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EAN : 9782912667700
Finitude (05/11/2009)
3.1/5   5 notes
Résumé :
«Je pense à la couleur bleue : celle des yeux de Joyce derrière ses épaisses lunettes, et celle de la mer, à Trieste. Je les superpose. Les bleus se confondent. Derrière les lunettes, l’œil paraissait encore plus grand, écrit Italo Svevo, le regard froid, intensément curieux. Les yeux de Joyce absorbent la lumière bleue de Trieste. Le “limpide regard bleu” de Trieste...
Je pense à la couleur bleue dans ce train qui roule dans la nuit noire vers la ville. J’ai... >Voir plus
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Svevo, Saba, Gambini, ne sont pas seulement nés à Trieste : ils l'ont engendrée. Joyce l'a écoutée, retraduite, recréée. À l'oreille, Finnegan Wake est la musique qu'un anglais mélomane pouvait entendre en se promenant dans la ville, au début de ce siècle, " quand tourner à un coin de rue voulait dire changer de continent" -- l'Italie, l'Autriche, l'Orient, tout était là. Trieste offrait gratuitement ses concerts. Sur les quais, les marchés, dans les écoles, les salons -- musique triestine, italienne, slave, allemande, grecque, française, espagnole, hongroise, levantine... car Trieste était née d'un rêve de grand large.
Vienne, à l'étroit sur ses terres, s'était réveillée un beau jour avec le désir d'un port, un vrai, un port qui sentirait les épices et l'argent, elle voulait une mer bleue, des marins, des grands-voiles gonflées par les vents, des quais grouillant, du mouvement ; ....p 27
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J'ai lu qu'au quatrième siècle avant Jésus, au temps où Epicure buvait son cotyle de vin dans son Jardin, l'île de Megiste battait sa propre monnaie : sur les pièces de cuivre ou d'argent on avait gravé d'un côté, "Megisteon", et de l'autre la tête de Dionysos, avec sa couronne de lierre. Megiste, île du dieu du vin, du plaisir, de l'allégresse, de l'hybris, île de Dionysos "enthousiastikos", Dionysos devenu "Liber" à Rome, Dionysos libre et joyeux.
Était-ce le vin ? les cris des enfants ? le soleil filtrant à travers les feuilles d'un eucalyptus géant ? l'amertume du café "sketo" ? la douceur de la figue confite offerte par la grand-mère ? la caresse du vent tiède ? la sensation de l'eau fraîche sur mes cheveux encore mouillés ? les rires de deux jeunes filles se chuchotant des secrets ? où tout simplement la lumière ?... Mais j'ai refermé mon carnet, inscrivant seulement la phrase de Nietzsche :"Chez les Grecs tout devenait vie." p 84
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J’ouvre le livre et je vois l’homme. L’homme vêtu de noir et de blanc. En bas de soie, été comme hiver. Présent. Dans ses lieux, dans son temps. Conscient d’être là, en ce siècle. Ce siècle "corrompu et ignorant". Ce siècle "débordé" - qui se perd en "écrivaillerie". Ce siècle de guerre civile et de peste. C’est ainsi.

J’ouvre le livre et je vois l’enfant. L’enfant ne parle pas encore la langue de ce siècle. Un savant venu de Germanie s’adresse à l’enfant en latin. Une langue d’un autre lieu, d’un autre temps. La langue écrite dans les livres. L’enfant comprend que l’ailleurs est ici, que l’autrefois est aussi maintenant. Le monde s’agrandit. "Tous les hommes sont ses compatriotes". Tout va bien.

J’ouvre le livre et je vois d’autres livres. Les volumes, sur "cinq degrés", épousent la courbe de la tour. L’homme a quitté sa table et marche, les yeux tournés vers le plafond, où sont gravées, en latin, plus de cinquante-quatre maximes. Mais son regard s’attarde aujourd’hui sur cette poutre, au centre de la pièce, où se dessine un large ruban qui s’enroule comme une vrille et coule comme un fleuve : "SKEPTOMAI ", peut-on lire au milieu. Skeptomai : je pense, je doute, je réfléchis. À trente-huit ans, à la veille des calendes de Mars, l’homme s’est donné un but : "tenir registre de sa vie", sans falsification aucune, et "se bâtir dans la solitude une vie voluptueuse et délicate."

