , une écriture élégante, pleine de force qui entraine le lecteur dans le maelstrom de l'Histoire ancienne pour mieux dénoncer notre époque et ses travers . Un coup de coeur vous dis-je !

Je remercie vivement NetGalley et les Éditions Stock

#Crépuscule #NetGalleyFrance
Commenter  J’apprécie          6313
Je ne sais pas quoi dire. J'ai peur de mal exprimer mes pensées. Ce livre est d'une telle beauté.
Les idées qu'il transporte d'une grande réflexion sur l'Homme et sur L Histoire. Sur la place de celui-ci et sur l'écriture de celle-là.
Je ne veux pas me tromper. Je veux vous inciter à parcourir ce roman, qui pour moi, est de la même veine, de la même trempe que le rapport de Brodeck. Si j'ai pleuré à la fin de ce roman, c'est parce que je savais qu'ailleurs Brodeck subirait les mêmes avanies. Et si j'ai pleuré à la fin de ce roman-ci, c'est parce que quelque part il peut y avoir de la bonté.

La vie, la mort, les hommes. Les hommes et leurs envies de grandeur, de pouvoir. Les hommes et leur lâcheté, leur haine, leur noirceur. Il y a tout cela dans Crépuscule. Mais il y a aussi des petits bouts de poésie, des petits bouts d'amour, des petits morceaux de bonheur.

Un univers très pictural de froid et de brouillard, une époque et un lieu embrumés eux aussi, et des personnages bien campés et stéréotypés teintent ce roman d'une touche d'onirisme. Mais ne vous y fiez pas, ce roman parle bien de nos sociétés actuelles avec la montée du racisme, la négation de génocides, la force de la religion ou son rejet, la perversion de certains dirigeants, la vérité et le mensonge comme armes de manipulation…

Un roman puissant qui se lit comme un conte. Mais attention à « il était une fois » !


Quelque part aux frontières de l'Empire, le mal est arrivé : le curé Pernieg a été assassiné. Et cette petite communauté, où chacun se connaît et tolère l'autre, est en proie au doute. Un doute distillé par des paroles se voulant anodines, mais accusant l'autre. Cet autre de confession différente.
Et voilà Nourio, notre policier gonflé d'orgueil, et de frénésie sexuelle, qui va enfin pouvoir montrer l'étendue de son intelligence grâce à cette affaire remarquable. Mais si l'enquête piétine, il va quand même devoir faire face à une certaine vérité…
Commenter  J’apprécie          5619
Voilà un roman que je referme le coeur gonflé et comme pris dans un barbelé rouillé.
Dans une petite bourgade nichée près de la Frontière de l'Empire, le Curé a été assassiné en pleine rue par une nuit de neige. le Capitaine et son Adjoint se chargent de l'enquête, mais ce meurtre suscite des tensions, entre les communautés chrétienne et musulmane qui vivaient jusqu'alors en paix, que semblent encourager les autorités impériales. Tout cela va mal finir.

Je sors meurtrie mais éblouie de cette lecture. Philippe Claudel y ravive l'écho douloureux du "Rapport de Brodeck". J'y ai retrouvé la même vilénie des hommes traversée d'éclairs de pureté, et l'étrange onirisme d'un lieu perdu dans un temps enfui. Dans cette ambiance de conte cauchemardesque, qui se situe au coeur d'une vieille Europe virile et brutale à l'orée du XXe siècle, l'auteur sonde les âmes. Celle, noire et puante du Capitaine, et celle, lumineuse et gracieuse de l'Adjoint ; mais toutes deux torturées, car Claudel ne se limite pas à dépeindre grossièrement ses personnages : il les nuance avec une humanité qui tord le ventre.
En outre, l'auteur instaure dès les premières pages une atmosphère pesante -on SAIT que quelque chose de terrifiant va arriver (mais quoi ? quand ? comment ?), et on craint le pire à chaque chapitre -suspense anxiogène. Encore traumatisée par le "Rapport de Brodeck" (pourtant lu il y a plusieurs années), j'appréhendais cette lecture, et elle m'a effectivement mise (très) mal à l'aise, mais j'étais également émerveillée par la beauté de l'écriture qui nimbe les paysages et certains protagonistes ; des lambeaux de poèmes aussi. Et puis, j'ai adoré les noms bizarres des personnages : Krashmir, Pakmur, Baraj, Hkanka..., et la façon de les appeler par leur fonction : le Rapporteur, le Policier, le Vicaire..., qui renforcent l'impression de fable pour grands enfants punis. Enfin, comment résister à des phrases telles que : "La vie est une si étrange aventure que pour la supporter certains d'entre nous ont besoin de se convaincre qu'elle possède un sens. Chacun fait comme il peut : agrégats d'atomes, nous nous croyons bien trop souvent physiciens alors que nous ne sommes que matière." Amen.
Cependant, malgré son extrême dureté, le récit n'est pas exempt d'humour -redoutable, certes, mais qui permet de reprendre un peu son souffle aux dépens d'un Evêque ou d'un Maire. Tout n'est pas si désespéré.

