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sur 532 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Monument de la littérature !
Jusqu'où l'orgueil peut-il nous mener...
Je comprends que beaucoup aient abandonné sa lecture en route, le style est superbe, la psychologie des personnages très poussée, mais pendant longtemps, j'ai eu envie de dire au narrateur, "bon, tu accouches !" Mais au final ça valait le coup d'attendre, car ce n'est pas d'une souris mais d'une montagne que l'enfantement résultera, et même si le dénouement ne nous surprend pas, on est surpris du choc qu'il nous procure, on s'y attend mais on ne l'encaisse pas. La force de Conrad est de nous rendre ce destin à la fois acceptable et inacceptable. On est soulagé et en colère.
Et ce livre ne pourra jamais s'effacer de notre mémoire.
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«Il était grand (un mètre quatre-vingt-deux ou trois), solidement bâti ; il marchait vers vous d'un pas ferme, le buste un peu penché en avant, le front baissé abritant un regard appuyé, un peu comme un taureau dans l'arène. Sa voix était grave et sonore, toute son attitude révélait un désir obstiné de s'affirmer, non point tant aux yeux des autres qu'aux siens propres. Rien d'agressif dans ce comportement dicté par une nécessité».
Par ces lignes ouvrant le roman, Joseph Conrad choisit de nous présenter son personnage avançant dans l'espace et comme venant à la rencontre du lecteur. Son physique, mais aussi sa jeunesse et sa détermination, la noblesse de son caractère, ainsi que sa fierté, sont d'entrée perceptibles en cette description ébauchée pourtant à grands traits, réduite pratiquement à l'attitude corporelle et à la manière particulière à Jim de se mouvoir.
LORD JIM fut initialement publié en feuilleton dans une revue écossaise entre octobre 1899 et novembre 1900. Considéré comme l'une des oeuvres les plus abouties de l'auteur, la plume y est absolument remarquable, façonnant une voix littéraire dont la «colorature» particulière est d'autant plus bluffante que l'écrivain d'origine polonaise (né Jozef Konrad Korzeniowski) avait appris l'anglais à l'âge adulte naviguant sur des bâtiments britanniques et, au moment de la rédaction du roman, ne s'était de fait mis à écrire que depuis quelques années! Empreinte d'une sensibilité et d'une sensorialité qui rendent la texture des paysages, les atmosphères et les personnages tangibles, denses, vivants, la langue de Conrad emporte naturellement l'adhésion subjective du lecteur. C'est ainsi, d'entrée de jeu, qu'une empathie inconditionnelle du lecteur envers l'énigmatique personnage de Jim s'instaure tout naturellement, à l'instar de celle qu'avait éprouvé le narrateur de l'histoire, Marlow, lorsque le chemin de ce commandant chevronné ayant roulé sa bosse aux quatre coins du monde avait croisé pour la première fois celui de Jim, à un moment déterminant pour l'avenir du jeune marin où pesait sur lui un terrible soupçon, celui d'avoir commis la faute la plus grave qui soit : abandonner un navire en mer, en livrant ses passagers à leur sort…
Conrad maîtrise avec subtilité l'art d'insuffler une grande puissance émotionnelle dans la narration des événements et dans ses descriptions en général, créant une adéquation parfaite entre les paysages et les atmosphères, les mouvements subjectifs et les vicissitudes connues par le parcours et la psychologie de ses personnages – sans forcer jamais le trait ou faire appel à des tournures superlatives comme en on retrouve assez volontiers chez la plupart de ses contemporains. Une langue qu'on pourrait qualifier de moderne et sans artifices, provoquant un effet saisissant d'authenticité (Conrad avait déclaré qu'il souhaitait, en écrivant, pouvoir «donner à voir» à son lecteur en même temps qu'à lire).
«Le bateau avançait régulièrement ; nous étouffions côte à côte dans l'air stagnant, surchauffé ; l'odeur de la boue, des marécages, l'odeur originelle de la terre féconde, nous sautait au visage. Puis, brusquement, dans un méandre du fleuve, ce fut comme si une grande main, là-bas, au loin, avait soulevé un lourd rideau (..) le ciel s'élargit au-dessus de nos têtes, une rumeur lointaine frappa nos oreilles, une fraîcheur nous baigna, emplit nos poumons, accéléra le cours de nos pensées, de notre sang, de nos regrets – et droit devant nous, les forêts s'abaissèrent devant la ligne bleu indigo de la mer»
Une langue inspirée et limpide, mise cependant au service d'une construction de récit qui, en l'occurrence, n'a rien de forcément simple ou linéaire, qu'on dirait plutôt touffue et sinueuse comme la nature foisonnante ou la topologie capricieuse des décors mythiques des îles et des mers du Sud où, comme c'est souvent le cas chez l'auteur, le roman campe son intrigue.
