Curieux roman. L'espèce de twist final laisse perplexe et m'a amené à m'interroger sur le but poursuivi par l'auteur.
Un mot d'abord sur le style. J'avais été impressionné par l'écriture de
Meuse l'oubli, ouvrage ciselé et pénétrant sur le deuil et son accomplissement. Ici, je n'ai pas retrouvé cette magie du verbe. L'écriture est minimaliste à l'extrême. Certes, il faut toujours viser la simplicité, éviter les lourdeurs, préférer la légèreté. Mais il ne faut pas non plus exagérer le conseil. L'écriture ne se résume pas à sujet-verbe-complément. Sans tomber dans cette caricature, l'impression d'une volonté farouche de faire le plus simple possible est un peu trop visible. Et le résultat n'est pas toujours très heureux. Parfois même, certaines phrases font un peu enfantines.
L'aspect style est d'autant plus important pour les livres de
Philippe Claudel que je le considère plus comme un écrivain que comme un romancier. L'imagination lui manque pour créer des histoires, c'est un auteur des sentiments, des impressions, des émotions, exprimés avec délicatesse et pudeur. C'est le cas encore dans ce livre, mais il était moins une que le style ne gâche un peu l'affaire.
De quoi donc s'agit-il ? D'un vieil homme vietnamien (ou cambodgien peut-être, je ne sais pas) qui fuit les horreurs de la guerre. Son village a été détruit, sa famille anéantie. Seule sa petite fille (quelques semaines) a survécu et il l'a emmenée avec lui sur le bateau, direction la France. Là-bas, dans ce pays froid et humide, centre d'accueil où il attend, désespéré, son unique raison de vivre étant cette petite fille (la fille de sa fille ou de son fils, je ne sais plus). Il ne comprend pas la langue (ce point est un peu étrange pour un vieil homme qui se rend au pays de l'ancien colonisateur, mais qu'importe) et vit dans une solitude totale.
Sur un banc, il rencontre un Français, un veuf, lui aussi désespéré, et le livre raconte cette amitié simple, profonde et sincère, entre deux hommes qui ne comprennent pas un traitre mot de ce que dit l'autre. L'émotion est belle de ces deux êtres à la dérive qui trouvent en l'autre une île inconnue où se reposer de leurs tourments.
On tique un peu (je sais, je suis trop rationnel, mais on ne se refait pas) au fait que Monsieur Linh trimballe partout sa petite fille de six semaines, la nourrit, la change etc. Parfois, au restaurant où son nouvel ami l'invite, on l'assoit sur une chaise (!?). Je me suis mis à penser (pauvre naïf que je suis) que
Philippe Claudel n'avait sans doute jamais eu d'enfant pour imaginer qu'on puisse trimballer et asseoir ainsi sur une chaise une enfant de six semaines.
Bon, un jour les autorités transfèrent Monsieur Linh (avec sa petite fille qu'on lui laisse…) dans un établissement, un château avec un parc rempli de pensionnaires un peu étranges (une femme veut lui arracher sa petite fille). Il s'aperçoit qu'il ne peut quitter ce lieu, où avec des égards et douceur, il est en réalité retenu prisonnier.
Il se fait la belle en passant par-dessus le mur avec sa petite fille (bravo !), erre dans la ville, finit par retrouver son ami, mais ne peut éviter d'être renversé par une voiture en tentant de le rejoindre en traversant une rue passante. L'ami le croit mort (nous aussi) mais finalement, non, quand l'ami pose la poupée sur lui, monsieur Linh, en quelque sorte ressuscite. On comprend que cette petite fille n'est qu'une poupée. le vieil homme n'a donc plus toute sa tête et le château avec son parc gardé par des infirmiers est en réalité un hôpital psychiatrique.
Je voudrais d'abord m'excuser de vous raconter toute l'histoire. D'ordinaire, je reste discret, mon but n'est pas de déflorer un texte à ce point. Mais il faut y voir l'expression de ma perplexité. L'histoire de cette amitié entre deux êtres qui ne se comprennent pas était belle en soi. Quel est donc le but de l'auteur de nous faire comprendre à la fin que le vieil homme s'accrochait à une poupée, croyant dur comme fer qu'il s'agit de sa petite fille (morte certainement elle-aussi dans le bombardement qui a anéanti toute la famille). Je ne sais pas.
Philippe Claudel veut-il nous dire que l'amitié repose sur un malentendu. En fait-il une loi universelle ? Ou bien que la folie n'empêche pas de souffrir et d'aimer ? Passons-nous à côté de ce qu'il cherche à nous dire ? Questions dont je n'ai pas la réponse. Tant pis. du coup, je suis mitigé.