La télévision commençait à entrer dans les foyers.
En Belgique, le « relais de Lille » permettait de capter les diffusions de la RTF qui deviendrait quelques années plus tard l'ORTF.
Des femmes et des hommes se prenaient d'amour pour la petite lucarne.
Plusieurs noms font désormais partie de son histoire.
Cette biographie conte l'un d'entre eux et pas le moindre :
Marcel Bluwal.
« Don Juan », disséqué, revisité, « Vidocq », « L'inspecteur Leclerc », des documentaires pour l'émission d'
Eliane Victor : « Les femmes aussi », les émissions du jeudi pour les enfants, des films et surtout jusqu'en 1960-1961, ces dramatiques en direct où réalisateur, équipe technique et comédiens (tant de noms demeurent dans la mémoire collective) ajoutaient à leur profession le fil du funambule.
Rigueur et passion sont les maîtres mots de
Marcel Bluwal, ce fou de cinéma (parmi ses « maîtres » : Duvivier, Renoir, Carné) qui se réalisa essentiellement à la télévision.
Mal perçue, parfois méprisée par le 7ème art, elle porta pourtant, grâce à des personnalités et des défenseurs comme
Marcel Bluwal, la culture, la beauté, les Idées dans les coins les plus reculés de France et de Navarre et aussi Outre-Quiévrain.
Pire et meilleur se côtoient aujourd'hui mais comme l'écrivait
Simone Signoret : «
La Nostalgie n'est plus ce qu'elle était » et c'est avec ce qui est qu'il faut avancer au-delà de ce qui est.
On ressent très bien les passages et l'évolution des différentes époques et une certaine amertume chez le réalisateur exigeant et puriste que fut
Marcel Bluwal.
La société change (1968), les chaînes se multiplient, l'audimat intervient, le public se fidélise... parfois trop vers le bas.
Les idées dérangent,
Marcel Bluwal se positionne (l'article consacré par un journaliste au film « Thérèse Humbert » de 1983 page 189/190 est porteur de germes qui poussent encore et encore et donne froid dans le dos...).
Mais il y a chez ce grand réalisateur une force pugnace qui trouve son origine dans sa propre histoire évoquée pudiquement.
Il y eut le « Titi de Paris » et aussi cette phrase qui dit beaucoup : »Être français a été le but de ma vie alors qu'être juif était l'obligation de ma vie. Ce manque d'unité m'a coûté cher dans l'opinion que j'avais de moi-même. » Quelle émotion, quelle gravité dans cette déclaration ! ,le Front populaire, la guerre (plus de deux ans de vie cachée), l'école de cinéma, l'entrée à la télévision, le « pionnier », les engagements, les fidèles dans le travail...
Six chapitres décortiquent l'homme, le réalisateur, l'artiste, l'artisan. Une vie s'écoule, riche de l'aventure de la télévision, riche des engagements d'un homme d'action et riche de l'histoire sociétale avec son basculement amenant un cortège d'incompréhension, d'injustice (ou vécue comme telle) et de déceptions. L'époque est morte ! Vive l'époque !
Quelques témoignages parsèment le livre dont ceux de quelques comédiens qui furent les élèves de
Marcel Bluwal, professeur en 1975 au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris.
Plus metteur en scène que professeur dans le sens généralement entendu,
Marcel Bluwal est continuellement dans le bonheur de « faire » et cela se ressent dans ce qu'en racontent Ariane Ascaride, Catherine Frot et évidemment Danièle Lebrun.
Dans ce chapitre, page 171,
Marcel Bluwal explique son ressenti lorsqu'il partit en Allemagne en 1978 (début d'une série de mises en scène d'opéra).
Témoignage bouleversant et révélateur du « poids » de la période de la seconde guerre mondiale qui marqua des générations d'hommes et de femmes.
Né en 1925, l'âge l'a propulsé comme « dernier » des grands noms des balbutiements de la télévision (entre autres Claude Barma,
Stellio Lorenzi,
Claude Loursais...) mais quelle leçon de vie nous donne-t-il dans ces phrases : « ... travailler encore et toujours, c'est une façon de ne pas se laisser embaumer » et « ...Je ne sais pas être si je ne fais pas ».
Et en 2013, il nous a offert, à près de 88 ans, « Les Vieux Calibres » : téléfilm tonique, gai avec un regard piquant, un peu provocateur sur la vieillesse.
Nous avons envie de dire : Encore !
Foin des séries américaines, rendez-nous le malicieux esprit français et la langue !
La fin du livre comporte des annexes retraçant tout le travail réalisé par
Marcel Bluwal à la TV et au cinéma ainsi que ses mises en scène d'opéras et de théâtre.
Scruter la photo de la couverture, découvrir l'étonnante ressemblance des traits du visage avec Claude et Alexandre Brasseur, fixer ce regard d'aigle, « un tronc d'arbre, une espèce de présence tellurique » comme dit Catherine Frot.
Une vie, une passion passionnante et cette lucidité avec cette phrase que je choisis pour clore parce qu'elle me convient : « J'ai toujours pensé que l'humanité était fréquentable mais peu recommandable ».
Merci à Babelio, à l'auteure et aux Éditions Scrineo de m'avoir permis de vous découvrir.