L'histoire de Jim nous est progressivement dévoilée par le récit rétrospectif qu'en fait son ami et protecteur Marlow (ce dernier étant un personnage-narrateur récurrent dans l'oeuvre conradienne, présent dans divers autres ouvrages, et notamment dans le célèbre «Au coeur des ténèbres»). Racontée essentiellement à partir de témoignages indirects, Marlow n'ayant lui-même côtoyé Jim qu'à très peu d'occasions, la narration se voit étayée en grande partie par des contributions apportées par une galerie de personnages secondaires hauts en couleur, ayant eu affaire, à un moment ou à un autre, ou croisé la route de Jim, générant de nombreuses parenthèses dans le récit, narrations emboitées les unes dans les autres ouvrant vers d'autres affluents au courant principal de l'intrigue, livrées de surcroit en une temporalité où des allers-retours entre les différents blocs temporels propres à chaque focalisation ne cessent d'intervenir. D'autre part, les réflexions personnelles suscitées chez Marlow, à la fois par l'histoire qu'il déroule et par la fascination que la personnalité de Jim avait exercé sur lui, donnent lieu à de multiples digressions, entrainant à leur tour d'autres suspensions temporaires de la narration, auxquelles viennent enfin se rajouter quelques effets déroutants créés par la technique du «décodage retardé» dont Conrad se sert magnifiquement, défiant la perspicacité liminaire du lecteur et semant le doute chez lui («delayed decoding» : technique si chère, entre autres, à Hitchcock, consistant dans la révélation anticipée d'éléments clés du dénouement d'une intrigue, passés ou futurs, de manière plus ou moins elliptique, déguisée, sans donner, bien évidemment, suffisamment d'indices permettant au lecteur d'accéder à sa pleine compréhension).
Le jeu en vaut pourtant largement la chandelle. LORD JIM est un classique magistral, et Jim un personnage inoubliable, magnifiquement construit. Libre de toute compromission, fondamentalement indomptable, emblématique par ailleurs de quelque chose dont la dimension imaginaire nous est familière et universelle : l'idéal romantique par excellence d'une liberté intérieure souveraine, radicale, inflexible, fière, foncièrement rétive à toute forme de soumission, aussi bien aux impératifs qu'aux chants de sirènes provenant de la société des hommes.
«Il est des nôtres», ne cessera pourtant de scander Marlow à l'intention de l'assemblée de vieux loups de mer réunie «après le dîner, sur une véranda ombragée par une végétation immobile, dans le profond crépuscule où luisaient seulement les lueurs rougeoyantes des cigares», cette longue soirée constituant le fil narratif principal du roman au cours de laquelle Marlow égrènera la vie et la destinée exceptionnelle de Jim. Que veut dire par là Marlow ? A quoi cette expression pourrait-elle se référer exactement? Allusion au sentiment de faute originelle et à la condition tragique à laquelle nous nous sommes vu condamner, lorsque Dieu, s'adressant aux anges, après qu'Adam eut mangé le fruit, prononça : «Voyez, l'homme est devenu comme l'un des nôtres : il connaît le bien et le mal»? Faudrait-il y voir également une référence au sentiment de trahison qu'aurait pu éprouver Conrad lui-même envers ses origines polonaises, à son exil et à sa propre quête d'expiation et de rédemption ? Ou encore l'évocation du dilemme auquel tout homme ne cesse de se confronter intérieurement, entre d'un côté son égocentrisme terrien et sa recherche de bonheur personnel, et de l'autre, sa fidélité à des principes abstraits plus élevés, à un code d'honneur et de conduite envers ses semblables ?
Beaucoup d'encre semble avoir coulé chez les commentateurs de l'oeuvre de Conrad autour du sens de cette expression récurrente du vieux mathurin, ainsi que, bien sûr, de la vraie nature de Jim, son infléchissable et taiseux protégé.
Le «comme nous autres» auquel Marlow se réfère ne pourrait-il en fin de compte nous renvoyer aussi à cette dimension idéale à laquelle nous sommes certainement très nombreux à avoir consacré une partie essentielle de nos plus beaux rêves de jeunesse, peuplés de héros romantiques et tragiques, de Werthers, d'Antigones et de tant d'autres, que nous avions à un moment ou un autre imaginé pouvoir préserver intacts en nous-même et que la vie n'aurait pourtant de cesse à vouloir éroder ? Ne serait-ce au fond ce qui nous rapprocherait si intensément, si intimement de Jim, qu'on quittera peut-être en refermant le roman, tel Marlow le voyant pour la toute dernière fois depuis le canot qui le conduisait vers son navire de transport : Jim, sur la grève, vêtu de blanc de la tête aux pieds, « la nuit dans son dos, la mer à ses pieds(..) un minuscule point blanc, sur lequel semblait se concentrer l'ultime lueur d'un univers enténébré».
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J'ai lu Lord Jim parce que Finkielkraut l'a placé dans son livre sur l'intelligence de la littérature (le coeur intelligent) et parce qu'Eric Orsenna en a fait le livre qu'il emporterait sur une Ile déserte.
Avec de tels parrains, je pensais ne pas courir trop de risques.

