Peut-on aimer sans comprendre ? *
Toutes les histoires ont déjà été écrites. Ce qui compterait c'est la manière dont on les ré-écrit.
Dans “
Seule en sa demeure” l'autrice a repris le canevas de 85% des romans du XIXème siècle à savoir – selon elle - l'histoire d'une jeune fille qui quitte la maison familiale pour découvrir sa nouvelle vie dans sa nouvelle maison. Elle voulait offrir un nouveau point de vue sur cette trame.
En effet, on ne peut pas s'empêcher d'avoir des impressions de déjà-vu à la lecture de “
Seule en sa demeure”. “
Une vie” de Guy de
Maupassant bien sûre, mais aussi à Rebecca de Daphné du Maurier (toutes choses égales par ailleurs), aux Hauts de Hurle-Vent d'
Emily Brontë ou encore à
Jane Eyre de
Charlotte Brontë (contre-exemple peut-être puisqu'on part du pire pour arriver à une fin heureuse).
Et comme toutes les histoires ont déjà été écrites - cette histoire-ci aurait plausiblement pu tourner à “L'amant de Lady Chaterley” de D.
H Lawrence avec Angelin dans le rôle-titre. On y trouve les éléments principaux : l'opposition ouvriers forestiers/bourgeoisie industrielle, la présence de la forêt, le voyage initiatique et la descente aux enfers. Ou bien encore, si on regarde du côté du Septième Art, “La leçon de piano” de
Jane Campion : encore une histoire de femme qui se retrouve mariée avec un inconnu dans le fond d'une nature hostile avec l'amour via un instrument de musique.
Sauf que …
Cécile Coulon ne joue pas dans la même cour.
Elle a beau avoir fait de prestigieuses études littéraires, son style est déplaisant :
Vocabulaire inadapté : Emploi de “mufle” pour naseaux (à moins bien sûre de s'appeler
Joachim du Bellay – cf le “petit mufle léonin” de l'Epitaphe d'un chat, “carcasse” au lieu de “corps”, etc ...
Invention de mots : “calécher”, “licoler” ...
Cette Auvergnate de naissance fait des descriptions de bobo parisienne : “Aimée recula d'un pas et faillit trébucher sur une motte de paille épaisse.” et “Mais maintenant qu'on annonçait leur arrivée prochaine - dans trois jours, trois jours ! - la maison entière était bousculée, elle prenait vie, on dresserait une jolie table, on se promènent au jardin, on mènerait les chevaux à l'abreuvoir, peut-être qu'on marcherait en forêt.”
Par ailleurs, bien que la quatrième de couverture essaie de nous vendre “
Seule en sa demeure” comme une histoire aussi prenante que Rébecca, il y a malheureusement un écart entre ce que
Cécile Coulon croit raconter et ce qui est écrit.
Tout d'abord, il y a des choses qui sont évidentes pour elle et pas du tout pour nous, comme l'époque à laquelle se déroule l'histoire. L'autrice dit qu'elle se situe entre 1870 et 1900 dans une interview. Elle répète aussi qu'Aimée a été mariée de force. Or, comme l'a bien remarqué
Philippe Vandel, ce n'est pas du tout l'impression qu'on a. Aimée s'est jetée naïvement dans les bras de Candre et ses parents n'ont pas fait d'objection, c'est tout.
Ensuite, l'héroïne est sensée très vite comprendre que des choses se sont passées dans sa nouvelle demeure du temps de l'ancienne épouse : cette atmosphère, cette crainte sourde, cette suspicion qui s'immiscent petit à petit ne sont pas décrits dans le livre.
Enfin, le décor est planté comme un théâtre de Guignol et les personnages n'ont pas plus d'épaisseur que du carton-pâte. Et dire que c'est la Saline Royale d'Arc-en-Senans qui a inspiré l'autrice !
En conclusion, nous parlons là d'un petit objet éditorial (couverture marketing, quatrième bien rédigée) bien conçu. Depuis son avalanche de prix littéraires,
Cécile Coulon fait partie de la “rentrée littéraire” alors qu'avant le succès d'
Une bête au paradis, ses livres paraissaient au printemps. Tout le mérite en revient à Viviane Hamy qui a juré de faire d'elle une grande autrice. Pour ma part, je considérerais “
Seule en sa demeure” comme un premier jet – Peut mieux faire ?!
*Peut-on aimer sans comprendre ? : c'est la question que se pose
Cécile Coulon quand Candre dit à Aimée “Je t'aime, je te comprends”.