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sur 119 notes
Comment recommencer une nouvelle vie, à vingt-huit ans, étant considéré analphabète dans un centre de réfugiés d'un nouveau pays, quand on a déjà lu Edgar Allan Poe, ou Kafka, on connait la différence entre le réalisme et le surréalisme, déjà eu un prix littéraire très important en Yougoslavie et on écoute du jazz, Miles, Mingus et Coltrane.....?
Comment vivre sans argent, sans parents, sans amis,sans parler français,au milieu de familles africaines, ex-soldats russes et paumés de toute espèce ?
Comment noyer un passé douloureux, une enfance sous Tito,la barbarie de la guerre civile,la perte de ses proches?
L'auteur du truculent "Jésus et Tito" nous relate ici ses premières années d'exils de 1992 à 2000, depuis son arrivée à Rennes après sa désertion de l'armée bosniaque.
Sa bouée de sauvetage sera l'écriture et sa folle ambition littéraire, sa carotte devant l'âne.
Avec beaucoup d'humour et de dérision, il nous relate ces années difficiles , sa percé dans le monde littéraire français, et son errance à travers l'Europe, la solitude ne le quittant jamais d'une semelle, quelque soit les circonstances.
L'humour est fin, l'autodérision assassine, bref malgré le tragique, il nous fait bien rire.
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En 2018, pour fêter ses 20 ans, le Courier des Balkans a organisé une table ronde avec des écrivains des Balkans dont le thème était : Écrire dans la langue de son exil.
C'est là, que j'ai eu la formidable chance de rencontrer la bulgare Elitza Gueorguieva, découverte avec son roman : Les cosmonautes ne font que passer.
Et, puis, à la faveur d'un débat, j'ai découvert un homme aux yeux bleus perçants, avec une tristesse et une mélancolie empreintes sur son visage.
Cet homme, c'était Velibor Colic, je l'ai écouté raconter son périple et son arrivée en FRANCE, à Rennes, et de suite, j'ai eu envie de lire son roman.
Manuel d'exil est un livre qui vous prend aux tripes, qui vous malaxe , qui vous pétrit, qui vous meurtrit .
Avec un humour et une poésie sans nom, Velibor Colic nous convie dans cet exil, après avoir déserté l'armée bosniaque, fuit cette guerre qui lui fait dire avec beaucoup de justesse :
"Peut-on écrire après Sarajevo?"
Velibor Colic avec une grande tendresse d'ours mal leché nous emmène dans son exil intérieur
" Depuis que je suis exilé il y a beaucoup trop de miroirs et de fenêtres autour de moi. Impossible d'y échapper".
J'ai beaucoup aimé aussi ce parfum suranné qu'il porte et transporte d'un autre monde: l'empire Austro-hongrois.
Tellement émouvant, quand place Wenceslas, il croise le fantôme de Stefan Zweig.
"Je sais que l'homme dépourvu de sa terre ne peut prétendre au ciel."
Oui, c'est un récit qui porte sur l'exil, le temps et l'érosion du temps, un monde qui se clôt.
Je pourrais encore tant parler de ce livre, il m'a beaucoup touché et je repense au regard rêveur et nostalgique de l'auteur, lors de cette rencontre, une journée très pluvieuse de décembre à Paris.
Je lui laisse la conclusion.
"Plus que jamais je suis perdu dans une Europe aveugle, indifférente au sort des nouveaux apatrides. Mes rêves de capitalisme et de monde libre, de voyages et de villes des arts et des lettres sont devenus des mouchoirs en papier usagés,utiles pendant un bref instant mais gênants après l'utilisation. Rien que des cendres.
J'ai échangé la fin du communisme pour le crépuscule du capitalisme "

Chapeau bas Monsieur Velibor Colic !
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Quand j'entends « migrant », je pense automatiquement Afrique, faim, guerre, désespoir, misère, survie et tant de termes que ma condition d'européen privilégié m'empêche (quelle chance) de connaitre, de ressentir dans l'absolu…
Quand j'entends « génocide », je pense tout de suite à juif, Arménien, Rwanda, Tutsi, Amerindien, Ukraine (depuis le poignant billet d'Iboo : https://www.babelio.com/livres/Naumiak-Ukraine-1933-Holodomor--Itineraire-dune-famille-/1007576/critiques/1494841).
Dans les deux cas, combien sommes-nous à penser Yougoslavie? Moi, jamais je l'avoue et pourtant… Ca se passait à notre porte il n'y a pas 25 ans…

