Cette pièce de
Thomas Corneille a été créée le 26 février 1672, à l'Hôtel de Bourgogne, prenant la suite du Bajazet de Racine, avec la Champmeslé, considérée comme la plus grande comédienne de son époque dans le rôle titre. C'est la seule pièce de
Thomas Corneille (en dehors des oeuvres lyriques) qui traite d'un sujet mythologique. le sujet d'Ariane était à la mode, plusieurs oeuvres y faisait référence, par exemple une comédie-héroïque de Donneau de Visé « Le mariage de Bacchus et d'Ariane » venait d'avoir un beau succès. Par ailleurs
Thomas Corneille avait publié un recueil, une sorte d'adaptation d'
Ovide, qui comportait une « Épître d'Ariane à Thésée », inspirée par la dixième héroïde. Les
héroïdes d'
Ovide sont des
lettres d'amour adressées par des femmes délaissées ou abandonnées à l'objet de leur amour. Elles ont beaucoup inspirées les auteurs du XVIIe siècle. Même s'il n'y a pas de lettres concernant Bérénice et Titus, Racine s'est inspiré de leur esprit pour sa pièce de 1670, et
Thomas Corneille utilise une thématique en vogue , beaucoup moins romanesque, plus sobre, que la plupart de ses oeuvres. La pièce était très attendue, elle a été un succès, fut reprise régulièrement, et elle fait partie de deux pièces de
Thomas Corneille dont
Voltaire rédigea un commentaire.
Nous sommes à Naxe (Naxos). Ariane et Thésée s'y sont réfugié après leur fuite de Crète, Ariane attend que Thésée l'épouse, mais il a repoussé la cérémonie jusqu'à l'arrivée de son meilleur ami, Pirithoüs. le roi de Naxe Oenarus s'est épris d'Ariane, passion qu'il juge sans espoir. Mais Thésée n'aime par réellement Ariane, à qui il a promis le mariage pour être aidé dans le labyrinthe, en revanche il est tombé amoureux de Phèdre, la soeur d'Ariane qui s'est enfui avec eux, et Phèdre partage ses sentiments. Il charge Pirithoüs de faire comprendre à Ariane qu'il ne l'aime pas et la pousser à épouser Oenarus. Ariane se lamente, et charge Phèdre de faire revenir Thésée à des meilleurs sentiments, avec le succès que l'on imagine. Devant les refus de Thésée, elle semble se résigner à épouser Oenarus, mais à condition que le mariage de Thésée avec la femme qui a pris son coeur (et dont elle ignore l'identié) ait lieu avant. Mais elle avoue à Phèdre, qu'elle ne fait cette promesse que pour connaître la femme pour qui Thésée l'abandonne et qu'elle projette de la tuer devant les yeux de son amant, étant en plus assurée d'impunité, en épousant ensuite le roi. Thésée propose donc à Phèdre de partir en secret la nuit, ce qu'elle finit pas accepter. Ariane comprend qu'elle a été jouée par son amoureux et par sa soeur et tombe en pâmoison, Oenarus a bon espoir de l'épouser.
Ce n'est pas la version la plus connue de la légende d'Ariane, elle épouse en général Bacchus, mais dans une version du mythe, le mari est un prêtre du dieu.
Thomas Corneille a transformé le prêtre en roi. La fuite avec Phèdre est aussi une transformation de
Thomas Corneille, il est censé l'avoir épousé bien plus tard. Mais ce genre de modifications étaient pratiques courantes à l'époque.
La pièce présente peu de péripéties, le spectateur sait tout de suite à quoi s'en tenir, Thésée s'ouvrant à Pirithoüs immédiatement. L'intérêt est concentré sur les réactions, la souffrances et les lamentations d'Ariane. La pièce met en évidence le côté illogique du sentiment amoureux, qui avant tout échappe à toute forme de reconnaissance, Thésée reconnaît tout ce qu'il doit à Ariane, toutes ses qualités, mais il ne l'aime pas au final. de même Phèdre, doit beaucoup à sa soeur, mais ne peut échapper à la passion qui s'empare d'elle et qui la rend ingrate. Cela préfigure la Phèdre en proie à l'amour pour Hippolyte, même si ici c'est beaucoup plus sage. le Thésée de
Thomas Corneille quand à lui, fait penser au Jason de
Pierre Corneille, inconstant, soucieux de son intérêt et de son plaisir avant tout. le personnage d'Oenarus, amoureux noble et désintéressé, évoque quand à lui un peu Antiochus, le troisième personnage de Bérénice, amoureux de cette dernière sans aucun espoir. Oenarus aura plus de chance au final.
La pièce a d'incontestables qualités,
Thomas Corneille est très à l'aise dans le vers galant, qu'il manie à merveille. Ses personnages respectent les codes du langage amoureux, et des conventions de son temps pour exprimer leurs sentiments. Cela a certes un peu vieilli mais garde du charme, c'est élégant. Cela n'a pas la force, l'intensité, de grandes pièces de Racine et de
Pierre Corneille, mais c'est plaisant.
Thomas Corneille est à découvrir, pour mieux connaître les goûts de son époque, et d'autant mieux apprécier les très grandes pièces du XVIIe siècle.