J’ouvre le livre et je vois le ciel par la fenêtre. Je connais la douceur de ce ciel de Guyenne, au printemps. Autour du château, des bois, des vignes, des champs, des vergers. Peu de collines. Vaste horizon. Idéal pour "peindre le passage" du temps sur la pensée. L’homme a compris qu’il ne possèderait jamais autre chose que ce petit morceau de temps.

J’ouvre le livre et je vois la route. L’écrivain est à cheval. Toujours vêtu de noir et de blanc. Il se dirige vers l’Italie. L’homme de la bibliothèque aime aussi le mouvement. Le monde n’est-il pas, en effet, qu’une "branloire pérenne" ? Le voyageur ne "trace aucune ligne certaine, ni droite, ni courbe". Pas de "grandes espérances". Il "se promène pour se promener", sur les chemins, comme dans les livres. Plaisir de la "variété".

J’ouvre le livre et savoure le voyage. Je savoure le fruit exquis d’une "liberté" exercée "journellement". L’homme se garde des opinions, qui "s’entrepoussent suivant le vent". Une seule recette pour le sage : "savoir être à soi". Une seule perfection : "jouir loyalement de son être". Fuir la tristesse comme la peste et vivre de la "seule assistance de personnes saines et gaies". Pourquoi le monde aime-t-il t’en parer la vertu de ce sinistre et "monstrueux ornement" ? Rien de plus gai, de plus "gaillard", de plus "enjoué" que la philosophie.

J’ouvre le livre et retrouve la joie.
Mot après mot, je remonte le temps, jusqu’à ce dernier jour de février 1533, où naquit Michel de Montaigne. C’était l’aube d’une ère nouvelle, disait-on. Depuis quelques décennies, l’imprimerie multipliait les livres. Le monde avait découvert l’Amérique et la Terre s’était mise à tourner grâce aux calculs savants d’un Copernic. Face à ce chambardement, il devenait urgent d’en revenir à l’homme et d’"embesogner son jugement" grâce à toutes sortes de bonnes lectures...
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Dans le train-omnibus parti de Venise, je note le nom de gares inconnues, où des hommes et des femmes s’enfoncent vers des villes invisibles : Porto Gruaro, Palazzo dello Stella, Cervignano, Pieris-Turriaco, Monfalcone... Le wagon s’est vidé : nous ne sommes plus que deux ; j’ai l’impression d’entrer dans une légende. Trieste est-elle mélancolique de ne se savoir désirée que pour ce qu’elle n’est plus ? Dans la gare illuminée, des vitrines proposent aux touristes ces boîtes familières rouges et blanches à l’effigie de Mozart, remplies de kugeln viennois : cette fois, j’ai quitté l’Italie. Dans la gare des autobus, à la sortie, un car croate attend ses passagers pour Zagreb.

"Trieste ad Italia"... Je me souviens qu’autrefois l’Alexandrie des Ptolémées se prétendait "ad Egyptum".
Sur la Piazza Unita tombe une pluie fine et glacée. Il est neuf heures. Pas de bora. Pas de piétons. Le Café Specchi est fermé. A mon oreille, les specchi résonnent comme des "spectres" : les "miroirs" sont à jamais éteints. Sous la faible lueur des réverbères, je devine le Môle de l’Audace qui s’avance, désert, sur la mer. Pas de bateaux. Plus de bateaux. Jamais plus ? Ce soir, je remercie ce "e" miraculeux qui empêche Trieste d’être bêtement, banalement, "triste". Au kiosque à journaux de la gare, j’ai acheté un plan de la ville : sur le papier rose de la carte, je prépare mon itinéraire, recouvrant de jaune fluorescent les rues de la citée rêvée. Sur des chemins encore imaginaires, je projette les silhouettes de Stendhal, de Joyce, de Svevo, de Saba, de Gambini, et aussi de Freud, et de Rilke, d’Egon Schiele, de Valéry Larbaud, et puis Morand, et puis... Dans la ville morte de la nuit, je suis enfin parmi les vivants :