Manuel d'exil n'est pas un livre sur la guerre en ex Yougoslavie mais sur un destin qui fera partie des dommages collatéraux, comme on dit.
Velibor Colic, raconte quelques fragments de son parcours.
Quelques débris d'avant AK47 au fond des poches pour toute richesse, il arrive à Rennes comme aujourd'hui tant de gens arrivent quelque part sur une cote Méditerranéenne. Un migrant, perdu. Un sinistré hagard qui erre dans les ruines d'un passé pourtant plein de promesses. La vie continue, accompagnée de quelques fantômes. La vie continue malgré cette sensation ne plus y participer, malgré cette impression d'être devenu spectateur voir de subir le temps qui passe. Entre apnée et amnésie, c'est toute une rééducation qui reste à faire.
Difficile de se souvenir qu'on est un homme quand le regard de l'autre vous renvoie au rang de parasite, de gêneur, de sous homme. Difficile de garder un zest d'estime de soi quand les rares paroles qui vous sont adressées vous donnent l'impression d'être, dans le meilleur des cas, une brave bête à qui il ne manque plus que la parole.
Velibor Colic va passer de chambres en foyers, de bancs en bancs, de bars en bars, de villes en villes. Il va faire le chemin, presque caricatural et malheureusement si réel, tracé par notre « civilisation » qui accordera ou non le droit de vivre (le droit d'asile comme on dit…) aux hommes de rien.
Fin de la première partie parce qu'après…
Après, le début de la deuxième moitié du manuel d'exil ressemble plus à une immersion chez les bobos qu'à une véritable galère. Attention, quand je dis « immersion chez », je ne dis pas que Colic embrasse la « cause », il y est plus en observateur et par intérêt. Un intérêt commun avec des gens plus ou moins condescendants qui se servent de lui à des fins financières ou « philosophico-humanitaires ». Un échange de « bons » procédés en somme.
Les dernières « leçons » (chapitres), nous font voyager de Budapest à Milan en passant par Paris, Prague ou Venise mais plus en tant que migrant. En tant qu'écrivain bohème, une voie qu'il draguait avant l'an kalachnikov.
J'avoue que ce que j'appelle « deuxième partie » m'a beaucoup moins intéressé même si malgré la vie qui se simplifie, qui reprend un cours moins incertain, Velibor Colic reste un déraciné, un meurtri.
Son écriture est parsemée de lambeaux d'espoirs qui ouvrent la porte à quelques moments de poésie dans une période de sa vie pas vraiment propice au « beau ». L'exil est une encre indélébile, un tatouage à l'âme. C'est un mal insidieux qui guette et surgit à n'importe quel instant pour un mot, un visage, une odeur qui rappelle… La « guérison » n'est qu'apparente car si tout quitter est difficile, les causes du départ, elles, sont gravées dans l'inconscient.
Je ne sais pas trop comment définir le ton du bouquin. La quatrième de couverture nous promet une langue pleine de fantaisie et d'humour avec une ironie féroce et tendre. J'ai trouvé que ça oscillait aussi beaucoup entre désabusement et fatalisme. Un mélange de tout ça qui en fait une lecture qui n'appelle pas l'oeil à s'humecter mais qui laisse parfois la gorge un peu sèche…
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«  Je suis une tache gênante et sale, une gifle sur le visage de l'humanité, je suis un migrant . »
«  Des cendres. Rien que des cendres. J'ai échangé la fin du communisme pour le crépuscule du capitalisme » .

« Mon corps inutile commence à rouiller . Je suis robotisé par la misère. Je suis un long spectre faible et transparent posé sur le trottoir , un insecte nocturne qui brûle à petit feu , trahi par le halo des lampadaires . »

Quelques extraits de ce livre lu d'une traite , que l'on pourrait qualifier de « Chronique des OUBLIÉS » où l'auteur , après avoir déserté l'armée bosniaque, se retrouve à Rennes , dans un foyer de demandeurs d'asile à la fin de l'été 1992, je me suis demandée :
ET SI le lecteur se posait la question.