Jim a des rêves d'aventure, de grandeurs.
Mais lorsqu'il est confronté à la première véritable épreuve, il n'est pas à la hauteur.
Blessure et traumatisme pour une belle âme qui assume devant la justice.
Mais commence alors le combat de sa vie : la lutte contre sa conscience et surtout contre le regard des autres, ou du moins ce qu'il imagine être le regard des autres.
La deuxième chance arrivera sous la forme d'une fuite qui révélera que nous avons à faire à un héros, un véritable héros.
Mais Conrad n'écrit pas des livres pour Hollywood…
Ou alors, en se penchant sur ce livre, des scénaristes Hollywoodiens pourraient en tirer une dizaine de films, et des scénaristes du cinéma indépendant une dizaine supplémentaire.
Bref les intellectuels que j'ai cité en début de commentaire ne disent pas que des bêtises : sur une île déserte avec le seul Lord Jim on peut voir venir et améliorer sa connaissance de cette drôle de bête qu'est l'être humain.
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Impossible pour moi de lire celui-ci en refoulant le souvenir que j'avais gardé du film de Richard Brooks… Mais Conrad a sa patte bien à lui pour raconter. En cela le livre n'est pas comparable au film qui en a été tiré. (Quelle idée d'ailleurs de comparer des livres et des films…)