J'ai donc immensément aimé cette histoire affreuse narrée d'une manière aussi magnifique. Je l'ai trouvée parfaite à tous points de vue, un diamant aux bords ébréchés et coupants, qu'on ne peut lire sans souffrir. Je vous invite néanmoins à pénétrer à votre tour dans cet envoûtant "Crépuscule" des hommes.
Bon voyage à vous, bon courage surtout ! Vous en serez largement récompensés, je vous le promets.
Commenter  J’apprécie          5419
Après avoir vu et écouté Philippe Claudel à la Grande Librairie il y a quelques mois, je savais que je lirais ce roman un jour. J'avais déjà beaucoup apprécié Les âmes grises et le rapport de Brodeck il y a longtemps déjà.

J'ai retrouvé avec un immense plaisir sa plume riche, d'une finesse incroyable, sa façon de croquer ses personnages, saisir leur caractère, ses descriptions vivantes de la nature dans son style toujours aussi visuel. Quel régal !

Dans une contrée jamais nommée, un petit coin reculé de l'Empire, situé au-delà de la Frontière. Quelques centaines d'habitants vivent en paix dans ce village qui s'articule autour d'une église et d'une mosquée. Cette paisible bourgade va être secouée par le meurtre brutal du Curé.
Ce n'est pas un banal fait divers, un symbole religieux a été assassiné. Et c'est aussi l'étincelle qui va allumer la mèche du ressentiment, de la haine, de la jalousie.

C'est le Policier Nourio qui enquête; il a fort à faire, peu habitué aux crimes dans ce lieu à l'écart de tout, mais il jubile, convaincu que cette affaire va servir de tremplin à ses ambitions carriéristes.

Des forces, même pas obscures, sont à l'oeuvre pour que la vérité éclate, mais laquelle ? Celle des faits ou celle qui arrange leurs desseins ?

Le Policier, ambivalent et embourbé dans ses propres vices, sera-t-il le jouet de ces forces, le justicier avide de vérité ou l'enquêteur oeuvrant à son propre bénéfice ?

Philippe Claudel transforme petit à petit, avec délice, son récit policier en une fable ténébreuse, allégorie de la noirceur de l'âme humaine malléable et manipulable.

L'Empire, ses gouvernants, ses décideurs, vont instrumentaliser le meurtre du Curé pour monter la communauté chrétienne contre la communauté musulmane beaucoup plus petite mais tellement plus pratiquante et dynamique.

Rien de tel pour ressouder les chrétiens à leur Église, pour éviter l'effondrement d'un Empire aux traditions conservatrices que de trouver un bouc émissaire.

Philippe Claudel nous régale d'un conte vénéneux; sans se faire moralisateur, il nous invite à nous questionner sur la nature humaine, sans oublier de glisser dans son roman des épisodes savoureux, dont l'un a été particulièrement jubilatoire, et enfin, sans oublier de nous illuminer de quelques âmes dont le gris est heureusement absent.

Je terminerai en disant que la couverture éloquente est tout simplement magnifique !!!

Je recommande chaleureusement ce très beau roman.
Commenter  J’apprécie          3814
Beaucoup de passages glauques, sordides où l'auteur s'appesantit plus qu'il n'est nécessaire sur le priapisme du Commissaire Nourio.