Comment survivre et s'adapter dans un pays inconnu , dont on ignore la langue, sans argent , sans amis , dans un dénuement physique et intellectuel ?
AVEC pour tout bagage et pas des moindres : Jean - Paul Sartre, , Émilie Dickinson, Raymond Carver, Ernest Hemingway, , Modigliani , Dostojevski, après avoir traversé l'Europe endormie: Croatie, Slovénie , Autriche et Allemagne réunifiée? .
L'auteur nous conte avec superbe, ironie, poésie, immense dérision , tendresse , à la mesure de ce qu'il vit , ses rêves , la ville de ses songes, insolite maelström de son bourg natal, curieux mélange de Sarajevo et Dubrovnik jusqu'à son réveil douloureux : surtout vivre une vie sans EXIL ...
Il nous décrit sans apitoiement la condition des réfugiés ....sujet d'actualité.

Sa France est faite d'un espace très réduit :
Cultivé et démuni, ironique et désabusé, une ombre parmi les ombres, il attendra un signe au fond d'une Église, habité par un froid métaphysique , entre désespoir et ironie féroces, il errera entre Prague, Venise, Strasbourg et Paris....
La langue est imagée, colorée, riante, triste ou désespérée , pétrie de portraits chaleureux , fins , fouillés , réalistes , de femmes, d'hommes, cette gente humaine cruelle ou lumineuse....

Parfois il se sent immensément grand , en d'autres temps , minable et le corps douloureux . ..

.. Un très bel opus prêté par ma médiathèque.
Elle m'a demandé de le lire avant la rencontre avec Velibor Čolic en novembre .
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Quand on est écrivain et que la guerre vous attrape , vous enrôle et vous barde de ces horreurs, la fuite est une option non négligeable .
C'est celle retenue par Velibor Colic , soldat de l'armée bosniaque au début des années 90 dans un pays à feu et à sang. Son exil l'envoie à Rennes dans un foyer .

Livre autobiographique donc , plein de charme , d'autodérision , d'humour mais aussi de nostalgie , de tendresse et d'alcool.
Pas simple quand on est un érudit de tomber dans un pays où l'on ne comprend rien et où l'on doit se battre chaque minute.
Velibor Colic nous narre ses premières années dans une très belle langue où suinte son amour des lettres, des femmes , de la bière mais aussi des Balkans dont chaque évocation est remarquablement écrite.

Une très belle découverte d'un auteur qui à travers ce texte intime se rend forcément très sympathique .
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Un manuel d'exil grinçant et ironique , derrière lequel on perçoit toute la détresse de Velibor Čolić devant ce que l'exil de sa Bosnie natale, en proie au nettoyage ethnique , a fait de lui : un vagabond qui s'abrutit d'alcool, se couvre de crasse et se fait horreur.

Jamais chez lui nulle part, privé de son statut d'écrivain, errant de ville en ville, de refuge en refuge, il perd peu à peu, à ses propres yeux, ce qui faisait son humanité.

Le part pris du fragment et de l'ironie fait, littéralement , voler en éclats cette douleur, mettant, pudiquement, la souffrance à  distance. On a presque un peu de mal, parfois, à rentrer en empathie avec quelqu'un qui semble se détester si fort.

La deuxième partie où l'auteur semble avoir recouvré son statut d'intellectuel reconnu, lu,  traduit et honoré,  est plus facile à lire, mais aussi moins écorchée vive, moins pathétique, moins prenante.

Parler de soi comme migrant et comme déclassé est un exercice difficile et douloureux . D'où, je pense, le côté un peu forcé, presque laborieux de ce manuel qui semble avant tout destiné à l'auteur lui-même.

