Comme toute légende, le conte dessine des vérités. C’est un autre paradoxe : les vérités ne sont jamais aussi bien montrées que dans les fictions, les contes et les légendes, qui appartiennent à la catégorie du mensonge en ce qu’elles ne relèvent pas de la réalité. Pinocchio ne peut pas mentir sans que cela se voie. Cela fait de lui un enfant vulnérable.
Seul un faible nombre de personnes ont la capacité de tenir cet effort prolongé. L’autre posture, la plus commune, consiste à enjoliver le présent moyennant quelques artifices. C’est ici que le mensonge intervient dans sa fonction bienfaitrice. Pour faire du bien à quelqu’un, pour le soulager de l’angoisse qui le fait souffrir, on va lui dire ce qui paraît adapté afin de le réconforter. C’est le mensonge de charité. Par exemple, un enfant vous présente un gribouillage et vous dites : « C’est très beau » pour le valoriser et l’encourager dans son apprentissage.
La nécessité du mensonge vient du fait que nous vivons en communauté. Un homme naufragé sur une île déserte n’est pas contraint de mentir, puisqu’il est le seul à entendre ses mensonges. Il ne peut intentionnellement se tromper lui-même sans savoir qu’il ment. La seule façon de se dégager des mensonges avec lesquels nous vivons en société serait de se retirer dans le désert pour méditer et d’accéder â gg1l’évidence sereine de notre espace intérieur. Précisons qu’il n’y a pas de mensonge lorsque la personne ne sait pas qu’elle ne dit pas la vérité.
Un vieil adage dit que l’habit ne fait pas le moine. On peut le corriger en disant que l’habit peut convaincre longtemps, aussi longtemps que l’entourage voudra y croire. Dès lors qu’un individu opportuniste pénètre dans un milieu institutionnel dans lequel les codes d’apparence sont ostentatoires – l’uniforme, les médailles, les gestes, le vocabulaire –, l’adoption de ces codes lui permet de « faire le moine » aussi longtemps que la supercherie peut durer.
Le prisonnier a le droit de poser une question et une seule à l’un des gardes qui est obligé de lui répondre. Comment le prisonnier peut-il sans erreur choisir la bonne porte ? Il doit concevoir une question de façon à annuler la double incertitude à laquelle il est exposé. Il peut y parvenir s’il annule l’effet de vérité et l’effet du mensonge en les conjuguant. Il va demander à l’un des gardiens la réponse que lui ferait l’autre gardien : « Quelle porte m’indiquerait l’autre gardien si je lui demandais de m’indiquer laquelle mène vers la liberté ? »
Patrick Clervoy est médecin psychiatre, professeur agrégé du Val-de-Grâce. Il a effectué plusieurs missions sur différents théâtres d'opération. Il est l'auteur d'ouvrages sur les traumatismes psychiques et les mécanismes inconscients de violence collective. Il a publié aux éditions Odile Jacob un ouvrage qui explore les phénomènes de guérison - Les pouvoirs de l'esprit sur le corps – et un autre – Vérité ou mensonge - sur les mécanismes psychologiques qui organisent l'emprise du mensonge sur un groupe social.
Conférence : Comment se construit et se déconstruit un mensonge ?
1er juillet 2022, 12h15 - 13h — Amphi 24
Construire un mensonge c'est facile. Construire un mensonge est une faculté d'adaptation sociale. La capacité à mentir intervient dans la séduction, dans la diplomatie, dans l'art de gouverner. C'est l'un des paradoxes du mensonge : il empoisonne la relation sociale en même temps qu'il est indispensable pour faciliter cette relation dès lors qu'on est à l'échelle d'une population. Lorsqu'on regarde la place du mensonge dans le fonctionnement d'un groupe, l'une des surprises est qu'un groupe fait davantage confiance à un homme qui ment bien, avec agilité et avec aplomb, qu'à celui qui ferait l'effort d'être honnête. On découvre aussi que le groupe participe à la construction du mensonge et parfois s'oppose avec violence à celle ou celui qui voudrait le dénoncer. L'exemple présenté montre que l'effort de déconstruire un mensonge peut être funeste, autant pour le menteur que pour ceux qui l'ont cru.
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