Ce même Nourio qui prend son adjoint Baraj pour son boy et un sombre crétin. Mais à crétin , crétin et demi .... !

Ce qui se passe dans cette petite ville pourrait arriver n'importe où, hier comme aujourd'hui ; l'ambiance y est lugubre et exempte de morale.

Belle intensité dans la description des personnages.

La montée de violence, de haine, de vengeance contre la petite communauté musulmane m'a laissé un goût amer.
Le racisme et les problèmes de société ont été évoqués par l'auteur dans tout ce qu'il y a de plus répugnant.
Rien n'est beau dans cette humanité là, en dehors du muet à qui l'on fait subir un horrible sort, et, Baraj géant qui a un coeur d'or et ne trouve l'apaisement et l'amour qu'auprès de la nature, des chevaux et de ses deux grands chiens
ses Beaux. Baraj qui compose de courts poèmes dans sa tête et les perd aussi vite qu'il les trouve.
Et bien entendu la jeune et lumineuse Lémia à peine sortie de l'enfance.

Ecriture bien ciselée qui n'omet aucun détail.

La fin est lumineuse et contraste étrangement avec tout le reste du récit.

* Issu de la nuit et sans pensée
J'y reviendrai nageur ensommeillé
L'oubli sera mon eau
L'inconscience mon mouvement
Tout aura été
Rien ne sera plus
Crépuscule *

Commenter  J’apprécie          351
En ouvrant cet ouvrage à la couverture assez mystérieuse et énigmatique, je ne m'attendais pas à découvrir un roman aussi sombre que captivant.

Alors que dans cette bourgade reculée de l'Empire le temps semble s'être arrêté depuis l'arrivée de l'hiver, le corps du curé est retrouvé sans vie dans une des rues du village... C'est alors que Nourio, un policier venu il y peu de la capitale va y voir l'occasion de briller en résolvant cette enquête. Pourtant, l'agent de police était loin de se douter que le meurtre de l'homme d'église serait une mèche qui mettrait en feu et en sang toute la communauté...

J'ai vraiment adoré la plume incisive mais tellement réaliste de Philippe Claudel que je découvre au travers de "Crépuscule". D'une enquête policière, nous nous plongeons finalement dans un formidable roman social à l'ambiance pesante que j'ai trouvé très intéressant.

Je ne peux que vous conseiller de vous plonger dans cette histoire car celle-ci reste d'actualité alors que plus de deux siècles ont passé et qu'elle montre sans filtre la noirceur des hommes... Merci les Editions Stock et Netgalley France pour ce bon moment de lecture...
Commenter  J’apprécie          342
Une fable ? Un conte métaphorique ? Une allégorie ?
Les avis divergent, les experts s'écharpent, moi je lis.
Et ce que je lis est fort, ce que je lis est noir, ce que je lis m'impressionne.

Nous sommes (peut-être) au début du siècle dernier, quelque part à l'Est, aux confins d'un vague empire d'Europe centrale (l'empire Austro-hongrois ?), non loin de la frontière. Plus loin c'est l'inconnu, les terres brumeuses d'un autre royaume (l'empire Ottoman ?). C'est là, dans une bourgade reculée de cette étrange contrée que se noue le drame : un soir le Curé est assassiné. Horreur et consternation, effroi immédiat au sein de la petite communauté plutôt miséreuse et jusqu'alors sans histoires, parmi ces "êtres d'habitudes, d'ordinaire et de coutumes, pas très doués pour l'exceptionnel".

L'affaire est confiée au Policier Nourio, petit homme mauvais venu d'ailleurs, gonflé de vices et d'ambition, et prétendument plus perspicace que le reste de la population ("qu'on s'imagine prosaïquement une canalisation de diamètre plus grand que la moyenne, mais obstruée de matières sales, plus ou moins compactes, et qui empêchent l'écoulement normal d'une eau claire, et on aura une image exacte du fonctionnement de la pensée de Nourio").
À ses côtés se trouve l'Adjoint Baraj, un brave homme que tous considèrent comme un peu limité, un bon gros géant placide et d'allure maladroite, gentil poète qui s'ignore (Philippe Claudel, toujours si fin quand il s'agit de peindre un personnage, dit de lui qu'il est "une grande chose toute bonne, sans malice, incapable de mauvaises pensées et de mauvaises actions", un "animal à face d'homme ingrat voyant naître en lui des bribes de poèmes merveilleux, dont il ne savait même pas qu'ils étaient des poèmes, et qu'il ne parvenait pas plus à retenir qu'une jarre percée ne peut garder le vin qu'elle contient, fût-il le vin le plus précieux du monde.")