Un humour caustique, une grande pudeur et une plume intéressante , piquante, vers laquelle je reviendrai sûrement.
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"La misère du monde s'est donnée rendez-vous à Rennes en cette fin d'été 1992. L'Irak et la Bosnie, la Somalie et l'Ethiopie, plusieurs pays de l'ex-bloc soviétique. Quelques vagabonds professionnels en plus, des hommes
perdus depuis longtemps, peut-être depuis toujours, entre les diverses administrations et les frontières, entre le vrai monde et ce sous-monde des citoyens de seconde classe, sans papiers, sans visage et sans espoir. "(p. 23)

Une lecture qui prend aux tripes ! *
Découvert cet écrivain bosniaque en surfant sur le site Babelio, et en prenant connaissance des impressions de lectures des uns et des autres... J'avais noté dans mes préférences ce "Manuel d'exil"... que j'ai trouvé à
la médiathèque...

Une plume ironique, poétique, tendre, qui dit pourtant les douleurs intolérables de la guerre, des barbaries humaines, et puis la survie dans la fuite et l'exil !!...
Je fais donc connaissance avec cet écrivain, qui arrivant en France, comme réfugié politique, avait déjà écrit et publié dans son pays. Ensuite, s'étant acharné à apprendre la français, il écrira directement en français... Quel courage et quel mérite !... Une phrase m'a particulièrement interpellée : "--------
"Je ne suis pas prêt, le chemin est encore long. Je sais que ma nouvelle vie en France exige un esprit fort et une mémoire blanche. (...) Je sais que mon salut, ma Thérapie d'approche cognito-comportementale,ne doit être qu'une seule chose : l'écriture.
Il me faut apprendre le plus rapidement possible le français. Ainsi ma douleur restera à jamais dans ma langue maternelle. (p. 34)"

Emue et bouleversée par cette lecture, avec une nette préférence pour la première partie concernant son séjour en France entre Rennes, Strasbourg et Paris... la seconde partie, concerne les pérégrinations de notre écrivain apatride entre Budapest, Milan et l'Allemagne... les séances de signatures de ses livres, ses difficultés et impossibilités face à l'écriture; la solitude d'un homme , rempli de désillusions et de solitude au milieu de la société des hommes..!

"Comme on le sait, comme on l'a répété depuis longtemps, le poète est inéluctablement parmi les hommes, afin de parler de l'amour et de la politique, de la solitude et du sang qui coule, de l'angoisse et de la mort, de la mer et des vents. Pour écrire après une guerre, il faut croire en la littérature. (...)
Qu'elle peut ramener l'horreur, incompréhensible et inexplicable, à la mesure humaine. (p. 105)

"Je n'arrive pas à oublier que cet écrivain [Salman Rushdie] est menacé de mort, que ses ennemis sont urbi et orbi, dans le monde et dans la ville, au ciel comme sur la terre. Qu'ils sont prêts à verser un million de dollars pour tuer un écrivain, rien d'autre et rien de plus qu'un écrivain.
c'est déplorable et révoltant, je réalise que la littérature est une courageuse sentinelle, une sorte de papier de tournesol pour examiner le taux d'acidité et de folie dans ce bas monde. "(p. 126)

De beaux passages retenus ; ceux qui rendent hommage aux valeurs essentielles de l'Ecriture : outil de réflexion, compréhension, de résistance...de conjuration de l'exil, de la solitude dans un pays
étranger. L'auteur nous fait part de ses lectures et de ses auteurs de prédilection...qui l'aident au quotidien... à vivre et à oublier la guerre

"J'ai vingt-huit ans et j'ai déjà servi dans l'Armée populaire yougoslave, puis dans la défunte armée bosniaque. J'en ai plein le dos des armes et des drapeaux, des nuits sans fin qui mordent les mains et les aubes violettes qui commencent avec les obus ennemis. Je ne veux plus entendre aucun commandement d'aucun capitaine, aucun cri d'aucun blessé. (...)
Nom de dieu, je suis un poète ! Je ferme mon carnet et tire la couverture jusqu'au menton. tout baigne, tout est en ordre. Mes alliés, mes saints patrons, Prévert, Camus, Celan, Pound sont de nouveaux là. Rien à craindre." (p. 30)

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« Je ne peux plus m'imaginer commencer un roman autrement qu'en français, devenu mon refuge et mon pays » a dit l'auteur dans un interview… Mais que de chemin pour en arriver là ! C'est le début de ce chemin que Velibor Colic relate dans ‘'Manuel d'exil''.

