Une jolie histoire enveloppée dans un tissu de soie.
Monsieur Linh, on ne sait pas vraiment d'où il vient,
Philippe Claudel laisse le soin au lecteur de choisir ses origines, il nous laisse le soin de la destination également, une grande ville portuaire française ou européenne, sans âme, sans
parfum, sans racine pour ce vieil homme réfugié qui a tout perdu à part sa vie, là-bas, à des milliers de kilomètres. Non, pas tout ; lui reste Sang diû, sa petite fille, un bébé de quelques semaines, docile, discrète, silencieuse, trop. Son unique raison de vivre.
Sa rencontre avec Monsieur Bark, au pied du refuge qui les loge, lui et le bébé, les monologues du gros homme dont il ne saisit aucun mot mais dont il ressent la solitude et la bienveillance, lui apporteront de quoi s'ancrer à cette ville bruyante et hostile. Voilà le point de départ de ce court roman.
Mon imagination a choisi le Vietnam comme point de départ, probablement parce que ce pays me fascine. Je pense avoir visionné tous les films évoquant l'énorme raclée administrée au colosse aux pieds d'argile d'outre-Atlantique. Une guerre dont personne ne voulait. Une guerre dont les héros traumatisés n'ont reçu aucune reconnaissance à leur retour.
« Et j'suis revenu dans le monde, et j'ai vu ces hommes me conspuer comme un salopard. Ils m'ont traité de toutes les saloperies, ils m'ont appelé boucher. Qui sont-ils pour me faire des reproches, hein ? Qui sont-ils ? Est-ce qu'ils étaient à ma place, en pleine jungle ? »
J'ai des dialogues de la trilogie d'
Oliver Stone, tout pareil 😅.
Au travers la plume délicate de Claudel, j'ai été transportée par les souvenirs du vieil homme, j'ai pu ressentir la douceur de son pays d'avant la guerre, ses arômes, ses couleurs. Je n'ai pu m'empêcher de faire le lien avec les magnifiques descriptions d'Emulsion, premier roman de
Vanaly Nomain qui m'avait tant touchée.
L'écriture de
Philippe Claudel est ici très différente de celle découverte dans
Fantaisie allemande le mois dernier. Il modifie ici volontairement son style en fonction de l'espace temps. Les narrations décrivant les souvenirs du vieil homme empruntent les chemins de traverse, parsemés de poésie, de douceur, j'ai relevé comme à l'accoutumée, moult fulgurances agréables et mélodieuses.
Quand la narration décrit l'existence du vieil homme dans la ville, le style se veut épuré, répétitif, presque enfantin ( et pour cause ). Les sujets se répètent, les pronoms personnels disparaissent au profit des syntagmes Monsieur Linh, Monsieur Bark, le gros homme, le vieil homme...
Les phrases commencent alors souvent par des conjonctions de coordination, posées de manière abrupte, maladroite comme l'est ce pauvre homme un peu fou, face à la violence de la ville.
La fin, surprenante autant qu'émouvante donnera du poids à ce titre qui me paraissait un peu fade au départ.
Je n'aurais simplement pas rajouté les quelques dernières phrases de la toute fin qui viennent changer inutilement le cours des choses, mais parce que je préfère les sad aux happy ends.