Rûzbehân de Chiraz : pour le moment, un des gnostiques que j'aime le moins. Son côté pleurnichard exhibitionniste peut-être, mais surtout cette touche insincère dans sa volonté moralisatrice, au sens il se ment à lui-même ou, en tout cas, n'est peut-être pas à 100% honnête dans les méandres verbeux de son traité, qui vise simplement, au fond, à démontrer que lui n'est pas en faute quand il tombe amoureux d'une cantatrice, parce que lui, c'est de la bonne façon (c'est-à-dire rien de charnel), alors que les autres ne sont que des débauchés uniquement préoccupés des corps. On connaît la chanson, mais en quoi les désirs charnels des "libertins" ont-ils une jouissance moins "pure" que celle provoquée par la vision de la forme ? D'autant qu'il avoue tout bonnement que l'Amour ne peut durer que tant que dure la Beauté, et que si Beauté s'en va, Amour se fait la malle aussi, à la recherche d'autres idoles juvéniles et agréables à regarder. Rien à envier à un pédéraste assumé et moqueur comme
Abû Nuwas, en somme... C'est pour cela que la traduction "Fidèle d'amour" est assez impropre, quand l'on pense à Tristan et Iseult se réveillant en forêt après trois ans de vie érémitique, une fois l'effet du philtre passé, se découvrant amaigris, brûlés par le soleil et les privations, et passant soudain à l'amour humain et non plus magique, ou bien Rama et Sita dans le même cas. Ce qui émeut Rûzbehân n'est pas l'amour mais une jouissance visuelle, tout comme l'audition d'un semâ provoque l'extase. L'âme de la cantatrice il s'en fout au fond, il n'en a qu'après son visage, point barre. Et son refus des "bas désirs" repose tout simplement, comme il le dit, sur la crainte de l'enfer et la perte de l'autre monde, celui de ses transports extatiques. Or la peur de la damnation n'est pas vertu, mais peur tout court. Par ailleurs, si l'une des étapes des Fidèles d'amour est le vasselage de l'Amant à l'Aimé, il y a aussi contradiction : soit l'on abdique toute volonté, soit l'on reste fidèle, non pas à l'Amour, mais à sa voie spirituelle. Si la belle du Turkestan, au lieu de lui faire de pieuses remontrances, avait exigé de lui, comme la chrétienne de Sheikh Sen'an (conte édifiant relaté par Farid od-Dîn 'Attar et le kurde
Feqî Teyran) qu'il boive du vin, mange du porc et jette son froc de soufi aux orties, qu'aurait-il fait ?
Lien :
http://vitanova.blogspot.com..