« J'étais parti pour me cacher, pas en exil ; je me sentais comme un animal effrayé » (interview). C'est une vie de migrant que va trouver ce déserteur de l'armée bosniaque (il avait été enrôlé de force) à son arrivée à Rennes, dans un foyer d'accueil ; il ne parle pas français. « Je sais que je ne représente plus rien pour personne. Je ne suis même plus un être humain. Je suis juste une ombre parmi les ombres ».

« J'ai dû retrouver la verticalité de l'homme. » (interview)
La première étape est d'intégrer cette réalité : « Avaler et digérer l'idée que je ne retournerai plus jamais dans mon pays ». « Je réalise peu à peu que je suis le réfugié. L'homme sans papiers et sans visage, sans présent et sans avenir ».
Ensuite il comprend que cette nouvelle vie « exige un esprit fort et une mémoire blanche ». Intellectuel et écrivain dans son pays avant la guerre, il apprend le français (« Il me faut apprendre le plus rapidement possible le français. Ainsi ma douleur restera à jamais dans ma langue maternelle ») et consacre à écrire la part de ses journées non occupée par les nécessités de base (démarches administratives, se loger, se nourrir, etc...).
C'est là où son parcours diffère de celui de tous ces migrants dont on parle à longueur de journaux depuis quelques années, ceux de la jungle de Calais ou des camps régulièrement évacués par la police ; ces migrants dont il a dit dans un interview : « Regarder un réfugié comme un homme, c'est retrouver en soi la noblesse de l'humanité ».

Ses rencontres sont souvent des personnes en marge, des ombres, que la plume de l'auteur rend pittoresques et/ou attachants. Son premier livre édité (pas encore en français), il ne sort pas vraiment de la misère ni de la déprime d'exilé. Commence alors toute une série de voyages dont le but n'est pas toujours clair : Paris, Budapest et Prague (nostalgie des pays slaves ?), Italie. Ces errances sans but m'ont paru un peu longues par moment d'autant qu'elles sont accompagnées d'alternances d'euphorie et de mélancolie, voire de déprime allant jusqu'à des idées suicidaires... l'âme slave ?

Cet exil, il ne s'en remettra jamais vraiment : « Trop d'automnes, laids et froids, ai-je perdus en errant vers mon pays qui n'existe que dans le miroir déformé de mes souvenirs. Trop de chemins qui ne mènent nulle part, trop de faux panneaux de signalisation. Beaucoup trop de frontières et de rivières me séparent de la mer Adriatique. Parfois j'ai l'impression que je suis né sur la route et que je voyage depuis, accompagné par mes frères slaves. (…) Trop de valises, trop de froid, trop d'exil pour un seul homme. »


La 4e de couv parle de « langue poétique, pleine de fantaisie et d'humour ». J'ai apprécié la langue poétique, remarquable pour un écrivain qui ne parlait pas un mot de français il y a vingt ans ; mais, pour moi, l'humour est celui d'un clown triste qui certes fait sourire mais qui, souvent, serre le coeur.