Voilà donc les deux hommes chargés d'élucider le meutre. Difficile de concevoir binôme plus mal assorti !
Bien vite le lecteur se prend d'affection pour l'Adjoint, à mesure que croît son aversion pour les manigances et les perversions de son supérieur. Englué dans ses turpitudes et soumis à d'incontrolable pulsions sexuelles (dont certaines ont, c'est vrai, de quoi donner la nausée), le Policier perd rapidement de vue son enquête, qui se retrouve bientôt reléguée au second plan ("La mort brutale du Curé lui apparut soudain un événement dérisoire. Car ce qui comptait désormais était ce que certaines forces à l'oeuvre avait décidé d'en faire.")
L'intérêt du roman n'est pas là, mais bien dans la description acide du petit microcosme social mis en ébullition par le triste fait divers, et de l'effroyable climat de suspicion qui s'installe au village jusqu'à la désignation des boucs émissaires .
Comme dans le Rapport de Brodeck, on assiste ici à un basculement brutal de l'harmonie au chaos et à la fracturation d'une collectivité fragilisée par la défiance et la peur de l'autre, mais aussi par les manipulations d'un pouvoir central obscur et corrompu. Tous les moyens sont bons pour préserver le lustre et la cohésion de l'Empire, y compris les vengeances aveugles et les condamnations arbitraires.

Tout ici est question d'ambiance, d'atmosphère (crépusculaire, évidemment !) et si j'entends les réserves émises par certains lecteurs quant à la lenteur de l'intrigue ou à la lubricité excessive et malsaine du Policier, j'ai préféré retenir la grande qualité d'écriture, la finesse des descriptions et la puissance des images invoquées par l'auteur. J'ai aussi succombé immédiatement aux charmes des seuls personnages lumineux (l'Adjoint Baraj, la jeune Lemia), les rares que Claudel a voulu sauver des ténèbres ambiantes, âmes simples surnageant dans le cloaque des esprits malades, cruels et vicieux.
L'effet de contraste entre ces deux personnages et le reste des villageois est saisissant !
Les notables du bourg, souvent identifiés par leurs fonctions (le Maire, le Conservateur des Archives, le Receveur, le Rapporteur de l'Administration) comme c'est l'usage dans ce genre récit allégorique, figurent d'ailleurs parmi les plus funestes individus. Avec eux l'auteur s'en donne à coeur joie, et si l'art de la caricature est incontestablement un art délicat, j'ai trouvé que Claudel s'en sortait là particulièrement bien.

Pas grand chose à jeter pour moi, donc, dans ce roman sombre sur la folie des hommes, leurs travers et les égoïsmes qui les poussent parfois à réécrire L Histoire.Un texte aussi noir que beau, dont l'un des enseignements pourrait être le suivant, emprunté au sinistre Policier (dernière citation, c'est promis !) :
"L'âme humaine est plus complexe que vous ne le pensez. Mon métier m'a fait connaître depuis que je l'exerce les faces les plus sombres de notre nature, et même chez les êtres qu'on croit les plus doux et les plus droits, il existe des arrière-salles dans leur crâne pourtant bien ordonné où se cachent les plus ignobles démangeaisons. Il suffit de peu de choses, une faiblesse passagère, le hasard, un mot, pour que s'ouvrent les serrures qui gardent ces lieux infâmes et que se libèrent des énergies dont on ne peut soupçonner la violence."
Commenter  J’apprécie          3210




Lecteurs (1004) Voir plus



Quiz Voir plus

Philippe Claudel

Philippe Claudel est professeur. Auprès de quel public particulier a-t-il enseigné ?

des aveugles
des prisonniers
des immigrés

5 questions
147 lecteurs ont répondu
Thème : Philippe ClaudelCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..