Ici le procès de Jim occupe plus d'une bonne moitié du livre et cette attente - la macération du héros dans la culpabilité et la honte - crée une tension vraiment suffocante et un véritable contrepoids à l'action qui suivra dans le récit : quand Jim tentera de se racheter. Ce sont ces effets de contraction et de dilatation de l'histoire qui nous font ressentir l'emprise saisissante d'un destin sur les personnages. L'intervention d'un narrateur (principalement Charles Marlow) est directement au service de cette machinerie. On a souvent reproché à Conrad l'usage de cet artifice mais quelle ampleur il arrive à en tirer ! Rendre palpable une chose comme le destin, ce n'est pas donné à n'importe quel bonimenteur !

Enfin on voit souvent dans l'histoire de Thuan Jim une réflexion sur l'honneur. Oui, mais après tout qu'est-ce que l'honneur sinon une certaine image que l'on se fait de soi ? À cet égard j'ai trouvé bien âpre cette cruauté à l'oeuvre dans le roman : un homme qui se bat pour l'idée qu'il se fait de lui… jusqu'à la mort.
À la fin Marlow dit à son auditoire : -"maintenant Jim est des nôtre"…
Sans blagues, cette histoire d'honneur c'est bien notre tragi-comédie à tous, tous autant que nous sommes…


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Commençons par un tout petit bémol. L'écriture de Conrad se fait ici foisonnante à souhait, quasiment luxuriante, par moments presque inextricable, à l'image de cette jungle indonésienne du Patusan qu'il nous décrit. Si ce trait stylistique contribue à la puissance d'évocation lyrique chez Conrad, ce qui donne des passages flamboyants de beauté, il tend également à rendre parfois la lecture ardue.


L'effort en vaut cependant largement la chandelle. le récit en lui-même est d'une originalité parfaite dans l'histoire littéraire: sauf erreur de ma part, je n'ai pas de souvenir d'une oeuvre centrant son intrigue sur le devenir d'un marin abandonnant son navire en train de couler alors même qu'aucun passager n'a été évacué.


Dès lors, le roman n'aura de cesse de chercher à répondre à la question suivante: l'honneur une fois perdu peut-il se retrouver un jour? Il semble bien que cela soit le cas: mais cela nécessite de la part de Jim, qui cherche désespérément sa rédemption, à travers sa nouvelle existence au Patusan, une région imaginaire située en Indonésie, une telle exigence à l'égard de soi-même qu'il en viendra à causer sa propre perte.


L'accablement du déshonneur porté dans sa condition d'homme vivant finit par faire préférer à Jim une fidélité à l'idée qu'il se fait de lui-même allant jusqu'à y sacrifier sa propre vie.


Lord Jim, c'est en définitive la tragédie de l'homme incapable d'échapper à son propre passé...Même lorsque les erreurs qu'il a pu commettre ont été réparées, ce passé conditionne les réactions qu'il peut avoir face aux situations présentes et futures, l'amenant à causer de nouveau sa perte.


C'est ce qui arriva à Jim...Qui péchera non plus par lâcheté, mais par imprudence, lorsqu'il n'osera pas faire éliminer une bande de pirates venus envahir son village du Patusan, menés par un Blanc qui ne lui rappelle que trop bien le paria qu'il fut un temps (sans l'écrire explicitement, Conrad semble faire dire à Jim en son for intérieur "Qui suis-je pour jeter la pierre sur un pirate, moi qui ai commis une faute pire encore dans le passé?"). Je n'en révèlerai pas davantage, ce serait aller trop loin...