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Déserteur de l'armée bosniaque, Vélibor ČOLIĆ, arrive en France. Il a 28 ans, il est écrivain dans son pays, mais réfugié en France. Il a bac + 5 en Bosnie, ici il n'est rien : "Aucune importance, ici tu commences une nouvelle vie." lui dira la dame du centre d'accueil. Il est l'un de ces réfugiés, dont les médias, les politiques nous parlent régulièrement. Errant de foyer d'accueil en foyer d'accueil, de ville en ville en Europe. Avec dérision et lucidité il dit de lui : "Je sais que je ne représente plus rien pour personne. Je ne suis même plus un être humain. Je suis juste une ombre parmi les ombres."
Il a combattu, il a frôlé la mort, il a vu ses camarades morts rongés par les vers, il a été enfermé et frappé par les serbes dans l'un de ces sinistres stades mais il se défend d'avoir voulu tuer, il "tirait très haut, vers le ciel..."
Une longue errance de 7 ans dans l'Europe avant de se fixer à Strasbourg. Apprentissage du français, chambres minuscules, repas avec trois fois rien, la solitude, les vêtements dépareillés...la dure vie de migrant racontée avec humour, lucidité et dérision.
J'ai refermé ce livre il y a quelques jours, mais il me poursuit encore. le titre m'avait interpellé, j'avais aimé "Ederlezi : Comédie pessimiste".
Vélibor ČOLIĆ prouve si besoin était qu'un migrant peut parfaitement s'intégrer. Chacun des 35 chapitres est une claque, Vélibor ČOLIĆ, s'attache à nous montrer avec lucidité comment le migrant est perçu, regardé avec méfiance, comment il vit..."Je ne suis pas très propre, je me lave occasionnellement et rapidement. J'ai une longue barbe et les cheveux attachés en queue-de-cheval. Ma sueur est mon bouclier, il y a peu de monde qui ose s'asseoir près de moi dans les trains. Pourtant je ne suis ni beatnik ni routard. Encore moins vagabond. Je suis une tâche gênante et sale, une gifle sur le visage de l'humanité, je suis un migrant.". Jamais leurs compétences ne sont évoquées...nous ne considérons que leur apparence.
Il est maintenant un auteur reconnu en France. Pendant ses longues journées d'errance, de bar en bar, passées à tuer le temps il était fasciné par les livre : "J'observe les belles couvertures blanches et jaunes, je m'imagine faisant partie de ce monde, si excitant, littéraire. Elles cachent les brillantes et importantes histoires, les observations lucides des vrais écrivains : les écrivains voyageurs, les écrivains engagés et même les écrivains exilés, reconnus."
Il fait partie de ceux-ci maintenant.
Ne vous privez pas de son humour, de cette dérision. de ce regard empli d'humanité, de tendresse, de finesse, d'amour pour ceux qui comme lui errent sales et rejetés de foyer en foyer, d'amour pour la vie.
Et tant pis si ce regard nous dérange.

Lien : https://mesbelleslectures.co..
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On a beaucoup parlé d'immigrés et de réfugiés au cours des derniers mois. le roman autobiographique de Velibor Colic tombe à pic pour nous rappeler qu'au-delà des images et des chiffres, utilisés, détournés, manipulés, il y a des histoires singulières, et voici celle d'un jeune écrivain bosniaque, soldat déserteur, arrivé en France en 1992, comme demandeur d'asile : « J'ai vingt-huit ans et j'arrive à Rennes avec pour tout bagage trois mots de français – Jean, Paul et Sartre. » On sourit, bien sûr, en lisant la phrase d'ouverture de ce Manuel d'exil, sous-titré Comment réussir son exil en trente-cinq leçons. Et on sourira souvent, pour ne pas se laisser submerger par l'émotion, parce que Velibor Colic raconte avec un sens aigu de l'autodérision les difficultés et déconvenues qui l'attendent :
« La dame de l'OFPRA m'écoute et prend des notes.
– Etes-vous francophone ? me demande-t-elle à la fin de la séance.
J'attends la traduction puis je réponds en anglais :
– Oui, je suis parfaitement francophone. »
Derrière l'humour, il y a aussi le dénuement, la solitude, le déclassement social : « Je n'ai plus de nom, je ne suis plus ni grand ni petit, je ne suis plus fils ou frère. Je suis un chien mouillé d'oubli, dans une longue nuit sans aube, une petite cicatrice sur le visage du monde. »
C'est l'écriture qui sauvera Velibor Colic, et le français sera sa langue d'exil : « Ainsi ma douleur restera à jamais dans ma langue maternelle. »
Dans une interview donnée au festival Etonnants Voyageurs, le 15 mai 2016, il dit avoir écrit ce livre pour « redonner à l'exilé sa dimension humaine ». Et face au chaos du monde, il reste optimiste : « Depuis une vingtaine d'années, la situation des étrangers en Europe, celle des migrants s'est dégradée, c'est toujours les mêmes luttes, les mêmes espoirs, mais on n'a pas perdu, on va continuer, je veux continuer. »
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