Le projet de
Violaine Sebillotte Cuchet de mesurer la part d'originalité de la capitaine de vaisseau
Artémise, reine d'Halicarnasse, combattant au service du roi perse Xerxès, réputée pour un exploit lors de la bataille navale de Salamine, l'amène à une relecture intéressante de nombre de dogmes de l'histoire antique et de l'image des femmes.
On peut être surpris de lire dans l'introduction les définitions de "genre, sexe, intersectionnalité", mais c'est un parfait exemple pour l'autrice pour montrer l'influence des idées d'une époque sur comment on étudie le passé et comment on le raconte, montrant que l'historiographie était jusqu'ici masculine et patriarcale, et qu'il est temps d'inclure les femmes et le féminin.
Où l'on apprend que le contraire de l'homme (aner / andros), dans la Grèce antique, n'est pas la femme (gunê) mais le lâche (anandros : littéralement "pas homme") ; que les Modernes ont lu et se sont appropriés les propos misogynes d'
Aristote en le pensant représentatif de la pensée antique alors que d'autres auteurs antiques sont bien moins obtus sur la question (notamment
Platon,
Hérodote,
Plutarque - qui a rédigé un traité sur les femmes méritantes de l'Antiquité !) ; que nos représentations de l'histoire antique sont très athéno-centrées, oubliant que les cités et colonies grecques étaient multiples tant dans leur localisation donc dans leur culture que dans leur régime politique, le tout souvent influencé par leurs voisins et/ou leurs occupants (notamment les Perses pour l'Asie Mineure) - révision donc de la définition de Grec et de barbare ; que les femmes d'un certain statut social accédaient et étaient reconnues dans des rôles importants voire prestigieux, tels que les liturgies et la magistrature (!), souvent en association avec leur mari mais pas systématiquement : il n'est pas question de genre mais de régime politique et de statut social ; et quelques autres choses encore.
Tout ça pour montrer qu'
Artémise reine et chef de guerre est à la fois originale et banale, et déblayer un grand coup l'image de la femme antique enfermée dans son gynécée (qui existait aussi, certes).
Pour exécuter sa démonstration, l'autrice accumule les exemples tirés de textes antiques, de l'épigraphie, de sculptures, de monuments : un travail titanesque de fourmi ! qui appuie bien le propos : même si bien moins nombreuses que les hommes, il existait des femmes puissantes, et cela n'avait rien d'exceptionnel.
L'accumulation peut lasser mais c'est facile de passer au paragraphe suivant si besoin. le discours est construit de façon très progressive et très détaillée, régulièrement répétitive, le rythme peut paraître lent mais la réflexion est minutieusement construite.
Le tout peut parfois avoir une tendance un peu rébarbative mais le propos est tout de même fort intéressant et rafraîchissant.