Je comprends mieux pourquoi Fitzgerald estimait tant Conrad...Au delà de leurs différences, il existe chez eux une même vision tragique de l'homme, en ce que le combat qu'il entreprend pour échapper à la condition qui est la sienne demeure toujours vaine, ainsi qu'un même goût pour une écriture aux images et au lyrisme foisonnants, irradiant le lecteur de sa puissance évocatrice.
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C'était un jeune gentleman plein d'idéal, un gamin rêvant d'aventures dont il serait le héros, téméraire, généreux, admirable. Son heure viendrait, il n'en doutait pas, où il pourrait démontrer sa valeur. Il est devenu marin, puis officier. Son heure est venue - et face à l'épreuve, il a failli. Assez gravement pour déchoir aux yeux du monde, et le reste de sa vie n'a plus été qu'une fuite pour échapper aux échos de sa faute, une quête éperdue de rédemption, pour se racheter enfin ne serait-ce qu'à ses propres yeux.
Son histoire n'est pas de celles qui s'appréhendent d'une seule traite. Il faut, pour tenter de la saisir, croiser les témoignages, les points de vue. Ecouter toute une nuit, dans la pénombre d'une véranda, le long récit d'un homme qui l'a connu, un peu, qui l'a aidé, tant qu'il a pu, qui n'a pas honte de se dire son ami, son semblable. Suivre un procès pénible, lire une lettre, tendre l'oreille à de lointains échos. Mais aux yeux de ses amis mêmes, comme de tous ceux qui l'ont connu, qui l'ont aimé parfois, Jim restera un mystère - une légende malheureuse dont la trace va se perdre, sur une ultime fulgurance, dans les profondeurs de la jungle malaise.

Il est des romans dont on sait, au bout de quelques pages seulement, qu'on tient entre les mains un chef d'oeuvre : Lord Jim est de ceux-là, et cette première impression ne fait que se confirmer tout au long de la lecture, jusqu'à ses toutes dernières phrases.
Cela tient, peut-être avant tout, à une écriture superbe, dense et riche, quasi hypnotique parfois, d'un immense pouvoir d'évocation, capable de vous entraîner dans un long rêve éveillé et de graver toute une scène sur la rétine par la seule force d'un détail infime. Cela tient, aussi, à une narration complexe, admirablement maîtrisée, qui joue de l'allusion, des recoupements, des divergences, des témoignages, pour tenter d'appréhender, de méandre en méandre, l'impénétrable vérité de son personnage. Un grand auteur de polar ne ferait pas mieux pour entraîner son lecteur sur la piste d'un insaisissable coupable - sauf qu'ici, coupables et victimes se confondent dans l'implacable confrontation des idéaux et du réel. Cela tient à la grande richesse d'un récit où s'entremêlent exotisme, aventure et réflexion sur la nature humaine, sur les ressorts des âmes, leurs élans fous, leurs brisures, leurs étrangetés insondables.
Cela tient, par dessus tout, au personnage de Jim - romantique incurable, naïf ardent et pathétique, magnifique jusque dans ses échecs, agaçant parfois mais terriblement attachant aussi, toujours, malgré tout. Un écueil de contradictions sur lequel se brisent les vérités faciles, saisi avec assez de finesse pour être passionnant, investi d'assez de mystère pour rester jusqu'au bout fascinant.
Un grand personnage tragique, inoubliable, derrière lequel se profilent les fissures d'une civilisation trop sûre d'elle-même, le bel Empire britannique dont l'idéal glorieux dévore sans pitié ses plus ardents enfants.

Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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Bizarrement, quand on évoque les grands écrivains de l'ère victorienne, et spécialement les auteurs de romans d'aventure, on trouve facilement les noms de Stevenson, de Conan Doyle ou de Wells, à la limite de Rider Haggard, un peu moins connu chez nous, mais on ne pense pas à y associer Joseph Conrad. Etonnant, non ? Pourtant, né en 1857 et mort en 1924, il est tout à fait leur contemporain. Les curieux - et je sais que vous en êtes (curieux, bien sûr) - se posent la question. J'y vois pour ma part deux ou trois explications (elles valent ce qu'elles valent, je n suis pas un historien de la littérature, seulement quelqu'un qui lit, comme Jean-Claude).
D'abord Conrad n'est pas Anglais d'origine. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour un Anglais ça veut dire beaucoup... D'ailleurs, ils ont mis du temps à le reconnaître, ce n'est qu'en 1913 qu'il rencontre son premier succès commercial britannique, "Chance", il avait déjà écrit tous ses grands romans (Le Nègre du Narcisse - 1897, Au coeur des ténèbres - 1899, Lord Jim - 1900, Typhon - 1903, Nostromo - 1904) bien accueillis par la critique mais boudés par le public. Ensuite, ses romans sont cosmopolites, se passent tout autour du globe (souvent en mer, d'ailleurs - oui je sais "en mer d'ailleurs" c'est pas très joli, mais c'est pas ma faute s'il y a plus de bateaux sur la mer que sur les montagnes). Enfin, les héros "conradiens" n'affichent aucune des vertus britanniques traditionnelles, bien au contraire, ils sont souvent complexes, désabusés, se cherchent un but, et leur courage, souvent réel, est parfois plus désespéré qu'autre chose.
Lord Jim, justement, est un héros "conradien". Il passe sa vie à expier une faute commise au début de sa carrière (il a laissé couler un bateau plein de passagers). Torturé par la culpabilité, il est écartelé entre ses envies d'héroïsme et la paralysie qui le prend au moment de l'action. C'est un profil psychologique particulièrement tourmenté, qui fait de Lord Jim un antihéros, et de Conrad un maître du roman d'analyse, doublé d'un maître du roman d'aventure. Certains critiques y verront même l'origine de l'existentialisme, en fonction de "l'étrangeté" du personnage, sa dualité, son envie de vivre constamment en conflit avec son envie de mourir...
Pour le coup, vous l'avez deviné, Conrad n'est pas Stevenson, vous ne lirez pas Lord Jim avec le même engouement que l'Ile au trésor, mais peut-être y trouverez-vous un plaisir différent, car Lord Jim, avec toutes ses contradictions, reste profondément humain, et sa quête, somme toute, est une quête du bien, et une forme de rédemption...
Au cinéma, qui d'autre pouvait incarner Lord Jim que Peter O'Toole, (qui avait incarné Lawrence d'Arabie, un personnage finalement assez proche de Jim, ne trouvez-vous pas) ? C'est dans un très beau film de Richard Brooks, réalisé en 1965...
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Absorbé par la densité de rêve de ce roman romantique, romanesque et philosophique de Joseph Conrad (1857-1924). Ce roman fait partie du panthéon de Michel Déon dans son excellent Lettres de château et de celui d'Alain Finkielkraut dans son ouvrage Un Coeur Intelligent.

Ce livre nous porte au-delà de nous-mêmes vers les sources de l'existence, l'illusion de la réalité, l'imaginaire du réel.

Au-delà de la vie de Lord Jim, Tuan Jim, racontée principalement par ce tiers, Marlow, l'écriture de Conrad est envoutante, ses longues phrases rythmées impriment une force sourde qui ne manque pas de vous emporter pour autant que vous ayez le temps de vivre.


Lien : http://www.quidhodieagisti.fr
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Quand idéal, honneur et orgueil riment avec égocentrisme, aux dépends de l'équilibre et du pragmatisme, la vertu tourne à la catastrophe. Lord Jim est un personnage complexe dont les exigences sont comme des TOC ( troubles obsessionnels compulsifs). Il a un sens exacerbé du devoir, et supporte difficilement le regard des autres. Toute son intelligence et sa probité en sont paralysés. le personnage et son histoire en forme de roman d'aventure sont très intéressants et j'ai passé à cette lecture un très bon moment.
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La beauté de cette oeuvre se situe peut-être dans ses longs silences nocturnes et dans la chaleur immobile de ses paysages mentaux. Une façon pour Joseph Conrad de saisir les tourments de l'Homme, ce qui l'anime et le pousse à des actions insensées. La pensée profonde de Tuan Jim, celle qui décide de son destin, est dissimulée par la parole et les gestes. Elle est simplement entrevue par tous les protagonistes qui croiseront sa route, le juge et capitaine Brierly, Dain Waris, Brown, Stein, Joyau et bien sûr Marlow. Tous chercheront à percer l'âme du jeune romanesque, sans y réussir tout-à-fait. Car Lord Jim est le roman d'un mystère. Un mystère universel qui demeure jusqu'à son terme.
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