Trieste, tu es la vie. Et nous sommes
nous, tes enfants inquiets ; eux-mêmes sont
comme nous, perdus sur une île. ... me chante Quarantotti-Gambini.
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Face à la Place, tout près de l’Hôtel de Ville et du spectral "Specchi", les Triestines se bousculent au bar du petit "Café Piazza Grande" - boiseries, bibliothèque, fauteuils de cuir, journaux. Reconstitution miniature d’un café viennois. Le décor plaît, semble-t-il, mais personne ne s’approche des livres. Livres reliés pour la plupart - éditions du dix-neuvième siècle. Dix rangées d’Italien pour trois d’Allemand, une seule de Slave. Rapports de force respectés. Ces livres étaient donc ici, dans la ville (mais où ?), cachés quelque part, sur les rayons d’une autre bibliothèque, quand le port n’était " qu’une incroyable forêt de mats ", quand Saba gravissait "l’enchanteresse Via del Monte" vers la cathédrale San Giusto, quand Vienne, Prague et Florence étaient les banlieues universitaires de Trieste, quand Joyce posait ses yeux bleus sur le visage d’Amalia Popper, quand Svevo fumait sa dernière cigarette, quand Slataper chantait Il mio Carso, quand les "Quatre filles Wieselberger" se rendaient au bal de la Société Philharmonique et dansaient avec Ettore Schmitz, quand la ville comptait 581 auberges, quand les "robustes" venderigole proposaient groseilles et pêches de l’Istrie sur le marché de la Piazza Ponterosso près du canal, quand les passagers du "Tramway de Servola" (celui qu’empruntait Svevo pour rentrer chaque soir à la Villa Veneziani) devaient mettre des pierres dans leurs poches pour ne pas être emportés par la bora , quand on entendait parler le slovène dans le trolley d’Opicina, quand on naissait à Trieste, quand on y rêvait, quand on ne faisait pas qu’y mourir...
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Vidéo de Béatrice Commengé
Maison de la poésie (4 juin 2019) - Texte et Lecture de Alban Lefranc, extrait du Dictionnaire des mots parfaits (dirigé par Belinda Cannone et Christian Doumet, éd. Thierry Marchaisse, parution mai 2019).
Le Dictionnaire des mots parfaits :
Pourquoi certains mots nous plaisent-ils tant ? S?adressant à notre sensibilité, à notre mémoire ou à notre intelligence du monde, ils nous semblent? parfaits. Bien sûr, parfait, aucun mot ne l?est ? ou alors tous le sont. Pourtant, chacun de nous transporte un lexique intime, composé de quelques vocables particulièrement aimés. Après ceux consacrés aux mots manquants et aux mots en trop, ce troisième dictionnaire iconoclaste invite une cinquantaine d?écrivains à partager leurs mots préférés. Il vient parachever une grande aventure collective où la littérature d?aujourd?hui nous ouvre ses ateliers secrets.
Auteurs : Nathalie Azoulai, Dominique Barbéris, Marcel Bénabou, Jean-Marie Blas de Roblès, François Bordes, Lucile Bordes, Geneviève Brisac, Belinda Cannone, Béatrice Commengé, Pascal Commère, Seyhmus Dagtekin, Jacques Damade, François Debluë, Frédérique Deghelt, Jean-Michel Delacomptée, Jean-Philippe Domecq, Suzanne Doppelt, Max Dorra, Christian Doumet, Renaud Ego, Pierrette Fleutiaux, Hélène Frappat, Philippe Garnier, Simonetta Greggio, Jacques Jouet, Pierre Jourde, Cécile Ladjali, Marie-Hélène Lafon, Frank Lanot, Bertrand Leclair, Alban Lefranc, Sylvie Lemonnier, Arrigo Lessana, Alain Leygonie, Jean-Pierre Martin, Nicolas Mathieu, Jérôme Meizoz, Gilles Ortlieb, Véronique Ovaldé, Guillaume Poix, Didier Pourquery, Christophe Pradeau, Henri Raynal, Philippe Renonçay, Pascale Roze, Jean-Baptiste de Seynes, François Taillandier, Yoann Thommerel, Laurence Werner David, Julie Wolkenstein, Valérie Zenatti
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